Parallèlement à la Cour européenne des droits de l’homme et à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples constitue l’instrument régional de défense des droits de l’homme depuis 2006 sur le continent africain.
La Cour est composée de 11 juges élus par l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine (UA). Seul le président de la Cour exerce ses fonctions à temps plein, les dix autres juges travaillent à temps partiel. Le siège de la Cour est à Arusha en Tanzanie.
L’année dernière, au total, 33 plaintes ont été introduites auprès de la Cour. «Actuellement 61 cas sont pendants et 25 cas ont été tranchés de manière définitive» écrit le juge allemand Markus Löffelmann dans un texte pour la Revue européenne des droits de l’homme (N° 18-20). Il a dirigé, de 2008 à 2010, l’équipe allemande de soutien auprès de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
La compétence de la Cour s’étend seulement aux 30 des 54 Etats membres de l’Union africaine ayant ratifié le Protocole relatif à la Cour. Celle-ci peut examiner des affaires et contentieux relatifs à l’interprétation et à l’application de la Charte africaine, du Protocole relatif à la Cour et de tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’Etat concerné. Elle peut aussi rendre des avis juridiques sur toute question de sa compétence et interpréter ses propres arrêts.
Deux cas importants ont été tranchés ces dernières années.
Le cas Norbert Zongo
Le 13 décembre 1998, Norbert Zongo, un journaliste burkinabé, est assassiné avec son plus jeune frère et deux collègues. Les cadavres ont été découverts au sud du pays dans une voiture. Les meurtriers n’ont pas été arrêtés, à ce jour. Zongo avait fait des recherches sur divers scandales politiques et économiques, en particulier sur la mort du chauffeur de François Compaoré, le frère de celui qui présidait alors l’Etat, Blaise Compaoré. Les plaignants (les descendants des personnes tuées et une ONG de protection des droits de l’homme burkinabé) faisaient valoir devant la Cour que l’Etat n’avait pas mis en œuvre les mesures nécessaires pour élucider le cas. Les organes d’enquête auraient manqué d’auditionner les suspects, en particulier François Compaoré, à temps, comme cela était requis.
Dans sa décision de 2014, la Cour a reconnu une violation du droit d’être entendu. Les autorités de poursuite nationales n’auraient pas entrepris les efforts nécessaires pour élucider les meurtres.
Le cas Christopher Mtikila
En juin 2013, les juges ont rendu pour la première fois une décision confirmant une plainte individuelle. Le Tanzanien Christopher Mtikila s’était plaint de ce que la Constitution de ce pays n’autorisait pas les candidats indépendants d’un parti à participer aux élections. La Cour a reconnu une violation de la liberté d’association et du droit de participer à la conception des affaires publiques en Tanzanie.
«Les juges manquent de temps»
Les onze juges doivent être membres de l’un des Etats de l’Union africaine, mais la Cour ne peut compter deux juges de la même nationalité. Les juges ne représentent pas leur Etat et, selon l’art. 17 du Protocole, leur indépendance doit être assurée en conformité avec le droit international. Tous les deux ans, le collège des juges élit en son sein le président de la Cour et son suppléant.
Ce qui est inhabituel pour un tribunal est qu’il n’existe pas de séparation entre l’activité judiciaire et administrative. L’avocate et experte des droits de l’homme hambourgeoise Iris Breutz le déplore: «En pratique, cela conduit à des processus de décision fastidieux. Avec l’augmentation des cas soumis à la Cour, il reste en outre aux juges à peine suffisamment de temps pour traiter et investiguer les cas.» Si un arrêt est rendu, les Etats condamnés ont, selon l’art. 30 du Protocole, l’obligation de s’y conformer et de le mettre en pratique. Il n’existe toutefois pas de système exécutoire.
La Cour peut aussi trancher les cas de contestation sur sa compétence (art. 3 du Protocole). Elle peut donner un avis consultatif (art. 4 du Protocole) sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme; un Etat membre de l’UA, l’UA elle-même ou l’un de ses organes, une organisation africaine reconnue par l’UA peut l’en charger.
Selon l’art. 5 du Protocole, ont qualité pour saisir la Cour:
• la Commission africaine des droits de l’homme;
• l’Etat partie qui a saisi la Commission;
• l’Etat partie contre lequel une plainte a été introduite;
• l’Etat partie dont le ressortissant est victime d’une violation des droits de l’homme
• les organisations intergouvernementales africaines.
Accès limité à la Cour
Les personnes individuelles ne peuvent saisir la Cour que si leur pays a ratifié le Protocole et a fait une déclaration acceptant la compétence de ce tribunal (art. 34 ch. 6). La Cour ne traitera une telle requête que lorsque l’Etat en cause l’aura expressément autorisé en faisant la déclaration adéquate. Parmi les trente pays qui ont reconnu la jurisprudence de la Cour, seuls sept ont, jusqu’ici, déposé une telle déclaration, soit la Tanzanie, le Mali, le Malawi, le Ghana, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Cette limitation des requêtes individuelles freine de manière importante l’accès à la Cour. L’harmonisation des règles de procédure entre la Cour et la Commission a introduit depuis 2010 au moins la possibilité, pour la Commission, de soumettre des cas à la Cour. De son côté, la Commission a le pouvoir de recevoir des requêtes individuelles contre un Etat.
La Charte africaine est l’instrument juridique de base pour les institutions africaines luttant pour les droits de l’homme. Elle est fortement imprégnée des valeurs de ce continent et comprend non seulement des droits individuels, mais aussi un catalogue complet de devoirs. Ce dernier précise que la personne individuelle a aussi des devoirs vis-à-vis de sa famille, de la société, des autres collectivités légalement reconnues et de la Communauté internationale (art. 27). L’individu a le devoir «de respecter et considérer ses semblables sans discrimination aucune» et d’«entretenir avec eux des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la tolérance réciproques» (art. 28). L’art. 29 précise que l’individu a en outre le devoir de préserver le développement harmonieux de la famille, de respecter à tout moment ses parents et de servir sa communauté nationale en mettant ses capacités physiques et intellectuelles à son service, de payer ses impôts pour le bien de la communauté, de contribuer à la réalisation de l’unité africaine ainsi que de renforcer l’indépendance nationale et l’intégrité territoriale de sa patrie.
Selon Iris Breutz, la Charte africaine se différencie, de par ce catalogue de devoirs, fortement de l’idéologie européenne des droits de l’homme. Elle écrit à ce sujet: «La CEDH voit l’individu en premier lieu comme un titulaire de droits et l’Etat comme porteur de devoirs à son égard. Par conséquent, les droits de l’homme en Europe ont avant tout le caractère de droits de défense vis-à-vis de cet Etat. Dans la tradition africaine existe une interdépendance entre les droits et les devoirs, qui rend l’individu porteur d’obligations à côté de l’Etat.»
Selon Markus Löffelmann, on a fait à la Cour de nombreux éloges prématurés. Avec les années, beaucoup ont considéré son développement avec une déception croissante. «La construction organisationnelle de la Cour se faisait trop lentement, la retenue des Etats membres était trop importante - surtout en ce qui concerne les déclarations acceptant sa compétence dans le cas important des requêtes individuelles, et le recours de la société civile à cette Cour était en général trop hésitant.»
L’European Center for Constitutional and Human Rights fait le même constat: «La CrEDH et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont beaucoup plus d’importance, aussi parce que de nombreuses décisions en matière de protection des droits de l’homme ont une portée qui dépasse le cas particulier.»
«Limites de capacité atteintes»
Selon Markus Löffelmann, la Cour s’est développée favorablement durant ces dernières années: «Je pars de l’idée que ce développement va se poursuivre. La question des ressources limitées reste cependant un problème. La Cour ne pourrait gérer un nombre de cas analogue à celui de la CrEDH, pas même dans une certaine mesure.» Dans les dernières sessions de septembre, le Tribunal a traité septante requêtes et rendus quatre avis de droit. «Les limites de capacité de la Cour doivent ainsi être atteintes», poursuit-il.
Il sera déterminant pour les développements futurs de savoir si d’autres Etats vont faire la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour les requêtes individuelles. Le processus d’adhésion se déroule cependant lentement. Markus Löffelmann souhaiterait plus d’encouragements de la part de l’Europe: «La crise des réfugiés pourrait constituer un motif adéquat.»