Dans le cas d’une personne de nationalité étrangère domiciliée en Suisse au moment du décès, les autorités suisses du dernier domicile sont compétentes pour prendre les mesures nécessaires au règlement de la succession et connaître des litiges successoraux1, tandis que le droit suisse sera applicable à la succession2.
Il existe certaines exceptions bien connues à l’exemple de la personne étrangère décédant en Suisse et ayant auparavant soumis sa succession par testament (ou pacte successoral) au droit de son État national (ou de l’un de ses États nationaux en cas de multinationalité); c’est alors le droit choisi par le de cujus qui s’appliquera à la succession3. Les autorités de son dernier domicile resteront en revanche compétentes.
Ce qui précède est valable sous réserve des traités internationaux4. Ainsi la situation est différente lorsque le de cujus, décédé en Suisse où il était domicilié, était de nationalité italienne. En vertu de l’art. 17 al. 3 de la Convention d’établissement et consulaire entre la Suisse et l’Italie du 22 juillet 1868 dont la portée a été précisée par le Tribunal fédéral, le droit italien s’appliquera à la succession et l’autorité italienne du dernier domicile du de cujus en Italie avant son installation en Suisse sera compétente pour connaître des litiges successoraux5.
Dans le cas inverse d’une personne de nationalité suisse décédant en Italie où elle était domiciliée, la réciprocité s’applique dans le sens où d’une part le droit suisse s’appliquera à sa succession et, d’autre part, l’autorité suisse sera compétente pour connaître des litiges successoraux, à la différence qu’il s’agira ici de l’autorité suisse du lieu d’origine (et non du dernier domicile) du de cujus6. Cette convention ne s’applique pas lorsque le défunt avait au moment de son décès la double nationalité suisse et italienne7.
À noter que l’Office fédéral de la justice a entrepris les premières démarches en vue d’une modification ou d’une abrogation de ladite convention, le Conseil fédéral ayant relevé dans son message du 13 mars 2020 sur la modification du chapitre 6 de la LDIP qu’elle comprenait des différences notables par rapport à la LDIP et au Règlement (UE) n° 650/20128.
En cas de vocation volontaire, ce qui précède a une implication importante étant donné que les réserves héréditaires prévues par le droit italien diffèrent de celles du droit suisse; l’on peut dresser ci-après un tableau (simplifié) comparatif des fractions de la succession réservées9 et de la quotité disponible en fonction du/des survivant(s) et du droit applicable.
L’on peut d’emblée constater que la quotité disponible est plus réduite en droit italien qu’en droit suisse depuis le 1er janvier 2023, sauf en présence d’un conjoint survivant seul ou en présence d’un descendant seul car dans ces deux cas les quotes-parts successorales réservées (et les quotités disponibles) sont identiques. En sus, contrairement au droit suisse, le droit italien opère une distinction en fonction du nombre de descendants. Enfin, le droit suisse en vigueur ne prévoit plus de réserves héréditaires pour les père et mère, contrairement au droit italien.
Malgré le silence de la Convention italo-suisse de 1868 et son interprétation historique, laquelle était de soumettre les rapports successoraux à la loi nationale du défunt, le Tribunal fédéral a jugé que le de cujus italien dont le dernier domicile était en Suisse pouvait par une professio iuris soumettre sa succession purement et simplement au droit suisse, soit sans considération d’un renvoi du droit international privé italien13.
Le droit international privé italien prévoit certes la possibilité pour le testateur14 de choisir le droit du dernier domicile (en l’espèce, en Suisse) mais conditionne la validité de ce choix au respect des réserves prévues par le droit italien des héritiers résidant en Italie au moment du décès du testateur, ce qui donne à penser qu’il existe un risque qu’une telle professio iuris en faveur du droit suisse et s’écartant des réserves italiennes au détriment de ses héritiers résidant en Italie au moment de son décès ne soit pas reconnue en Italie15.
La Convention italo-suisse de 1868 est également silencieuse s’agissant des mesures nécessaires au règlement de la succession, excepté l’obligation d’avis des autorités de l’État national16; le Tribunal fédéral a précisé que les autorités suisses du dernier domicile restent compétentes en matière gracieuse pour les ressortissants italiens domiciliés en Suisse au moment de leur décès17.
De ce qui précède, l’on comprend que la succession d’une personne de nationalité italienne domiciliée en Suisse au moment de son décès puisse engendrer des complications pratiques en cas de vocation volontaire si, par exemple, le défunt a passé sous silence un héritier réservataire dans son testament.
En effet, dans cette dernière hypothèse, l’héritier réservataire lésé, qui risque de subir un dommage si les héritiers institués disposent provisoirement des biens de la succession, devra d’une part saisir en Suisse la juridiction gracieuse au dernier domicile du défunt pour s’opposer à la délivrance des certificats d’héritiers aux héritiers institués18 et d’autre part saisir en Italie la juridiction contentieuse au dernier domicile italien du de cujus pour faire respecter sa réserve héréditaire par une action en réduction.
Dans ce cas, l’héritier réservataire lésé pourrait également obtenir de l’autorité suisse qu’elle fasse dresser un inventaire conservatoire19 ou qu’elle ordonne l’administration d’office de la succession en particulier lorsque les biens de la succession20 sont répartis entre la Suisse et l’Italie21, justifiant le besoin d’une protection spéciale.
Selon la jurisprudence, l’opposition à la délivrance du certificat d’héritier peut certes être levée par l’autorité si l’héritier lésé n’agit pas en réduction dans le délai relatif (de péremption) d’un an à compter du jour où il a eu connaissance de la lésion de sa réserve22. Il doit toutefois être précisé que le délai pour agir en réduction régi par le droit italien est de 10 ans23, impliquant potentiellement un blocage prolongé de la délivrance du certificat d’héritier.
Et de souligner la possibilité confirmée par la jurisprudence de s’écarter du for prévu par l’art. 17 al. 3 de la Convention italo-suisse de 1868 par une prorogation de for convenue entre les héritiers, de même que par acceptation tacite24.
Au vu de ce qui précède et de la complexité pratique que peut engendrer la succession d’un ressortissant italien domicilié en Suisse, dans l’attente d’une jurisprudence italienne ou d’un accord interprétatif entre la Suisse et l’Italie clarifiant la problématique de la professio iuris, il serait prudent de ne lui conseiller une élection de droit suisse par testament qu’à la condition que ses héritiers résident également en Suisse au moment de son décès.
Cas échéant et dans l’éventualité d’un litige, les héritiers pourraient convenir pour la procédure contentieuse d’une professio fori en faveur de l’autorité suisse du dernier domicile, ce qui permettrait d’éviter à l’héritier réservataire lésé d’avoir à agir en Italie et aux héritiers institués d’y être attraits.
1 Art. 86 al. 1 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP; RS 291) .
2 Art. 90 al. 1 LDIP.
3 Art. 90 al. 2 LDIP. Le projet du 13 mars 2020 du Conseil fédéral prévoit d’ailleurs la modification de cet alinéa en supprimant la restriction pour les citoyens suisses qui ne peuvent en l’état choisir que le droit suisse pour leur succession (FF 2020 3257).
4 Art. 1 al. 2 LDIP
5 Art. 17 al. 3 de la Convention d’établissement et consulaire entre la Suisse et l’Italie du 22 juillet 1868 (RS 0.142.114.541; ci-après: Convention italo-suisse de 1868); cf. ATF 91 III 19; ATF 98 II 88; ATF 99 II 246; ATF 120 II 293; ATF 136 III 461; ATF 138 III 354.
6 Art. 17 al. 4 de la Convention italo-suisse de 1868; art. IV du Protocole concernant l’exécution des Conventions conclues et signées à Berne et à Florence entre la Suisse et l’Italie le 22 juillet 1868 (RS 0.142.114.541.1);
cf. ATF 91 II 457.
7 Arrêt HC/2022/770 de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 24 octobre 2022, c. 3.2.
8 Message du 13 mars 2020 concernant la modification de la loi fédérale sur le droit international privé (Successions) (FF 2020 3227).
9 Alors que la réserve représente stricto sensu en droit suisse une fraction de la part légale, la réserve ou legittima en droit italien représente directement une fraction de la succession (nette).
10 Art. 536 ss. du Codice Civile italien du 16 mars 1942.
11 Art. 462 et 471 CC.
12 Art. 462 et 471 aCC; art. 15 et 16 du Titre final du CC.
13 ATF 138 III 354 c. 3.2 et les références citées (cet arrêt précise un précédent ATF 136 III 461 qui concernait la même affaire).
14 Art. 46 al. 2 de la loi italienne n° 218 du 31 mai 1995.
15 Voir not. Subilia G. Cretti, Successions italo-suisses, Jusletter du 23 janvier 2023, n° 4.2, pp. 22-23 et les références citées.
16 Art. 17 al. 1 et 2 de la Convention italo-suisse de 1868.
17 ATF 120 II 293 c. 2 et les références citées.
18 Art. 559 CC; cf. art. 134 du code de droit privé judiciaire vaudois du 12 janvier 2010 (CDPJ; RSV 211.02).
19 Art. 553 al. 1 let. c CC.
20 Cf. TF 5A_841/2013 du 18.2.2014, c. 6.3.1.
21 La Convention italo-suisse de 1868, fondée sur le principe de l’unité de la succession, comprend les biens immobiliers dans le règlement de celle-ci (ATF 91 III 19 c. 2b) et n’est pas affectée dans son application par le Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 (voir son art. 75 al. 1).
22 ATF 128 III 318 c. 2.2.1; art. 533 al. 1 CC.
23 Arrêt de la Corte di Cassazione italienne n° 20644 du 25 octobre 2004; art. 2946 du Codice Civile italien du 16 mars 1942.
24 TF 5A_87/2011 du 23 septembre 2011, c. 3.1.1 et les références citées.