Depuis le 1er juillet 2014, les enfants mineurs seront, d’une manière générale, soumis, en principe, à l’autorité parentale conjointe de leurs père et mère(1). Loin du débat de société et des enjeux idéologiques qui ont présidé à ce changement de paradigme(2), la révision du Code civil a entraîné dans son sillage la modification des règles relatives à l’attribution des bonifications pour tâches éducatives dans l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (AVS/AI). L’objectif de cette contribution est de présenter cette modification et de mettre en lumière les enjeux d’un mécanisme dont l’importance est souvent méconnue.
Le régime actuel
La bonification pour tâches éducatives est un crédit(3) opéré sur le compte individuel de l’assuré au régime de l’AVS/AI pour chaque année entière durant laquelle il détient l’autorité parentale sur un ou plusieurs enfants âgés de moins de 16 ans révolus(4). Contrairement aux allocations familiales, chaque enfant ne donne pas droit à une bonification; c’est le fait de détenir, pendant l’année civile de référence, l’autorité parentale sur un enfant âgé de moins de 16 ans qui donne droit à la bonification. Ce crédit équivaut au triple de la rente AVS minimale, soit, en 2014, 42 120 fr.
Si les parents sont mariés et, par conséquent(5), exercent en commun l’autorité parentale, la bonification est répartie par moitié entre les deux époux(6). C’est une conséquence du «splitting», soit de la répartition par moitié des revenus acquis par les conjoints pendant le mariage.
Lorsque les parents divorcent ou si les parents ne sont pas mariés, la bonification pour tâches éducatives est créditée à celui des deux parents qui se voit attribuer l’autorité parentale. S’ils exercent l’autorité parentale conjointement, ils ont la possibilité de désigner, par écrit, celui des deux parents qui doit bénéficier de la bonification entière(7). A défaut, la bonification est partagée par moitié, comme dans l’hypothèse de parents mariés.
La désignation du parent bénéficiaire peut être faite à l’avance pour le début de chaque année civile. Moyennant cela, il est tout à fait possible d’attribuer alternativement à chaque parent, une année sur deux, la bonification pour tâches éducatives, ou encore de modifier le régime de la bonification pour tenir compte, par exemple, du changement de la situation financière des parents.
Un enjeu important
A priori technique et secondaire dans le contexte des discussions émotionnelles que soulève un divorce, la question de l’attribution des bonifications pour tâches éducatives constitue pourtant un enjeu financier qui peut s’avérer important.
Dans le régime de l’AVS/AI, les rentes dépendent du revenu annuel moyen (RAM) réalisé par l’assuré pendant les années durant lesquelles il a cotisé. Le RAM dépend, donc, du nombre d’années de cotisations, mais aussi des revenus accumulés par l’assuré au cours de sa carrière ou, pour l’assuré qui n’a pas exercé d’activité lucrative, des cotisations versées. Les bonifications pour tâches éducatives s’ajoutent aux revenus provenant de l’activité lucrative ou des cotisations, et viennent ainsi augmenter le chiffre qui, divisé par le nombre d’années de cotisations, donnera finalement le RAM(8), qui permettra à son tour de fixer le montant de la rente(9).
Les rentes, dans le système de l’AVS/AI, sont plafonnées. Cela signifie que, une fois atteint un revenu plafond (plafond AVS), les revenus supplémentaires ne sont plus générateurs de rente ou, autrement dit, ne rapportent plus de prestations sociales. En 2014, le plafond AVS est fixé à 84 240 fr. Ainsi, une personne qui, sur l’ensemble de sa carrière, a réalisé un revenu annuel moyen de 85 000 fr. reçoit, à années de cotisations égales, exactement la même rente que l’assuré qui a réalisé un revenu annuel moyen de 150 000 fr.
En dessous de ce revenu plafond, le montant de la rente AVS/AI est progressif, en fonction du RAM. Dans ce barème, un supplément de l’ordre de 42 000 fr., soit l’équivalent de la bonification pour tâches éducatives, peut représenter une différence de plus de 500 fr. par mois sur la rente versée à l’assuré(10).
En d’autres termes, si l’un des deux parents réalise de toute manière, sur l’ensemble de sa carrière, un revenu proche du plafond AVS, voire supérieur, la bonification pour tâches éducatives qui lui revient est perdue, puisqu’elle ne sera pas génératrice de rente. A l’inverse, le parent qui réalise un revenu annuel moyen de l’ordre de 40 000 fr. profite pleinement de l’octroi de la bonification.
Sous le droit actuellement en vigueur, les parents qui divorcent ont ainsi la possibilité d’optimiser leur situation commune vis-à-vis de l’AVS/AI, quel que soit le régime choisi pour l’autorité parentale. Cette possibilité, souvent méconnue en pratique, pourrait pourtant faciliter la solution de litiges au sujet de l’octroi d’une contribution d’entretien au conjoint(11) ou du partage des avoirs de la prévoyance professionnelle(12).
La nouvelle réglementation
Décidée dans le sillage de la révision du Code civil, une révision du Règlement sur l’assurance-vieillesse et survivants (RAVS(13)) modifie légèrement les mécanismes décrits ci-dessus. Selon l’art. 52fbis RAVS, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015, le juge du divorce ou l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA), chargé de régler la situation de parents non mariés ou divorcés exerçant ensemble l’autorité parentale conjointe devra désormais également régler la question de l’attribution de la bonification pour tâches éducatives (al. 1er). S’écartant du critère de l’exercice de l’autorité parentale, il devra attribuer la totalité de la bonification à celui des parents qui, dans les faits, assure la plus grande partie de la prise en charge de l’enfant. Si cette dernière est répartie de manière équivalente entre les deux parents (c’est-à-dire en cas de garde partagée ou, a priori, de parents non mariés faisant ménage commun), la bonification devra être partagée par moitié (al. 2).
Les parents non mariés qui déclareront à l’Office d’état civil vouloir exercer ensemble l’autorité parentale sur leur enfant devront, dans le même temps, indiquer quel sort doit être réservé à la bonification pour tâches éducatives. S’ils ne sont pas en mesure de le faire à ce moment-là, ils disposeront d’un délai de trois mois pour envoyer à l’APEA une convention ad hoc. A défaut, cette dernière statuera sur l’octroi de la bonification pour tâches éducatives conformément aux principes décrits au paragraphe précédent (al. 3).
Les parents divorcés ou non mariés conserveront la possibilité de se mettre d’accord en tout temps sur le sort des bonifications pour tâches éducatives. Comme aujourd’hui, leurs accords ne vaudront toutefois que pour l’avenir, et ne déploieront d’effet que pour le début d’une année civile (al. 4).
Appréciation
Sur le fond, la révision du RAVS ne change que peu de chose au régime actuel: la bonification pour tâches éducatives ne pourra qu’être attribuée intégralement à un parent ou répartie par moitié entre les deux. Il ne sera pas possible à l’avenir, pas plus qu’aujourd’hui, d’affiner la répartition en convenant, par exemple, d’une répartition à raison d’un tiers pour l’un des parents et de deux tiers pour l’autre.
La possibilité pour les parents divorcés ou non mariés de s’entendre sur la répartition de la bonification et de modifier le régime de son attribution ne change pas non plus. En ce sens, les parents divorcés ou non mariés conservent l’avantage qu’ils ont aujourd’hui sur les couples mariés, qui n’ont pas la possibilité de «jouer» avec la bonification pour optimiser l’assiette AVS/AI du couple.
La modification la plus importante concerne l’hypothèse de parents (divorcés ou non mariés) qui n’ont pas convenu de l’attribution de la bonification pour tâches éducatives. Dans ce cas, le juge du divorce, respectivement l’APEA, devra faire abstraction de la question de l’autorité parentale et attribuer la bonification en fonction de la mesure de la prise en charge de l’enfant par chacun des parents. Vu l’impossibilité d’ajuster la répartition de la bonification, il est prévisible que l’attribution par moitié interviendra lorsque les parents auront convenu d’une garde partagée. Si la garde est attribuée à l’un des parents, l’autre se voyant aménager un droit de visite, même élargi, la bonification devrait, à la rigueur du texte du nouvel art. 52fbis RAVS, être attribuée au parent gardien exclusivement.
C’est d’un point de vue formel que les effets de la modification se feront le plus sentir puisque, à partir du 1er janvier 2015, le juge du divorce, respectivement l’APEA, devra vérifier d’office que la question de l’attribution de la bonification pour tâches éducatives a été réglée par les parties. A défaut, il aura l’obligation de le faire. Si le contrôle du juge intervient d’office, il se cantonne toutefois à un examen formel. Savoir si le régime choisi par les parties, ou si l’attribution en fonction de la prise en charge des enfants, sert les intérêts financiers des parties dans le sens de l’optimisation décrite ci-dessus, n’est pas du ressort des autorités judiciaires. Il appartiendra donc à l’avenir toujours aux avocats conseillant les couples qui divorcent de les renseigner sur les conséquences financières de l’attribution de la bonification pour tâches éducatives.
A notre avis, c’est peut-être un point sur lequel le législateur a manqué de cohérence: rappelons en effet que s’agissant des conséquences du divorce sur le partage de la prévoyance professionnelle (2e pilier), il incombe au juge de vérifier d’office que le partage convenu par les parties n’est pas manifestement inéquitable14. Une réglementation similaire en matière d’AVS/AI aurait permis au juge de refuser une convention qui aurait privé un époux de la possibilité d’augmenter son RAM, et donc ses futures rentes de retraite, sans contrepartie adéquate et, surtout, sans que l’autre conjoint en tire profit.
Le mérite principal de cette révision est que, désormais, l’attribution de la bonification pour tâches éducatives devra être étudiée et discutée par les époux qui divorcent. Il sera donc possible, dans bien des cas, d’améliorer la situation, à la retraite, des époux divorcés. Souvent ignoré aujourd’hui, ce paramètre permettra peut-être de favoriser des accords lorsque les discussions se tendent, entre autres autour de l’octroi d’une contribution d’entretien. Par exemple, l’attribution de la totalité de la bonification pour tâches éducatives pourrait intervenir en contrepartie d’une renonciation à une contribution d’entretien viagère ou d’une indemnité équitable au titre de l’art. 124 CC, lorsque le partage de la prévoyance professionnelle n’est pas possible. Dans ce cadre, la bonne compréhension, par l’avocat, des enjeux liés à l’attribution de la bonification est essentielle.
(1) Art. 296 al. 2 nCC (EV 1.07.2014; RO 2014 357).
(2) Jusqu’au 30 juin 2014, l’attribution de l’autorité parentale conjointe suppose une requête commune des deux parents, le refus de l’un ou de l’autre faisant obstacle à un tel aménagement (cf. art. 133 al. 3 et 298a al. 1er CC).
(3) Il s’agit d’une opération comptable, virtuelle, et non d’un crédit réel en argent.
(4) Art. 29sexies al. 1er LAVS.
(5) Art. 297 al. 1er CC.
(6) Art. 29sexies al. 3 LAVS.
(7) Art. 52f al. 2bis RAVS
(8) Cf. art. 29quater LAVS.
(9) Sur la base des Tables de rentes établies par l’OFAS.
(10) 560 fr.pour une rente calculée sur la table 44.
(11) Art. 125 CC.
(12) Art. 122 à 124 CC.
(13) RS 831.101.
(14) Art. 123 al. 2 CC.
«Divorcer – Un guide juridique»
par Jacques Micheli, Jean Jacques Schwaab, Catherine Jaccottet Tissot, Joël Crettaz, Anne-Sylvie Dupont et Sandrine Chiavazza, avocat(e)s.
Cet ouvrage est une refonte complète du livre «Le nouveau droit du divorce», paru en 1999. Il intègre les importantes modifications législatives intervenues depuis lors: autorité parentale conjointe, garde conjointe, garde alternée, nom de famille, conditions du divorce et procédure. Rédigé par des avocats expérimentés, ce guide juridique et pratique s’adresse à toute personne concernée par le divorce, à titre professionnel ou personnel. Les auteurs apportent une réponse claire à des questions souvent techniques, mais très importantes en pratique, notamment dans le domaine de la prévoyance et des assurances sociales et en matière de droit des étrangers.
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