La nécessité de faire toute la lumière sur le financement des partis ainsi que des campagnes électorales et de votation divise la classe politique. Parmi les spécialistes en droit constitutionnel, en revanche, un consensus se dégage en faveur d'une transparence accrue de l'origine et du montant des fonds, perçue comme une condition de la liberté de vote. «Les constitutionnalistes que nous sommes sont frappés par l'absence de règles sur la transparence, alors que le peuple est l'autorité suprême», commente Tiziano Balmelli, auteur d'une thèse sur le sujet (lire page 12). «Il n'est pas possible d'avoir une démocratie sans un minimum de transparence, ajoute Alexandre Flückiger, professeur à l'Université de Genève. Une transparence des comptes des partis, mais aussi des campagnes électorales et de votations. Car l'impact des formations disposant de beaucoup d'argent est phénoménal. La liberté de vote des citoyens s'en trouve évidemment entravée.»
Une comparaison avec les pays voisins suffit à montrer la Suisse comme un pays isolé au sein de l'Europe. Parmi les 40 Etats membres du Groupe d'Etats contre la corruption (Greco) du Conseil de l'Europe, la Suisse est le seul Etat, avec la Suède, à ne disposer d'aucune réglementation du financement de la vie politique (les partis suédois se soumettent toutefois à un régime d'autorégulation). Le constat a été dressé dans un avis de droit commandé par le Département fédéral de justice et police, dans l'attente des recommandations du Greco envers la Suisse (annoncées pour le mois d'octobre).
Pour les adversaires de la transparence, l'exception helvétique se justifie par le caractère unique de la démocratie directe: comment réglementer toutes les campagnes de votation, émanant non seulement des partis mais aussi de groupes extrêmement divers? De plus, le pluralisme du gouvernement limiterait l'influence des différents partis et, par conséquent, les risques de corruption. «Le multipartisme et la démocratie directe compliquent certes la réglementation du financement, mais ils ne la rendent pas impossible», rétorque Alexandre Flückiger.
En cette année d'élections fédérales, différentes propositions ont été faites pour améliorer la situation. Une initiative parlementaire réclame la présentation des comptes des partis à un organe de contrôle chaque trimestre et la publication de la provenance des dons (s'ils atteignent 10000 fr.), mais elle a échoué devant la Commission des institutions politiques du Conseil national. Une autre motion, plus modeste, a passé le cap de la commission équivalente du Conseil des Etats: elle se limite à exiger la transparence du financement des campagnes précédant les votations (et non du financement des partis en général).
Dans les cantons, des tentatives de légiférer sur le financement des partis ont échoué à Fribourg et Berne. Mais elles ont abouti au Tessin, à Genève et Neuchâtel.
Tessin
Au Tessin, les partis politiques doivent communiquer à la Chancellerie cantonale les dons qui dépassent 10000 fr. Sans cela, la contribution publique allouée au groupe parlementaire concerné peut être réduite ou supprimée. De plus, les candidats à une élection au Tessin ou les comités d'initiative ou référendaires cantonaux doivent communiquer les dons de plus de 5000 fr, faute de quoi ils peuvent être sanctionnés par une amende de 7000 fr. La publicité des communications concernant les dons est assurée par une parution dans la Feuille officielle tessinoise (art. 114 et 115 de la loi sur l'exercice des droits politiques).
Genève
A Genève, une révision de la loi sur l'exercice des droits politiques (art. 29a, 83a et 83b LEDP) est entrée en vigueur le 31 mars 2011. Elle prévoit que les partis, associations ou groupements qui déposent des listes de candidats pour les élections cantonales ou communales (dans les communes de plus de 10000 habitants) soumettent chaque année leurs comptes à l'autorité compétente, de même que la liste de leurs donateurs. Autrement dit, les dons anonymes sont interdits. Par ailleurs, tout groupement qui dépose une prise de position lors d'une votation fédérale, cantonale ou communale soumet dans les 60 jours à l'autorité compétente les comptes relatifs à cette opération de vote et la liste complète de ses donateurs.
Les comptes et les listes de donateurs peuvent être consultés par les citoyens intéressés. Ils sont vérifiés systématiquement par un organe de contrôle indépendant choisi par le parti, parmi les fiduciaires reconnues par l'autorité compétente.
Comme récompense pour leurs efforts de transparence, les partis représentés au Parlement cantonal reçoivent une somme de 100000 fr. par an, auxquels s'ajoutent 7000 fr. par élu. Par ailleurs, l'Etat participe, à certaines conditions, aux frais électoraux des partis ou groupements pour un montant variant selon l'importance du scrutin, mais au maximum 10000 fr. par liste (à l'exception de l'élection du Conseil national). De plus, les pouvoirs publics mettent gratuitement à disposition des emplacements d'affichage avant les élections ou les votations. Mais autant les versements publics que l'affichage gratuit sont supprimés si les comptes restent obscurs!
Neuchâtel
A Neuchâtel, les obligations de transparence se limitent aux partis représentés au Grand Conseil, qui sont tenus de publier chaque année leurs comptes de bilan et de pertes et profits ou de les déposer à la chancellerie d'Etat. Ces comptes peuvent être consultés par les citoyens auprès du secrétariat de la Chancellerie. Mais, dans la rubrique «Dons, divers», l'origine des fonds n'est pas indiquée. En revanche, une rubrique comptable présente les coûts des campagnes électorales. A Neuchâtel également, la transparence a pour corollaire des subsides de l'Etat, qui se montent chaque année à 5000 fr. par groupe parlementaire, auxquels s'ajoutent une contribution de 700 fr. par député élu.