Le thème de la lutte contre la traite d’êtres humains1 est au centre des préoccupations, et la Suisse se rend peu à peu compte de l’ampleur de ce phénomène sur son territoire2. Mais, malgré l’amélioration observée ces dernières années dans la lutte contre la traite, les victimes3qui se retrouvent dans la procédure d’asile ne sont pas suffisamment protégées. Même lorsqu’elles sont identifiées comme telles, elles se voient privées de nombreux droits dont elles auraient dû bénéficier.
Dans cet article, nous discuterons de la question spécifique de la réglementation du séjour des victimes de traite lorsqu’elles sont soumises au droit d’asile, et soulèverons certains problèmes rencontrés dans ce cadre, notamment dans les procédures Dublin.
1. Obligations internationales et mise en œuvre en droit suisse
La traite d’êtres humains a été définie dans le Protocole de Palerme4 comme le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes en vue de leur exploitation sexuelle, de l’exploitation de leur travail ou d’un trafic d’organes. Les auteurs de cette infraction profitent de la vulnérabilité et de la précarité de leurs victimes attirées par de fausses promesses (notamment de mariage ou de travail), ou recourent à la force, pour les contraindre à l’exploitation.
Dans le prolongement du Protocole de Palerme, le Conseil de l’Europe a adopté la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 (ci-après la Convention)5, qui met un accent particulier sur l’assistance aux victimes et leur protection. La particularité et la force de cette Convention réside dans le fait que sa mise en œuvre est suivie de près par le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (ci-après le GRETA)6qui effectue des visites dans les Etats parties et publie des rapports pour chaque pays.
La Suisse a ratifié ces deux textes, et s’est donc engagée à modifier sa législation nationale pour la rendre compatible avec les normes internationales et européennes. Le premier cycle d’évaluation par le GRETA pour la Suisse a eu lieu durant l’année 20157 et le second cycle est actuellement en cours.
2. Lacunes autour de la réglementation du séjour des victimes de traite d’êtres humains
Selon l’art. 13 de la Convention, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne est victime de traite d’êtres humains, elle doit se voir octroyer un délai de rétablissement et de réflexion de 30 jours au moins. Ce délai doit être d’une durée suffisante pour que cette personne puisse se rétablir et échapper à l’influence des trafiquants et/ou prenne, en connaissance de cause, une décision quant à sa coopération avec les autorités compétentes. Ajoutons que, pour ce faire, elle doit pouvoir consulter un centre spécialisé, afin de connaître ses droits, et notamment celui de déposer plainte pénale contre ses agresseurs. Pendant ce délai, aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à son égard.
Une fois ce délai échu, l’art. 14 de la Convention prévoit la délivrance d’un permis de séjour aux victimes de la traite d’êtres humains dans deux cas: si leur situation personnelle le justifie et/ou si l’autorité compétente estime que leur séjour s’avère nécessaire en raison de leur coopération avec les autorités compétentes aux fins d’une enquête ou d’une procédure pénale.
Or en Suisse, ces obligations ont été mises en œuvre dans le cadre du régime ordinaire du droit des étrangers8, mais rien n’a été prévu dans le cadre du régime extraordinaire du droit d’asile9. Notons qu’une personne entrée dans la procédure d’asile ne peut ensuite plus engager de procédure visant l’octroi d’une autorisation de séjour relevant du droit des étrangers, à moins qu’elle n’y ait droit (art. 14 al. 1 LAsi).
En effet, le délai de rétablissement et de réflexion est régi par l’art. 35 al. 1 OASA. Si la victime décide de déposer plainte pénale, l’art. 36 al. 1 OASA prévoit que l’autorité compétente du canton délivre aux victimes de la traite d’êtres humains une autorisation de séjour de courte durée pour la durée probable de la procédure judiciaire. Par la suite, une prolongation du séjour peut être autorisée en présence d’un cas individuel d’une extrême gravité (art. 36 al, 6 OASA). Les autorités doivent tenir compte de la situation particulière de la victime de la traite d’êtres humains (par exemple, si la personne concernée est menacée dans son pays d’origine, si sa santé est menacée et qu’elle ne pourra pas être traitée de manière adéquate dans son pays de provenance, si elle ne pourra pas se réinsérer dans son pays d’origine ou si elle risque de retomber dans les mains de trafiquants d’êtres humains)10. Mais comme expliqué, en raison du principe d’exclusivité de la procédure d’asile de l’art. 14 LAsi, les protections accordées par les art. 35 et 36 OASA ne s’appliquent pas aux victimes de traite lorsqu’elles sont soumises au régime de l’asile11. Cette perméabilité du droit d’asile provoque des lacunes, puisque aucune protection similaire n’a été mise en œuvre en droit d’asile.
A cette critique, les autorités suisses ont répondu que «le délai de rétablissement et de réflexion est pris en considération dans la procédure d’asile dans la mesure où, en procédure nationale (lorsque l’examen de la demande d’asile est de la compétence de la Suisse), les délais de procédure sont supérieurs à 30 jours pour rendre une décision sur la demande d’asile et prononcer le cas échéant le renvoi; en procédure Dublin, aucune décision n’intervient dans les 30 jours au minimum qui suivent l’identification d’une victime potentielle de traite des êtres humains»12. Cette réponse démontre que le gouvernement perçoit le délai de rétablissement et de réflexion comme un simple délai légal obligatoire, et ne se sent nullement responsable d’organiser un espace qui permette aux victimes de se sentir protégées et aidées13.
Cela est contraire au principe même de l’instauration du délai minimum de 30 jours, qui vise à apporter aux victimes, extrêmement vulnérables après le traumatisme qu’elles ont subi, un semblant de stabilité psychologique14. Il doit permettre aux victimes de se rétablir et d’échapper à l’influence des trafiquants, ainsi qu’à se remettre, par exemple, de blessures ou d’atteintes physiques qu’elles ont pu subir15. En l’occurrence, l’incertitude dans laquelle les victimes se trouvent au début d’une procédure d’asile est incompatible avec cet objectif. Dans de telles circonstances, elles ne peuvent pas bénéficier du temps thérapeutique qui leur est nécessaire pour débuter un processus de résilience, ni avoir accès à un conseil juridique suffisant.
D’ailleurs, comme soulevé par le Conseil de l’Europe, un renvoi immédiat va également à l’encontre des objectifs de poursuite pénale des auteurs de traite, puisqu’il est difficile de poursuivre l’auteur d’une infraction sans la collaboration de la victime. En effet, il relève que: «Du point de vue des autorités répressives, si les victimes demeurent dans la clandestinité ou sont éloignées immédiatement, elles ne sont pas susceptibles de donner des informations utiles, afin de pouvoir efficacement lutter contre la traite. Les informations obtenues seront d’autant meilleures que les victimes auront confiance en la manière dont leurs droits et leurs intérêts seront protégés. Pour cela, l’instauration d’un permis de résidence est une mesure susceptible de les encourager à coopérer.»16
Dans la situation actuelle, la Suisse ne respecte donc pas ses obligations internationales. Il est nécessaire que des normes protectrices similaires à celles prévues en droit des étrangers soit appliquées aux victimes lorsqu’elles sont soumises à la procédure d’asile.
3. Problématiques spécifiques dans le cadre des procédures Dublin
Dans le cadre du système de protection internationale, le système du Règlement Dublin III17 constitue un cadre juridique qui permet de désigner l’Etat Dublin compétent pour examiner une demande d’asile. Le pays responsable du traitement de la demande d’asile est, en principe, celui qui a accueilli en premier le requérant d’asile (que ce soit par la délivrance d’un titre de séjour ou d’un visa, ou l’entrée sur son territoire, art. 12-13 Règlement Dublin III).
Il est important de relever que les obstacles rencontrés par les victimes dans la procédure d’asile se trouvent encore amplifiés dans ce cadre. En Suisse, même lorsque les victimes sont reconnues comme telles, la procédure Dublin suit son cours: la personne sera transférée dans l’Etat Dublin responsable, avec une note adressée à cet Etat mentionnant que le requérant est une victime de traite18. Le Gouvernement suisse ne met aucune mesure en place pour s’assurer que la victime sera prise en charge et protégée à son arrivée, et ne coopère avec aucune ONG dans le pays d’accueil19.
Ce système est basé sur la présomption selon laquelle les membres du Règlement Dublin III sont des pays sûrs. Toutefois, elle est en contradiction complète avec la réalité observée sur le terrain, notamment au vu des disparités entre les systèmes de protection mis en place dans les différents Etats européens20. Le Gouvernement suisse justifie cette pratique par le fait que les Etats Dublin ont tous ratifié la Convention, et qu’il est donc d’office sûr de transférer la victime dans un autre Etat Dublin, sans qu’aucune analyse spécifique du cas d’espèce soit nécessaire21. Mais, en pratique, elles risquent d’être transférées dans un pays avec lequel elles n’ont aucun lien, voire dans lequel elles sont à risque de retomber dans un réseau d’exploitation.
Or un renvoi peut s’avérer dangereux en raison de la situation de santé des victimes, qui doivent pouvoir se sentir en sécurité, et qu’un nouveau déplacement risque de retraumatiser. Les autorités suisses ne tiennent pas compte des certificats médicaux délivrés par des médecins, même s’ils indiquent que l’état physique et mental de la victime est instable et qu’une extradition le péjorerait, ni des rapports rédigés par les ONG de soutien aux victimes22. Le fait que les autorités transfèrent les victimes en négligeant l’existence de ce type de document a d’ailleurs été réprimé par le TAF23.
Un exemple type de cette problématique est le cas d’une victime d’exploitation domestique, recrutée et exploitée à l’étranger, mais que les «patrons» décident d’emmener avec eux en Suisse durant leurs vacances. Il est arrivé qu’ils s’arrangent pour lui demander un visa Schengen provenant d’un autre pays européen qui lui permettait de voyager en Suisse, voire qu’ils lui fournissent un faux passeport, sans qu’elle ait son mot à dire. Durant son séjour en Suisse, la victime s’est échappée. Les personnes qui lui sont venues en aide lui ont conseillé de demander la protection internationale, mais elle a été renvoyée dans le pays lui ayant délivré le premier visa et dans lequel elle n’avait jamais posé le pied.
Le danger peut également provenir de la situation prévalant dans le pays d’accueil, notamment lorsque la personne y a été exploitée. Certains pays ne sont pas à même d’apporter une protection et une aide suffisante. Dans cette hypothèse, en cas de retour, elle est à risque d’être de nouveau victime de traite si les trafiquants la retrouvent ou si elle est de nouveau dans une position de vulnérabilité24.
L’exemple de l’Italie illustre particulièrement bien cette problématique, puisque la Suisse continue d’y renvoyer des victimes, alors même qu’un grand nombre d’entre elles ont justement subi une exploitation éhontée dans cet Etat. Un cas fréquent est celui de jeunes Nigérianes, qui se font piéger dans des réseaux de prostitution forcée tenus par des gangs nigérians. Ce phénomène est connu25: les trafiquants promettent une vie meilleure aux jeunes filles vivant dans la misère, un avenir en Europe. Avant leur départ, ils leur font passer un rite de départ censé les protéger durant leur voyage, mais elles se retrouvent, en fait, en pleine cérémonie de magie noire, une cérémonie surnommée «juju» après laquelle elles sont convaincues d’être ensorcelées et de n’avoir plus d’autre choix que de se soumettre. Débute ensuite un voyage jusqu’en Europe, où elles sont réduites à l’exploitation sexuelle, soi-disant pour rembourser leur dette de voyage. Les ONG ont reçu plusieurs victimes de la traite nigériane, ayant réussi à se sortir des griffes de leurs trafiquants. Toutefois, dans plusieurs situations, les autorités suisses ont débuté une procédure Dublin et ont prononcé une décision de non-entrée en matière et de transfert en Italie26. Ces décisions sont inexplicables, car elles mettent les victimes en réel danger en cas de transfert en Italie, où elles risquent de retomber dans les mains de trafiquants.
Le GRETA a même publié en 2017 un rapport urgent sur l’Italie, s’alarmant de la situation des victimes renvoyées de force dans ce pays27. Or même cela n’a pas inquiété les autorités, qui ont continué de rendre des décisions de renvoi Dublin pour des victimes ayant été exploitées en Italie.
Ajoutons que le scénario est le même dans les cas où la victime a fait l’objet d’une exploitation sur le territoire suisse. Les directives SEM prévoient que: «Si le requérant d’asile devient victime de la traite d’êtres humains en Suisse pendant la procédure Dublin, alors la procédure Dublin et la procédure pénale se déroulent en parallèle. Si la victime est transférée dans l’Etat Dublin, elle peut entrer en Suisse au moyen d’un visa spécial, afin de prendre part à la procédure pénale.»28 Cette pratique n’a, à notre connaissance, jamais été mise en œuvre et, comme le relèvent les ONG, n’est pas réalisable en pratique. En effet, aucune victime qui a été déplacée de force n’acceptera de revenir en Suisse uniquement dans le but de collaborer avec les autorités dans le cadre d’une procédure pénale29. Les directives ne clarifient d’ailleurs pas la question de savoir comment se déroulerait le retour en pratique (par exemple concernant la prise en charge des frais de voyage) et ignorent le risque important de perte de contact avec la victime après son transfert forcé.
Le GRETA s’est dit très préoccupé et a souligné «l’importance d’identifier les victimes de traite parmi les demandeurs d’asile soumis au Règlement Dublin, afin d’éviter tout risque de représailles de la part des trafiquants ou qu’elles ne soient de nouveau soumises à la traite, et afin de veiller à ce que soient respectées les obligations incombant à l’Etat d’octroyer aux victimes un délai de rétablissement et de réflexion, une assistance et une protection, conformément aux art. 12 et 13 de la Convention»30.
Dans la pratique, il en résulte que les victimes sont prêtes à tout pour éviter leur renvoi. Lorsqu’elles reçoivent une décision définitive de transfert dans un Etat Dublin, elles disparaissent souvent avant le départ ou démontrent des réactions émotionnelles si intenses qu’elles doivent être prises en charge médicalement, voire internées pour leur propre sécurité31.
Dans ce contexte, la procédure Dublin prime toute considération de protection des victimes. Il serait pourtant nécessaire que les autorités mettent en place une analyse au cas par cas des risques liés au transfert, et privilégient la sécurité et la protection des victimes.
4. Pistes de solutions
Les victimes devraient bénéficier de leurs droits prévus indépendamment de leur statut administratif. Il existe pourtant plusieurs solutions juridiques pour pallier les lacunes du droit d’asile et protéger les victimes, tout en respectant les textes internationaux32.
Tout d’abord, afin de s’assurer que toutes les victimes sont orientées correctement et bénéficient de la meilleure protection possible, une piste serait de prendre une décision formelle de reconnaissance sur la base d’indicateurs, chaque fois qu’une victime est détectée à tout stade de la procédure d’asile. Sur cette base, les autorités devraient considérer que la Convention, et notamment ses art. 13 et 14, sont d’applicabilité directe. En effet, même en l’absence de base légale formelle dans une loi s’appliquant aux requérants d’asile, les victimes de traite doivent bénéficier des droits découlant de leur statut. Les ONG proposent également, en attendant une modification législative qui mette en œuvre la Convention, que les art. 35 et 36 OASA soient adaptés et introduits dans une directive du SEM, pour que toutes les victimes potentielles puissent bénéficier d’un délai de rétablissement et de réflexion ainsi que d’un permis de courte durée dans le cas où elles décideraient de déposer plainte pénale. Durant cette période, la procédure d’asile devrait être mise en suspens.
Par ailleurs, il arrive que certaines victimes soient redirigées à tort vers la procédure d’asile, alors que cette voie n’est pas adaptée à leur situation, puisqu’elles ne correspondent pas à la définition d’une personne réfugiée, mais pourraient bénéficier d’un permis de séjour pour motifs humanitaires dans le cadre d’une demande en droit des étrangers. Dans certains cas suivis par les ONG, elles avaient été mal conseillées, la plupart du temps sans connaître les conséquences du dépôt de leur demande d’asile ou parfois sans même comprendre qu’elles faisaient une telle demande. Dans plusieurs cas, elles avaient déposé la demande sur ordre de leurs trafiquants, et raconté un discours dicté par ces derniers.
En l’occurrence, l’art. 14 LAsi prévoit que, une fois la procédure d’asile enclenchée, le requérant ne peut plus engager de procédure relevant du droit des étrangers, «à moins qu’il n’y ait droit». Or les articles 35 et 36 OASA, qui prévoient l’octroi d’un délai de rétablissement et de réflexion, respectivement la délivrance d’un permis de courte durée aux victimes durant la procédure pénale, sont formulés en termes déclaratifs. Ils peuvent être interprétés comme conférant un droit aux victimes à se voir octroyer une autorisation de séjour relevant du droit des étrangers. Cette interprétation de la loi permettrait aux victimes, après la mise en suspens de la procédure, de décider quelle voie leur est plus favorable pour la suite. A la fin de la période de rétablissement, elles pourraient décider de conserver leur demande d’asile, ou alors la retirer pour déposer une demande sous l’angle du droit des étrangers.
Dans le cas où un requérant d’asile choisirait de reprendre sa procédure d’asile, des solutions existent également dans les textes internationaux pour qu’il soit davantage protégé dans ce cadre.
Tout d’abord, dans le cadre d’une procédure Dublin, l’art. 17 Règlement Dublin III permet à tout Etat membre de décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas, en vertu des critères fixés dans le règlement. Or la Suisse ne fait presque jamais usage de cette clause discrétionnaire33, qui lui permettrait de prendre en charge la demande d’asile de certaines personnes particulièrement vulnérables pour des motifs humanitaires34. Dans les cas où des requérants d’asile sont reconnus comme victimes, les autorités devraient donc systématiquement appliquer cette clause de souveraineté et entrer en matière sur leur demande d’asile pour, ainsi, leur apporter soutien et protection.
Par ailleurs, si le renvoi ne peut être évité, le principe avancé dans l’arrêt Tarakhel de la CrEDH35 prévoit que le renvoi de personnes particulièrement vulnérables dans certains pays – et en l’occurrence l’Italie – violerait l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH), si la Suisse omettait de prendre au préalable auprès de ce pays des garanties quant à l’accueil de ces personnes. En cas de transfert, les autorités doivent alors prendre des mesures pour s’assurer, par exemple, que les victimes seront protégées par les autorités nationales, hébergées dans un lieu sûr et prises en charge par des ONG locales. C’est la solution mise en place en Allemagne qui, dans un cas d’espèce, a pris contact avec le SEM pour organiser l’arrivée d’une victime. Le SEM a alors pu contacter le canton d’attribution, qui a lui-même pris contact avec une ONG spécialisée dans la défense des victimes de traite pour préparer son accueil. La Suisse doit s’inspirer de cette pratique, et s’assurer que le transfert des victimes se fasse de manière respectueuse des droits humains.
5. Conclusion
En droit suisse, le système de protection s’appliquant aux requérants d’asile et celui s’appliquant aux victimes de traite semblent exister en parallèle, de manière totalement séparée. Aujourd’hui, les victimes de traite d’êtres humains sont désavantagées lorsqu’elles déposent une demande d’asile.
Cette situation est contraire aux obligations internationales prises par la Suisse en matière de lutte contre la traite d’êtres humains, et est d’autant plus incompréhensible que certaines solutions juridiques existent déjà. Pour être efficace, la stratégie de lutte doit viser des buts divers et complémentaires: la prévention, la protection des droits des victimes, mais aussi la poursuite des auteurs de ce crime36. La Suisse doit donc édicter des règles claires et obligatoires pour tous les cantons, et fonder son approche sur une vision compréhensive, basée sur l’assistance aux victimes et respectueuse des droits humains. y
*Anciennement juriste spécialisée dans la défense des victimes de traite d’êtres humains au Centre social protestant (CSP) de Genève.
1Pour la suite, le terme de «traite» doit s’entendre comme faisant référence à la «traite d’êtres humains».
2Voir SCOTT, Plan d’action national contre la traite des êtres humains 2017-2020, approuvé par le DFJP le 8 septembre 2016, approuvé par l’organe de pilotage du SCOTT le 30 novembre 2016, disponible sur https://www.ksmm.admin.ch/dam/data/fedpol/aktuell/news/2017/2017-04-13/nap-2017-2020-f.pdf (consulté le 6 août 2017), p. 2.
3Pour la suite, le terme de «victime» doit s’entendre comme faisant référence particulièrement aux «victimes de traite d’êtres humains».
4Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, à réprimer et à punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants du 15 novembre 2000 (Protocole de Palerme), entré en vigueur pour la Suisse le 26 novembre 2006 (RS 0.311.542), voir art. 3 let. a pour la définition de la traite d’êtres humains.
5Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er avril 2013 (RS 0.311.543).
6Au sujet du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), voir https://www.coe.int/fr/web/anti-human-trafficking/greta (consulté le 6 août 2018).
7GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite d’êtres humains par la Suisse [GRETA(2015)18], Premier cycle d’évaluation, adopté le 3 juillet 2015, publié le 14 octobre 2015.
8Régit par la loi fédérale sur les étrangers (ci-après LEtr) et l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (ci-après OASA).
9Régit par la loi sur l’asile (ci-après LAsi).
10Voir SEM, Directives LEtr, n. 5.6.8.2.5.
11SEM, Directives LEtr, n. 5.6.8.4.
12Conseil de l’Europe, Rapport soumis par les autorités suisses pour être en conformité avec la Recommandation du Comité des Parties CP (2015) 13 sur la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, reçu le 29 novembre 2017 [CP (2018) 1], p. 12.
13FIZ, Alternative Report, p. 12.
14Conseil de l’Europe, Rapport explicatif, n. 173.
15Conseil de l’Europe, Rapport explicatif, n. 173.
16Conseil de l’Europe, Rapport explicatif, n. 181.
17Règlement (UE) No 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte). Voir l’Accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans un Etat membre ou en Suisse (Accord d’association à Dublin, AAD), entré en vigueur le 1er mars 2008 (RS 0.142.392.68).
18FIZ, Alternative Report, p. 13.
19FIZ, Alternative Report, p. 13.
20Frei, Hruschka, Access to Asylum, p. 285.
21FIZ, Alternative Report, p. 13.
22FIZ, Alternative Report, p. 13.
23TAF D-768/2018 du 21.3.2018. Voir FIZ, Alternative Report, pp. 13-14.
24FIZ, Alternative Report, p. 14.
25Voir par exemple, Le Temps, L’ombre des gangs nigérians s’étend en Europe, 9 janvier 2017; Le Courrier, Nigérianes forcées à la prostitution, 18 mai 2018; SwissInfo, Quand la magie noire maintient les Nigériannes en captivité, 13 février 2018; ou Le Monde, Au Nigéria, le trafic d’êtres humains prospère sur les ruines de Benin City, 15 juin 2017.
26Voir par exemple la situation décrite dans Frei, Hruschka, Access to Asylum, pp. 287-288.
27GREAT, Report on Italy under Rule 7 of the Rules of Procedure for evaluating implementation of the Council of Europe Convention on Action against Trafficking in Human Beings [GRETA (2016) 29], published on 30 January 2017; Voir Conseil de l’Europe, GRETA publishes an urgent procedure report on Italy, Strasbourg, 30 janvier 2017, disponible sur https://www.coe.int/en/web/anti-human-trafficking/-/greta-publishes-report-on-italy?desktop=true (consulté le 9 août 2018).
28SEM, Directives LEtr, n. 5.6.8.4.
29FIZ, Alternative Report, p. 15.
30GRETA, Rapport, n. 123.
31FIZ, Alternative Report, p. 14.
32Voir les solutions avancées également par Frei, Hruschka, Access to Asylum, p. 290.
33Selon les ONG, le SEM aurait annoncé qu’il comptait appliquer la clause de souveraineté à partir de cette année pour les victimes qui se portent parties plaignantes dans une procédure pénale, si l’exploitation a eu lieu en Suisse.
34FIZ, Alternative Report, pp. 14-15.
35CrEDH, Arrêt de la Grande Chambre n° 29217/12 «Affaire Tarakhel c. Suisse» du 4.11.2014.
36Conseil de l’Europe, Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, Varsovie, 16.V.2005, n. 4.