En trois semaines de lecture du quotidien italien La Reppublica, aucun événement fondamental se passant en Suisse n'a semblé mériter l'attention de nos voisins transalpins. Les bisbilles de l'exécutif fédéral, la reprise économique, l'héritage de Nicolas Hayek devaient y être évoquées dans des articles aux formats si réduits que nous n'avons pu en prendre connaissance. Jusqu'à ce 28 juillet 2010, où, annonce une accroche tapageuse en première page, «La Suisse interdit l'amour entre collègues de travail».
Bigre ! S'agissait-il là d'un développement de la jurisprudence du Tribunal fédéral, admettant le congé immédiat pour la travailleuse qui entretient une relation adultère avec l'époux de l'actionnaire et administratrice unique de l'employeur (tout au moins dans le cas où la relation entre les époux n'est pas déjà préalablement compromise, ATF 129 III 380)? Rien de tout cela: à la lecture, on découvrait que le comportement que les journalistes italiens attribuaient à «La Suisse» n'était en fait que le contenu d'une directive du groupe de luxe Richemont (Cartier, Mont Blanc, Baume et Mercier, Jaeger-Lecoultre font entre autres partie de cette belle famille), dont le siège est à Bellevue, dans le canton de Genève.
Nous brûlions, au retour de nos vacances, de prendre connaissance du texte original de cette directive. En effet, le professeur de droit du travail à l'Université de Neuchâtel Jean-Philippe Dunand ne le commentait que par ouï-dire dans l'article de nos confrères, ne l'ayant lui-même jamais eue en mains: «Je ne l'ai pas lue, mais sur la base de ce que l'on m'en a dit, elle me semble contraire au droit de la protection des données», soulignait-il. Sur quelles bases juridiques en effet un employeur pourrait-il mettre le nez dans la vie sentimentale de ses employés? Sans compter les difficiles questions relatives à la proportionnalité des comportements évalués: dans un pays où le TF a admis que l'usage de «petits noms» par un employeur dénommant sa collaboratrice «ma petite», «ma grande», «chouchou» ou «ma belle enfant», «bichounette» ou »ma chérie» n'était ni illicite, ni constitutif de harcèlement, du moins dans une entreprise à l'atmosphère familiale et détendue où tout le monde se tutoie (si l'employée ne semble pas s'en plaindre et si elle répond elle-même sur le même ton), il en faut semble-t-il davantage pour que le badinage puisse troubler les rapports de travail1.
L'efficace service de presse du groupe Richemont mit tout de même quatre jours pour nous faire savoir, et d'un, qu'il nous remerciait de notre demande mais que le groupe n'avait aucun commentaire à faire sur cette question, et de deux (suite à un nouveau téléphone de notre part), qu'il ne pouvait pas nous faire parvenir le texte souhaité. Ultime espoir, la Radio suisse romande, source de l'information, fut sollicitée en vain: si les responsables de l'information se souvenaient de ce scoop diffusé dans la torpeur estivale, le texte original de la directive - si tant est qu'ils l'aient eu en mains - n'était plus en leur possession depuis longtemps.
Tant pis pour la science: en Europe, signale le quotidien le Monde2, une étude de la société Monster a révélé que près de 30% des couples se sont rencontrés au travail, lieu encore plus propice aux rencontres que Meetic puisque «mêmes diplômes, mêmes centres d'intérêts, chacun s'y montre sous son meilleur jour». La même étude révélait que 50% des salariés s' «accordaient régulièrement des moments de rêverie où ils se mettent en scène avec un collègue», certains audacieux estimant même qu'«avoir une relation sexuelle dans le cadre de son travail arrivait une fois tous les sept ans environ».
De quoi laisser songeurs les auteurs de la mystérieuse directive eux-mêmes... (S.Fr)
1Arrêts 4C.60/2006 du 22 mai 2006
et 4C.276/2004 du 12 octobre 2004
2Le Monde.fr du 20.08.2010
Un tiers de la criminalité s'efface en un clic
Un logiciel spécial destiné à prédire la criminalité permet de «réduire les crimes graves de plus de trente pour cent», selon l'entreprise de technologie de l'information et cabinet de conseil IBM à Memphis, Tennessee. «Blue Crush» utilise les statistiques historiques des méfaits commis. Le programme recherche dans son échantillonnage: quand et où certains crimes ont-ils eu tendance à augmenter? Il relie ensuite le résultat obtenu avec des informations sur la situation actuelle, comme le bulletin météo, les manifestations ou des infos tirées des rapports de police, afin d'établir des prédictions, tel le lieu où un plus grand nombre de délits est susceptible de se produire.
La cause (le logiciel) a-t-elle bien un lien avec l'effet (recul des délits)? Jeter un œil sur les statistiques du FBI révèle que ce n'est pas seulement à Memphis, mais dans tout le pays que les taux de criminalité sont en recul. Memphis occupe même la peu glorieuse seconde place sur la liste des villes les plus dangereuses des USA, juste derrière Detroit. Le plus étonnant n'est pas l'effet de Blue Crush, mais la créativité du service marketing d'IBM. tom