1. L’origine de l’affaire
Caster Semenya est une athlète sud-africaine de niveau international, née en 1991, spécialiste des courses de demi-fond. Elle a notamment remporté la médaille d’or du 800 mètres féminin aux Jeux olympiques de Londres (2012) et de Rio de Janeiro (2016). Elle est également triple championne du monde de la discipline (Berlin 2009, Daegu 2011 et Londres 2017).
Après sa victoire dans l’épreuve du 800 mètres féminin aux championnats du monde de Berlin en 2009, elle a été soumise à un «test de vérification du genre» afin de contrôler si elle n’était pas un homme du point de vue biologique. L’International Association of Athletics Federations (IAAF, désormais World Athletics) lui a alors indiqué qu’elle devait dorénavant abaisser son taux de testostérone au-dessous d’un certain seuil si elle entendait s’aligner sur ses distances de prédilection lors des compétitions internationales d’athlétisme à venir.
Afin de pouvoir poursuivre sa carrière, Caster Semenya s’est résolue, malgré elle, à suivre un traitement hormonal visant à réduire son taux de testostérone, par la prise de pilules contraceptives.
En dépit de sérieux effets secondaires ressentis à cause de ce traitement, elle s’est imposée dans l’épreuve du 800 mètres féminin lors des championnats du monde de Daegu (2011) et des Jeux olympiques de Londres (2012).
À la suite d’une sentence intérimaire prononcée dans l’affaire Dutee Chand du 24 juillet 2015, dans laquelle le Tribunal arbitral du sport (TAS) avait temporairement suspendu le règlement de l’IAAF alors en vigueur, Caster Semenya a cessé de suivre son traitement hormonal.
Le 23 avril 2018, l’IAAF a élaboré un nouveau règlement intitulé «Règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel)» (ci-après: Règlement DSD).
Caster Semenya a refusé de s’y conformer car, selon elle, il l’obligeait à subir des traitements hormonaux, avec des effets secondaires encore mal connus, en vue de réduire son taux naturel de testostérone pour pouvoir participer à une compétition internationale dans la catégorie féminine.
2. La procédure en Suisse
2.1. Devant le TAS
Le 18 juin 2018, Caster Semenya a déposé une requête d’arbitrage devant le TAS, par laquelle elle contestait la validité du Règlement DSD.
Par sentence motivée du 30 avril 2019, le TAS a rejeté sa requête1.
En substance, le TAS a estimé que le Règlement DSD était certes discriminatoire, puisqu’il créait une différenciation fondée sur le sexe légal et sur certaines caractéristiques biologiques innées, mais qu’il constituait néanmoins un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d’atteindre les buts poursuivis par l’IAAF, à savoir assurer une compétition équitable dans les épreuves féminines2.
Le TAS a cependant relevé qu’il n’en restait pas moins «sérieusement préoccupé» quant à l’application future du Règlement DSD, précisant qu’une «attention constante» devait être portée au caractère équitable de la mise en œuvre de ces dispositions réglementaires3.
2.2. Devant le Tribunal fédéral
Le 28 mai 2019, Caster Semenya a saisi le Tribunal fédéral d’un recours en matière civile contre la sentence du TAS. Elle a notamment fait valoir une discrimination fondée sur le sexe, ainsi que des atteintes à sa dignité humaine et aux droits de sa personnalité.
Par arrêt du 25 août 2020, le Tribunal fédéral a rejeté son recours4 .
Avant d’examiner, sur le fond, les griefs soulevés par Caster Semenya, le Tribunal fédéral a estimé utile de rappeler son rôle lorsqu’il statuait sur un recours dirigé contre une sentence arbitrale internationale ainsi que l’étendue de son pouvoir d’examen5.
Il a en particulier observé que le recours en matière d’arbitrage international ne pouvait être formé que pour l’un des motifs énumérés de manière exhaustive à l’art. 190 al. 2 LDIP et que l’examen matériel d’une sentence arbitrale internationale était ainsi limité à la question de la compatibilité de la sentence avec l’ordre public6. Il a ajouté que sa mission, dans un tel cas, ne consistait pas à statuer avec une pleine cognition, à l’instar d’une juridiction d’appel, mais uniquement à examiner si les griefs recevables formulés à l’encontre de ladite sentence étaient fondés ou non7.
Ensuite, se référant à la jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) en matière d’arbitrage dans le domaine du sport, dans des affaires jugées par le TAS8, le Tribunal fédéral a estimé qu’il y avait lieu d’admettre que ces règles particulières qui régissaient le recours dirigé contre une sentence arbitrale internationale – soit en particulier la limitation des griefs admissibles, un contrôle matériel de la sentence uniquement sous l’angle de la notion restrictive d’ordre public et, de façon générale, un pouvoir restreint – étaient compatibles avec les garanties de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)9. Le Tribunal fédéral a précisé qu’il ne saurait être assimilé à une cour d’appel qui chapeauterait le TAS et vérifierait librement le bien-fondé des sentences en matière d’arbitrage international rendues par cet organe juridictionnel10.
Sur le fond, le Tribunal fédéral a estimé que le Règlement DSD constituait une mesure nécessaire et proportionnée pour atteindre les buts visés par l’IAAF11. Aussi, il est arrivé à la conclusion que la sentence arbitrale attaquée n’était pas incompatible avec l’ordre public matériel au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP12.
3. La procédure devant la CourEDH
Le 18 février 2021, Caster Semenya a déposé une requête auprès de la CourEDH contre l’arrêt du Tribunal fédéral du 25 août 2020.
Elle a invoqué une violation de l’article 14 CEDH, qui interdit toute discrimination, notamment fondée sur le sexe, combiné avec l’article 8 CEDH, qui garantit le droit au respect de la vie privée, estimant avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire en raison de son taux de testostérone naturellement élevé.
Elle a aussi invoqué une violation de l’article 13 CEDH, qui garantit le droit à un recours effectif, combiné avec les dispositions précitées, se plaignant du pouvoir de contrôle limité du Tribunal fédéral.
3.1. Violation des articles 8 et 14 CEDH
Dans son arrêt du 13 juillet 2023, la Cour a relevé que le Règlement DSD avait été adopté par World Athletics, soit une association de droit monégasque. Elle a ainsi estimé qu’en l’absence d’une mesure étatique, il lui appartenait d’examiner si l’État défendeur s’était acquitté de ses obligations positives par rapport aux articles 8 et 14 CEDH13.
La Cour a observé que la question principale qui se posait était ainsi de savoir si la Suisse était tenue, et, dans l’affirmative, dans quelle mesure, de protéger Caster Semenya contre tout traitement discriminatoire découlant de l’adoption du Règlement DSD14. Partant, il convenait, en particulier, de vérifier si l’athlète avait disposé des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes, soit un système de juridictions devant lesquelles elle avait pu faire valoir ses griefs, en particulier celui fondé sur l’article 14 CEDH, et si celles-ci avaient rendu des décisions dûment motivées et tenant compte de la jurisprudence européenne15.
Dans le cadre de cet examen, la Cour a d’emblée précisé qu’il était nécessaire de garder à l’esprit la spécificité de la situation de Caster Semenya, qui n’avait pas eu d’autres choix, pour pouvoir participer aux épreuves organisées par World Athletics, que de signer la clause d’arbitrage obligatoire excluant toutes les voies de droit devant les tribunaux nationaux ordinaires16.
La Cour a ensuite rappelé qu’elle avait «maintes fois» déclaré que les différences exclusivement fondées sur le sexe devaient être justifiées par des «considérations très fortes», des «motifs impérieux» ou, autre formule parfois utilisée, des «raisons particulièrement solides et convaincantes», ajoutant que des considérations similaires devaient s’appliquer si une différence de traitement était fondée sur les caractéristiques sexuelles d’un individu et son état de personne intersexe17.
3.1.1. Pouvoir de contrôle du TAS et du Tribunal fédéral
C’est dans ce contexte que la Cour a commencé par examiner le pouvoir de contrôle du TAS et du Tribunal fédéral18.
Elle a ainsi observé que le TAS avait procédé, en l’espèce, à un examen détaillé de l’allégation de discrimination et avait conclu que si le Règlement DSD était discriminatoire, il n’en constituait pas moins une mesure nécessaire, raisonnable et proportionnée pour atteindre les buts poursuivis par l’IAAF, en particulier garantir une compétition équitable. Elle a ajouté que si le TAS avait certes appliqué des critères assez similaires aux considérations de la Cour sur le terrain de l’article 14 CEDH (caractère nécessaire, raisonnable et proportionné), force était néanmoins de constater que son analyse ne se référait aucunement à cette disposition, ni à la jurisprudence européenne qui aurait pu être pertinente19.
Elle a ensuite observé, s’agissant du Tribunal fédéral, que son pouvoir était limité à la question de savoir si la sentence arbitrale était incompatible avec l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP. Elle a relevé que, selon la pratique du Tribunal fédéral, tel était le cas si la sentence méconnaissait les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devaient constituer le fondement de tout ordre juridique. La Cour a ajouté que l’incompatibilité de la sentence avec l’ordre public était, dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, une notion encore plus restrictive que celle d’arbitraire. Elle en a ainsi conclu que le Tribunal fédéral, en raison de son approche restrictive, jouissait d’un pouvoir d’examen «très limité» dans le cas d’espèce20.
La Cour a estimé que si un tel contrôle pouvait se justifier dans le domaine de l’arbitrage commercial, où des entreprises qui se trouvaient généralement sur un pied d’égalité s’accordaient sur une base volontaire pour régler leurs litiges de cette manière, il pouvait s’avérer plus problématique en matière d’arbitrage dans le sport, où les individus se voient confrontés à des organisations sportives souvent très puissantes. Elle a observé que le Tribunal fédéral avait lui-même reconnu, dans la présente affaire, que «le sport de compétition se caractérise par une structure très hiérarchisée, aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Établies sur un axe vertical, les relations entre les athlètes et les organisations qui s’occupent des diverses disciplines sportives se distinguent en cela des relations horizontales que nouent les parties à un rapport contractuel»21.
Partant, la Cour a retenu qu’elle ne voyait pas pourquoi la protection judiciaire devait être moindre pour des sportifs professionnels que pour des personnes exerçant un métier plus conventionnel22.
3.1.2. Doutes scientifiques
La Cour a ensuite abordé la question des doutes scientifiques quant à la justification du Règlement DSD. À cet égard, elle a rappelé que le TAS avait lui-même exprimé de sérieuses préoccupations concernant ce règlement, et ce au moins à trois égards. Il a en effet reconnu que les effets secondaires du traitement hormonal étaient «significatifs»; il a aussi relevé qu’une athlète, tout en suivant scrupuleusement le traitement hormonal qui lui avait été prescrit, pouvait se trouver dans l’incapacité de satisfaire aux exigences du Règlement DSD; enfin, il a considéré que les preuves d’un avantage athlétique concret dans les disciplines du 1500 mètres et du mile étaient «peu nombreuses»23.
La Cour a ensuite observé que le Tribunal fédéral n’avait quant à lui pas non plus essayé d’écarter les doutes exprimés par le TAS concernant l’application en pratique et le fondement scientifique du Règlement DSD, alors que, notamment, des rapports récents d’organes compétents en matière de droits de l’homme faisaient état de préoccupations sérieuses quant à la discrimination à l’égard des femmes dans le monde du sport, y compris des athlètes hyperandrogènes, sur le fondement de règlements tels que celui en cause en l’espèce24.
Dans ces circonstances, la Cour a considéré que ni le TAS ni le Tribunal fédéral ne s’étaient livrés à un examen approfondi, à la lumière de la CEDH, des motifs à l’appui de la justification objective et raisonnable du Règlement DSD25.
3.1.3. Pesée des intérêts et effets secondaires du traitement imposé
La Cour a ensuite observé que le Tribunal fédéral s’était pour l’essentiel contenté d’entériner, à l’aune de la notion très restreinte de l’ordre public, les conclusions du TAS, sans se livrer à son propre examen des questions litigieuses et qu’il n’avait en particulier pas procédé à un examen complet et suffisant du grief tiré du traitement discriminatoire, ni à une pesée appropriée et suffisante de tous les intérêts pertinents en jeu, comme l’exige la CEDH26.
La Cour a relevé qu’afin de satisfaire aux exigences de l’article 14 CEDH, le Tribunal fédéral aurait dû mettre en balance les intérêts invoqués par World Athletics, notamment celui d’une compétition équitable, avec ceux invoqués par Caster Semenya, notamment ceux liés à sa dignité et à sa réputation, son intégrité physique, sa sphère privée, y compris ses caractéristiques sexuelles, et son droit d’exercer sa profession. Elle a observé que le Tribunal fédéral ne l’avait pas fait, puisque, d’après sa jurisprudence, un tel examen ne relevait pas de la notion de l’ordre public27.
La Cour a ensuite relevé que le Tribunal fédéral était parti du principe que le Règlement DSD offrait à Caster Semenya un vrai choix, soulignant que les pilules contraceptives n’étaient pas prescrites de force aux athlètes hyperandrogènes puisque celles-ci conservaient toujours la possibilité de refuser de suivre un tel traitement. Or, la Cour a rappelé que Caster Semenya n’avait pas de véritable choix: soit elle se soumettait à un traitement médicamenteux, susceptible de porter atteinte à son intégrité physique et psychique, afin de diminuer son niveau de testostérone et de pouvoir exercer son métier, soit elle refusait ce traitement avec la conséquence de devoir renoncer à ses compétitions de prédilection, et donc à l’exercice de sa profession.
La Cour a relevé que la solution retenue impliquait de toute façon une renonciation à certains droits garantis par l’article 8 CEDH. Elle a ainsi estimé que pour satisfaire aux exigences de la CEDH, le Tribunal fédéral aurait dû aborder le dilemme auquel Caster Semenya était confrontée28. La Cour a relevé que le Tribunal fédéral n’avait, en particulier, pas suffisamment pris en compte l’argument des effets secondaires liés à l’utilisation de contraceptifs oraux, se bornant à renvoyer à la sentence du TAS selon laquelle ces effets étaient pourtant «significatifs»29. La Cour a ainsi estimé qu’afin de se livrer à un examen compatible avec les exigences de la CEDH, le Tribunal fédéral aurait dû répondre de manière plus approfondie, notamment à l’argument des effets secondaires du traitement30.
3.1.4. Conclusions de la CourEDH
Compte tenu de ce qui précède, la Cour a estimé que, dans le cadre d’un arbitrage forcé qui privait Caster Semenya de la possibilité de saisir les juridictions ordinaires, la seule voie qui lui était ouverte était le TAS, qui, en dépit d’un raisonnement très détaillé, n’avait pas appliqué la CEDH et avait laissé planer des doutes considérables quant à la validité du Règlement DSD. La Cour a par ailleurs observé que le contrôle exercé par le Tribunal fédéral était très restreint, à savoir limité à la conformité de la sentence arbitrale avec l’ordre public, et n’avait en l’espèce pas permis de répondre aux préoccupations sérieuses exprimées par le TAS31.
Dans ces circonstances, la Cour a estimé que Caster Semenya n’avait pas bénéficié des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes qui lui auraient permis de faire valoir ses griefs de manière effective, d’autant qu’il s’agissait de griefs bien étayés et crédibles d’une discrimination subie à raison d’un taux de testostérone naturellement élevé. Dès lors, et en particulier eu égard à l’enjeu personnel significatif pour Caster Semenya, à savoir sa participation à des compétitions d’athlétisme au niveau international et donc l’exercice de sa profession, la Cour a estimé que la Suisse avait outrepassé la marge d’appréciation réduite dont elle jouissait dans le cas d’espèce qui portait sur une discrimination fondée sur le sexe et les caractéristiques sexuelles, laquelle ne pouvait être justifiée que par des «considérations très fortes».
Elle a ajouté que l’enjeu significatif de l’affaire pour Caster Semenya et la marge d’appréciation réduite de la Suisse auraient dû se traduire par un contrôle institutionnel et procédural approfondi, dont elle n’avait pas bénéficié en l’espèce. La Cour a ainsi retenu qu’elle n’était pas en mesure d’affirmer que le Règlement DSD, tel qu’appliqué à l’égard de Caster Semenya, pouvait être considéré comme une mesure objective et proportionnée au but visé32.
Partant, la Cour a estimé qu’il y avait eu violation des articles 8 et 14 CEDH33.
3.2. Violation de l’article 13 CEDH
Essentiellement pour les mêmes raisons que celles qui l’ont amenée à constater une violation des articles 8 et 14 CEDH, à savoir l’absence de garanties institutionnelles et procédurales suffisantes en Suisse, la Cour a aussi conclu à la violation du droit à un recours effectif au sens de l’article 13 CEDH. Elle a rappelé à cet égard que, dans le contexte d’un arbitrage qui lui était imposé par les règlements sportifs pertinents et qui excluait le droit de saisir tout tribunal ordinaire, Caster Semenya n’avait pas eu d’autre choix que de s’adresser au TAS pour contester la validité du Règlement DSD.
Or, en jugeant que celui-ci était certes discriminatoire mais qu’il constituait néanmoins un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d’atteindre les buts poursuivis par l’IAAF, le TAS, puis le Tribunal fédéral, notamment en raison de son pouvoir de contrôle très limité, n’avaient pas apprécié la validité du règlement en cause à la lumière des exigences de la CEDH et, en particulier, n’avaient pas répondu aux allégations de discrimination à la lumière de l’article 14 CEDH, et ce en dépit des griefs bien étayés et crédibles de Caster Semenya34. La Cour a ainsi conclu que, considérés dans leur ensemble et dans les circonstances particulières du cas d’espèce, les recours internes ouverts à l’athlète ne sauraient passer pour effectifs au sens de l’article 13 CEDH35.
Partant, la Cour a estimé qu’il y avait eu violation de l’article 13 CEDH, combiné avec les articles 8 et 14 CEDH36.
4. Commentaire
Il n’est pas surprenant que le règlement litigieux de World Athletics ait été considéré comme discriminatoire. Il n’est pas non plus étonnant qu’il ait été jugé que ce règlement mettait en cause le droit au respect de la vie privée de Caster Semenya.
L’enjeu principal de cette affaire était cependant de savoir si cette discrimination et les atteintes au droit à la vie privée qui en résultaient reposaient sur une justification objective et proportionnée.
C’est sur ce point que la Cour a estimé que le contrôle du TAS, mais aussi et surtout celui du Tribunal fédéral, n’avaient pas été suffisants. Selon la Cour, le Tribunal fédéral ne pouvait pas se contenter du contrôle très restreint qu’il exerce habituellement – à savoir limité à la conformité de la sentence arbitrale avec l’ordre public – mais qu’il aurait dû exercer un contrôle plus approfondi, en appliquant pleinement la CEDH, en particulier sur la nécessité de la discrimination et sur la proportionnalité de celle-ci, en procédant à une pesée plus détaillée des intérêts en présence.
Est-ce ainsi la fin du contrôle restreint du Tribunal fédéral dans le cadre des recours qui lui sont soumis contre une sentence du TAS? Tel ne semble pas être le cas.
À cet égard, on relèvera tout d’abord que la violation des articles 8, 13 et 14 CEDH a été constatée par une courte majorité de quatre juges contre trois et que ces derniers ont longuement exposé leur opinion dissidente commune, relevant que la conclusion à laquelle était arrivée la majorité était «problématique» dans la mesure où, en exigeant du Tribunal fédéral qu’il procède à un examen plus approfondi que celui limité à la compatibilité avec l’ordre public, selon l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, et qui englobe également toutes les obligations découlant de la CEDH, la Cour, d’une part, s’immisçait dans l’interprétation du droit interne et l’interprétait d’une manière contraire à celle de la plus haute juridiction interne et, d’autre part, conférait à la CEDH une portée qu’elle n’avait pas.
En outre, certaines circonstances du cas d’espèce permettent de relativiser la portée de cet arrêt. En effet, la Cour a pris soin de mettre en évidence les particularités de cette affaire, à savoir que, d’une part, Caster Semenya n’avait pas eu d’autre choix que de signer la clause d’arbitrage excluant toutes les voies de droit devant les tribunaux ordinaires, soit qu’il s’agissait d’un arbitrage «forcé» et, d’autre part, que la cause portait sur une discrimination fondée sur le sexe ou les caractéristiques sexuelles, qui doit être justifiée par «des considérations très fortes», rappelant que, dans un tel cas, lorsque l’enjeu personnel pour l’athlète était de surcroît significatif, comme la participation à des compétitions internationales, soit l’exercice de sa profession, la marge laissée à l’État pour apprécier si les droits tirés de la CEDH avaient été méconnus était «réduite»37.
Force est de constater que la problématique est délicate et que le débat n’est certainement pas clos.
1 CAS 2018/O/5794 du 30.4.2019.
2 CAS 2018/O/5794 du 30.4.2019, § 626.
3 CAS 2018/O/5794 du 30.4.2019, § 620.
4 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020.
5 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020, c. 5.2.
6 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020, c. 5.2.1.
7 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020, c. 5.2.3.
8 Arrêt de la CourEDH Platini c. Suisse du 11.2.2020; arrêt de la CourEDH Erwin Bakker c. Suisse du 3.9.2019; arrêt de la CourEDH Mutu et Pechstein c. Suisse du 2.10.2018.
9 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020, c. 5.2.6.
10 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020, c. 5.2.6.
11 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020, c. 9.8.2, 9.8.3.1 et 10.2.
12 TF 4A_248/2019 du 25.8.2020, c. 12.
13 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, §§ 163 et 165.
14 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 165.
15 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 166.
16 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, §§ 167 et 168.
17 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 169.
18 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 171 ss.
19 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, §§ 172 à 174.
20 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 175.
21 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 177.
22 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 178.
23 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 181.
24 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 183.
25 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 184.
26 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 185.
27 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 186.
28 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 187.
29 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 188.
30 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 190.
31 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 200.
32 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 201.
33 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 202.
34 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, §§ 235 et 239.
35 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 239.
36 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, § 202.
37 Arrêt de la CourEDH Semenya c. Suisse du 11.7.2023, §§ 167, 169, 200 et 201.