Mais que se passe-t-il dans la tête de nos élus chargés de traiter la révision de l'AI 6b? La majorité d'entre eux acceptent sans sourciller ce paquet de mesures et refusent obstinément de regarder la réalité. Humainement, ce projet comporte des conséquences dramatiques pour les personnes handicapées et leur famille. Il est d'autant plus choquant qu'il concerne une assurance bénéficiaire, alors que le marché du travail demeure peu disposé à (ré)insérer des personnes avec un handicap.
Pour nous - personnes handicapées, proches et professionnels qui les accompagnent -, il est inconcevable de faire une nouvelle fois passer à la caisse les assurés qui ne peuvent plus - ou moins - travailler en raison d'une atteinte à leur santé. La révision 6b est le quatrième projet de démantèlement de l'AI depuis 2004. Aujourd'hui déjà, les personnes handicapées participent chaque année à hauteur de 700 millions de fr. à l'assainissement de l'assurance. Elles ont perdu de nombreux droits: suppression des rentes pour conjoint, du supplément de carrière, durcissement des conditions d'octroi des prestations, etc. En contrepartie, elles n'ont obtenu qu'un financement additionnel provisoire pour l'AI avec la hausse de la TVA.
Du point de vue purement comptable, cependant, les objectifs des révisions précédentes ont été largement dépassés: le nombre de nouvelles rentes octroyées a dégringolé de 47% entre 2003 et 2010, alors que le Conseil fédéral tablait sur une baisse de 20% en 20 ans. La proportion de personnes au bénéfice de l'AI parmi la population suisse est descendue en 2010 à 3,1‰, alors que l'objectif du gouvernement était d'arriver à 4,8‰ en 2025. Du point de vue «qualitatif», aucun bilan n'a toutefois été fait malgré nos demandes. Qu'est-il advenu des personnes exclues de l'AI? Assiste-t-on à un simple transfert de charges? Les rentiers AI, considérés comme réinsérés professionnellement, l'étaient-ils toujours six mois après leur «réinsertion»? Ces questions et bien d'autres restent sans réponse. Et notre revendication de suspendre le traitement de la révision 6b - en attendant les résultats des recherches sur les 4e et 5e révisions et un bilan de la 6a entrée en vigueur il y a quelques mois - est restée lettre morte.
Des coupes malgré les bénéfices
La vitesse élevée imposée aujourd'hui pour introduire le projet 6b est d'autant moins compréhensible que l'AI fait des bénéfices! En 2011, ceux-ci devraient avoisiner 280 millions de fr., selon le Fonds de compensation AVS/AI/APG. Ces gains sont appelés à croître et à perdurer au-delà du financement additionnel qui échoit à la fin de 2017. Selon des projections de l'OFAS, le désendettement complet de l'AI est possible d'ici à l'horizon 2030-2035, sans nouvelles coupes dans les prestations, donc sans nécessiter le volet 6b de la révision. Ces chiffres sont sans appel. Il n'y a pas de raison de s'obstiner sur la voie du démantèlement avec un nouveau paquet d'économies de 325 millions de fr.
Personnes lourdement handicapées pénalisées
Sans trop entrer dans le détail des nombreuses mesures contenues dans ce projet 6b, il convient de revenir sur trois points largement controversés. Le Conseil fédéral propose un nouveau système de rentes qui vise à «améliorer l'incitation à travailler»1. En réalité, l'objectif est de faire des économies. Ainsi, il est prévu de réduire les rentes des personnes dont le degré d'invalidité se situe entre 60 et 80%. La perte de revenu (pouvant s'élever à 30% de la rente) est censée être compensée par la prise d'un travail à temps partiel. Concrètement, un père de famille atteint de myopathie avec un degré d'invalidité de 70% touche aujourd'hui une rente AI de 100% (moyenne 1720 fr. par mois). Avec le projet 6b, il n'aura plus droit à une rente entière, mais seulement à une rente de 70% (soit 1204 fr. par mois), sous prétexte qu'il n'a qu'à travailler à 30%. Le problème, vous l'aurez bien compris, est que les emplois à 30% adaptés aux personnes souffrant, comme ici, de maladies dégénératives ou d'un handicap n'existent pas ou sont en nombre très limité. Et la concurrence sur ce genre d'emplois est rude: entre l'invalide et la jeune mère de famille qui souhaite retravailler, l'employeur fera vite son choix. Sans compter que, avec la révision 6a, les patrons sont déjà censés offrir des emplois à des rentières et des rentiers AI dont le taux d'invalidité a été réévalué. Il est illusoire de croire que le marché du travail va accueillir les personnes handicapées ou malades chroniques dont les rentes ont été réduites lors d'un exercice purement comptable.
Familles désavantagées
Et le père de famille de notre exemple n'est pas au bout de ses peines, puisque la révision 6b prévoit aussi de couper dans les rentes complémentaires pour enfant. Désormais, celles-ci ne s'élèveront plus qu'à 30% de la (nouvelle) rente principale, contre 40% aujourd'hui. A la place de toucher 1376 fr. par mois pour ses deux enfants, Monsieur X ne recevra plus que 722 fr. Au final, il passera d'un revenu déjà très modeste de 3096 fr. par mois à 1926 fr., soit 1170 fr. de moins mensuellement!
Troisième point particulièrement inique: un assuré ne pourra demander une rente AI que si sa capacité de gain ne peut plus être améliorée, rétablie ou maintenue par des mesures médicales (thérapies, opérations). De nombreuses personnes n'auront ainsi plus droit à une rente durant des années. Et cela même si elles ne sont pas en mesure de trouver, respectivement de conserver, un emploi pour des raisons de santé.
Vers un référendum
Ce démantèlement sur le dos des plus faibles doit cesser! Dans ce but, l'association «Non au démantèlement de l'AI» s'est constituée à la fin de l'année dernière2. Le message de ses 43 organisations membres est clair: Nous sommes unis et déterminés à combattre ce projet de loi. Et, si le Parlement ne nous laisse pas le choix, nous lancerons le référendum.
1Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 11 mai 2011.
2www.non-demantelement-ai.ch