C’est en effet ce qu’ont estimé certains confrères lors de la parution en novembre 2013 d’un nouvel ouvrage de référence en matière de tort moral (KLAUS HÜTTE et HARDY LANDOLT, Genugtuungsrecht, Grundlagen zur Bestimmung der Genugtuung, Zurich 2013). Outre une réflexion très approfondie sur le tort moral en droit suisse, cet ouvrage en deux volumes présente l’énorme avantage d’être accompagné d’un CD-ROM contenant le résumé de 1500 arrêts. Il faut d’emblée préciser que, si cette source est particulièrement précieuse pour le praticien, elle ne représente certainement pas une étude scientifique exhaustive qui permettrait de tirer des conclusions précises sur l’évolution des montants attribués dans notre pays en matière de tort moral.
Par ailleurs, et par la force des choses, cet ouvrage ne prend pas en considération les nombreux cas réglés à l’amiable entre lésés et assureurs. Ce genre d’accord intervient selon mon expérience dans la majorité des cas, et retient parfois, dans le but de mettre fin rapidement au litige, des critères qui s’écartent quelque peu de ceux que pourrait appliquer un juge.
Ce qu’illustrent avant tout les tables de HÜTTE et de LANDOLT, c’est que les montants alloués, et notamment en matière de lésions corporelles, sont particulièrement aléatoires et difficilement prévisibles pour le justiciable. Il n’est ainsi pas difficile de trouver des exemples où, pour des lésions similaires, les montants admis par les tribunaux divergent sensiblement. A cela s’ajoute le fait que l’art. 47 CO exige des circonstances particulières pour admettre le principe même d’une indemnisation du tort moral. Cette notion est très diversement interprétée par les tribunaux, et certains sont parfois particulièrement sévères. On cite souvent, à cet égard, une affaire valaisanne soumise au TF en janvier 2006, dans laquelle aucune indemnité n’a été allouée à un automobiliste ayant subi une fracture ouverte de la jambe droite et une incapacité de travail totale puis partielle de neuf mois (Arrêt 4C.283/2005 du 18.1.2006).
Pour conclure, il est certain que les montants actuellement alloués à titre de tort moral sont sensiblement supérieurs à ceux qui étaient fixés par les tribunaux, il y une vingtaine ou une trentaine d’années. Il me semble cependant, et c’est là une observation toute intuitive, que la progression a fortement ralenti au cours des dernières années. En effet, selon par exemple les tabelles de HÜTTE et de LANDOLT en matière de lésions corporelles, des montants situés entre 200000 fr. et 250’000 fr. peuvent être observés dans les cas les plus graves depuis une bonne quinzaine d’années. Surtout, les montants alloués dépendent énormément de la libre appréciation du juge. Il n’y a donc pas un unique montant équitable pour une situation donnée, mais une fourchette relativement large de montants susceptibles d’être alloués par les tribunaux, ce qui peut mettre le lésé dans une situation inconfortable dans ses discussions avec l’assureur du responsable.