Ce portrait aurait dû se faire beaucoup plus tard, lorsque Me Jean Lob aurait pris sa retraite. Mais, lassée d'attendre un événement qui n'est pas prêt d'arriver, son auteure a décidé de le réaliser sans tarder, en profitant de l'actualité: au début d'octobre, Me Lob a déposé pour son client, un schizophrène reconnu irresponsable d'être entré par effraction chez ses propres parents, un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Il lui pose une bonne question: après l'affaire Skander Vogt, du nom de ce détenu interné et oublié à Bochuz où il trouva la mort dans l'incendie de sa cellule, peut-on maintenir en détention pendant de nombreuses années, et on peut même dire indéfiniment, une personne qui n'a commis que des délits mineurs? Et cela, alors que, selon la dernière expertise datant de cette année, le maintien prolongé en régime d'isolement exerce un effet délétère sur sa santé physique et psychique, du fait de l'absence d'activités et de relations interpersonnelles qui en découle? Si la mesure institutionnelle a un résultat nul, questionne Me Lob, et n'est donc pas susceptible d'améliorer l'état du détenu, n'y a-t-il pas lieu de le considérer enfin comme le malade qu'il est et de le libérer, quitte à ordonner ailleurs un traitement médical?
Me Jean Lob compte cinquante-cinq ans de carrière, dont une bonne partie en tant que spécialiste de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Et pourtant, confie le Lausannois, «quand la CEDH est entrée en vigueur pour la Suisse, en 1974, je m'étais déjà dit que j'étais trop vieux pour tenter de maîtriser cet instrument que je laissais à mes jeunes collègues.» Il a fallu un concours de circonstances (le pasteur de la prison du Bois-Mermet à Lausanne lui avait signalé le cas d'une personne soumise à une peine indéterminée - l'ancien art. 42 CP sur l'internement - après avoir commis de nombreux crimes et délits intentionnels) et une première affaire où il est débouté pour que Me Jean Lob se prenne au jeu. Et ne lâche pas: avocat du mouvement de revendication sociale des jeunes Lôzane bouge, au cours des années 1980-1981, il prend la défense d'une figure de ce mouvement, Marlène Belilos, qui donnera son nom à un célèbre arrêt de Strasbourg. «Elle contestait une amende de police d'un montant infime, mais qui avait été confirmée par la commission de police...». Les cantons furent forcés, désormais, d'assurer l'indépendance des voies de recours.
«Ce qui est dommage actuellement, ce sont les conséquences de la surcharge de la Cour, commente Me Lob. Strasbourg statue après quatre ou cinq ans et vous recevez une décision d'irrecevabilité tenant sur une seule page, ce qui est un peu décevant.» Il se souvient: «Au départ, j'étais un des seuls avocats à faire des requêtes devant la Cour européenne des droits de l'homme. Et aujourd'hui encore, j'ai des confrères qui me sollicitent, me disant: «Nous avons perdu au Tribunal fédéral, pourriez-vous recourir pour nous à Strasbourg? Trop peu de collègues utilisent cet outil, de nos jours, car on l'invoque surtout dans des recours nationaux. Or, nous pourrions contribuer à développer la jurisprudence de la Cour, comme l'affaire Belilos l'a montré.» Me Lob admet cependant «être atteint de recourite, car je recours en règle générale plus que mes confrères. La raison en est que les frais de défense d'office ne sont admis par le Tribunal fédéral et par Strasbourg que si, dans la décision finale, il est admis que le recours n'était pas dénué de chances de succès. Personnellement, j'aime prendre le risque, quitte à en être pour mes frais.»
L'âge n'a pas émoussé, chez Me Jean Lob l'envie de poser des questions qui dérangent. Il a ainsi récemment interpellé l'Ordre des avocats vaudois ainsi que Philippe Leuba, chef du département vaudois de l'intérieur, à propos de la composition de la commission interdisciplinaire consultative, qui préavise, à l'attention du juge d'application des peines, sur les cas de libération conditionnelle des condamnés. Or, cette commission, qui comprend notamment le chef du Service vaudois de médecine et de psychiatrie pénitentiaire, un magistrat judiciaire et un membre du parquet, ne compte aucun représentant de la défense. «Du point de vue de l'égalité des armes, cela pose un problème», juge-t-il.
«Me Lob pose là une vraie question, car la composition de cette commission révèle un gros déséquilibre», relève le bâtonnier de l'Ordre des avocats vaudois, Me Jacques Michod. Quant au premier juge d'application des peines ,Pierre-Henry Knebel, il indique que «l'opinion qui prévaut dans notre office est que la présence d'un avocat dans cette commission ne serait pas déplacée. La question n'est pas farfelue et mérite réflexion.» «La pertinence de cette question vient aussi de l'immense pratique de la chose pénale que possède Me Lob et de sa grande expérience, tout comme celle qu'il pose à propos des personnes ayant besoin de soins en prison. Quelle est la qualité des soins d'un homme qui ne voit un psychiatre qu'une demi-heure par mois, et souvent en changeant de praticien?», s'interroge le bâtonnier Michod.
Me Jean Lob a été l'avocat de groupuscules d'extrême gauche, y compris de la Ligue marxiste révolutionnaire, sans pour autant jamais faire de politique lui-même. «Je l'ai fait par affinités, et sans doute aussi parce que j'ai un côté assez anarchiste.» Mais ce défenseur des droits de l'homme a aussi été l'avocat de Suzanne Montangéro, la responsable des scientologues lausannois. Paradoxal? «Pour moi, la défense pénale n'implique pas d'adhérer aux idées de la personne qu'on défend, ou alors on ne pourrait défendre ni les violeurs d'enfants ni les trafiquants de stupéfiants. J'ai défendu des capitalistes (le réviseur de la Banque Cantonale Vaudoise), de nombreux Arabes (alors que je suis Juif) et même une personne qui avait chez elle des portraits de Hitler. Elle a dû être satisfaite de mes services puisqu'elle m'a recontacté dans une autre affaire, tout en connaissant mon origine; j'ignore si elle a persisté dans son admiration pour ce personnage...»
Pourquoi s'obstiner à défendre à un âge aussi avancé? «Mon confrère Vergès continue aussi à pratiquer en dépit de son âge», rétorque Me Lob. «En principe, lorsqu'on atteint un certain nombre d'années de pratique, on est mis à la retraite par ses propres clients qui estiment qu'on a fait son temps. Or, il se trouve que je suis surchargé de travail. Je ne cours certes pas les prisons en quête de mandats d'office, mais les personnes qui se trouvent en détention parlent entre elles et certaines me recommandent. Parfois, je dois même refuser, car il s'agit de personnes ayant déjà un défenseur d'office et l'on n'admet pas le transfert d'avocat, sauf s'il s'agit d'un stagiaire et si l'affaire possède un certain degré de complexité.»
Me Jean Lob est aussi - même s'il ne le dira pas - un homme de cœur. Lui qui s'était fiancé à une spécialiste de l'escroquerie (elle avait même réussi à tromper son curé), lourdement condamnée par les tribunaux, l'a accompagnée durant sa semi-liberté et défendue lors de son témoignage en justice, lui rendant hommage pour lui avoir «appris à dépenser». Cette femme, dont le cas relevait davantage de la psychiatrie que de la justice pénale, a cependant commis de nouveau délits, avant de mettre fin à ses jours. En relatant cette fin tragique, l'avocat détournera la tête.
Cycliste célèbre pour relier son domicile d'Ouchy à son étude du centre-ville, Me Lob entretient aussi sa forme en jouant fréquemment au tennis, un de ses coups favoris étant même... le lob. «Cette année, j'ai souhaité participé au Championnat suisse des plus de 80 ans. Hélas, je m'y suis retrouvé tout seul!» Dans son genre, Me Lob est, il est vrai, un avocat assez unique.