«Si l'on regarde les pays qui nous entourent, l'Espagne, la France ou l'Italie se sont investies de manière offensive d'une responsabilité de trouver un enfant susceptible d'être adopté par leurs ressortissants. La Belgique francophone a une politique d'ouverture vraiment active; elle entretient de nombreux contacts avec les pays qui n'arrivent pas à faire adopter certains enfants et a créé une coopération visant à trouver les familles adéquates pour eux. En Suisse, en revanche, on se repose largement sur l'initiative privée d'anciens parents adoptifs ayant gardé des contacts dans le pays d'origine de leur enfant et servant d'intermédiaires non professionnels. Cette manière de faire a pourtant ses limites, puisque, sur 21 intermédiaires en vue d'adoption cités sur la page de l'Office fédéral de la justice (OFJ), dix ne prennent plus de nouveaux dossiers», commente Isabelle Lammerant. Cette chargée de cours en droit de la famille à l'Université de Fribourg propose des consultations pour candidats adoptants à la Fondation suisse du service social international à Genève.
Un «marché» où faire des offres
«Les Etats-Unis ou la Suède sont des pays fortement demandeurs, qui entreprennent des initiatives pour obtenir davantage d'enfants à adopter, constate, de son côté, le professeur honoraire de l'Université de Genève Andreas Bucher, spécialiste juridique de l'adoption internationale. L'entrée en vigueur de la Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale instaure certes un régime plus contraignant, mais aussi plus protecteur pour les enfants, ce qui crée l'impression qu'il y a moins de candidats disponibles à l'adoption. Si nous constatons que les Etats-Unis ou la Suède ne rencontrent cependant pas les mêmes problèmes que la Suisse, il faut en conclure que la raison est notre manque d'initiative. L'adoption est, qu'on le veuille ou non, un «marché» dans lequel il faut faire des offres, notamment dans le domaine de la coopération et du développement. Il ne suffit pas de rester les bras croisés et de se plaindre, comme on a souvent l'habitude de le faire dans notre pays. Depuis des années, rien n'a été fait dans le sens d'un investissement dans la formation des intermédiaires. On peut aussi se demander pourquoi la Suisse n'envisage pas de conclure des accords bilatéraux de coopération en matière d'adoption internationale, comme d'autres pays le font. On devrait davantage donner le mandat politique à nos diplomates de favoriser les adoptions.»
Intermédiaires soutenus financièrement
Marlène Hofstetter, responsable du secteur adoption de Terre des hommes, ne cache pas que les problèmes de financement sont au cœur de la décision prise, en mars 2013, par le conseil de fondation de l'organisation de se retirer de l'activité d'intermédiaire pour l'adoption internationale. «En 2011, le nombre d'adoptions intervenues par notre intermédiaire est tombé au-dessous de dix, alors que nous n'avons mené aucune adoption l'an passé (sur quelque 300 adoptions internationales effectuées en Suisse, ndlr). Ce nombre ne nous permet pas de payer les salaires des intervenants. Dans d'autres pays, les intermédiaires sont soutenus financièrement par l'Etat qui s'investit aussi dans la formation, mais ce n'est pas le cas en Suisse», regrette-t-elle. Si elle juge «utopique» l'idée d'enrôler des diplomates «qui ne connaissent pas les particularités de l'adoption internationale d'enfants», elle aimerait, elle aussi, «que les autorités s'impliquent plus en allant voir ce qui se passe dans les pays des enfants à adopter». Alors que Terre des hommes milite pour qu'on renonce aux «adoptions privées» effectuées sans intermédiaire et hors convention de La Haye dans des pays présentant des risques de monnayer cette activité, elle regrette «le manque de courage politique des autorités qui refusent de se couper d'une source possible d'adoption d'enfants».
Un rôle plus actif
«Si les critiques se font maintenant aussi vives, à un moment où la Suisse et beaucoup d'autres pays connaissent une baisse importante du nombre d'adoptions, ce n'est pas un hasard», commente David Urwyler, responsable de l'Autorité centrale pour l'adoption internationale à l'Office fédéral de la justice. Il ajoute que cette autorité a gagné un rôle plus actif depuis la nouvelle ordonnance sur l'adoption (OAdo) entrée en vigueur voici un an: «Son art. 2 I lit. e prescrit que l'OFJ représente la Suisse auprès des autorités d'adoption étrangères et promeut la collaboration avec ces autorités.» Une tâche qui n'est pas limitée aux pays parties à la Convention de La Haye et qui vise principalement que les adoptions se fassent dans l'intérêt de l'enfant, et pas pour obtenir le plus grand nombre d'enfants possible. Les effectifs de l'autorité centrale suisse - un poste et demi - limitent cependant ce qui peut être concrètement fait. «Nous rencontrons les autorités responsables de l'adoption à l'étranger, mais il y a certes des pays qui ont plus d'effectifs à disposition pour faire cette promotion, comme la France par exemple. L'Espagne a invité, dans le passé, tous les deux ans à Madrid les autorités centrales d'Amérique latine.» Ces pays sont confrontés à la même réalité dans le domaine de l'adoption internationale, ajoute David Urwyler.
Conférence au Sénégal
L'autorité centrale helvétique «a régulièrement recours au personnel des ambassades pour obtenir des informations plus concrètes sur une situation locale, par exemple au Cambodge ou à Haïti, pour évaluer si nous pouvons commencer d'y permettre les adoptions, précise-t-il encore. La Convention de La Haye rend en général obsolète la nécessité des pays membres de conclure des accords complémentaires favorisant les adoptions. Il est bien plus important de créer des liens de confiance directs et d'offrir une coopération sérieuse et visant l'intérêt de l'enfant. Dans ce sens, nous avons récemment participé, au Sénégal, à une conférence avec une quinzaine de pays africains, entre autres pour évaluer si certains de ces pays envisagent une coopération accrue avec notre pays.»
David Urwyler ne s'exprime en revanche pas sur l'idée de soutenir financièrement les intermédiaires en vue d'adoption. En revanche, il relève «que, au moment où les intermédiaires ne suivent plus, chacun, que quelques cas par année, la situation actuelle commanderait surtout qu'ils regroupent leurs forces. L'Allemagne ne compte que douze intermédiaires pour un pays qui est dix fois plus grand et ces intermédiaires rencontrent des problèmes similaires.» Il relativise aussi l'importance des adoptions effectuées dans des pays non parties à la Convention de La Haye et sans intermédiaires: «Elles représentent moins d'un quart de toutes les adoptions internationales. Jusqu'ici, nous n'avons pas la preuve que de telles adoptions entraînent davantage d'abus. Les structures pour protéger les enfants ne sont pas forcément plus fiables dans les Etats qui ont ratifié la Convention de La Haye. Il faut aussi relever que les pays ayant les structures d'encadrement les plus faibles sont aussi ceux où les enfants ont potentiellement le plus besoin de profiter de l'adoption internationale.»
Réforme de l'âge des adoptants
Cette année encore, le Conseil fédéral devrait présenter un projet de réforme de l'âge des adoptants qui tienne compte des critiques émises par le Conseil national. Les couples ne peuvent actuellement déposer une demande qu'après avoir atteint 35 ans ou cinq ans de mariage. «Même si la Suisse n'est pas partie à ce texte, on peut partir du principe que la Suisse s'alignera sur les conditions prévues par la Convention européenne du Conseil de l'Europe en matière d'adoption des enfants, qui prévoit, à son art. 9, un âge minimum compris entre 18 et 30 ans. Je doute cependant que cela n'augmente sensiblement le nombre de dossiers proposés, qui émanent en général de parents déjà plus âgés», conclut David Urwyler.