Son goût pour le droit européen et le droit international public remonte à ses études à Mayence en Allemagne, d’où elle est originaire. Elle a approfondi ces branches supranationales en alternant des périodes de formation en Allemagne et à Lausanne, où elle est venue, une première fois, grâce à une bourse d’études. Epouse d’un Valaisan, c’est finalement à Fribourg qu’elle a obtenu un poste de professeure en droit international public, droit européen et droit public suisse. Après une vingtaine d’années d’enseignement, elle estime normal de redonner à l’institution ce qu’elle a reçu et de répondre positivement à ceux qui la sollicitaient pour occuper le poste de rectrice.
A-t-elle conservé un regard extérieur sur la Suisse et ses institutions démocratiques particulières? Elle n’a pas l’impression de voir les choses différemment d’un Suisse qui aurait passé quelques années à l’étranger, ce qui permet de mieux comprendre le point de vue des autres, notamment dans les négociations avec l’UE. Mais, après un instant de réflexion, elle repense à sa jeunesse allemande, aux récits de son père ayant été enrôlé dans l’armée à la fin de la guerre: elle a ainsi «pris conscience que l’UE est garante de la paix en Europe. Les soixante dernières années ont été plutôt stables, mais c’est une erreur de croire que cela va de soi. Il faut se préoccuper de préserver les acquis, qui sont les garants de notre liberté et de notre prospérité.»
La Fribourgeoise d’adoption craint une mise en danger de l’Etat de droit se faisant insidieusement, par petits pas: «Un jour, on décide de renvoyer davantage les criminels étrangers, le lendemain, c’est peut-être à des minorités suisses qu’on s’en prendra.» Elle s’inquiète aussi du non-respect croissant des institutions, comme les tribunaux, auxquels on reproche parfois d’outrepasser leurs compétences, quand bien même ils ne font rien d’autre que leur travail, c’est-à-dire interpréter et appliquer le droit.
Droits populaires
Face aux situations toujours plus nombreuses de conflits entre démocratie directe et droit international, la juriste n’a pas peur de lancer de nouvelles idées touchant à l’initiative populaire: elle propose qu’elle soit formulée uniquement en termes généraux, laissant les détails à la loi d’application. Aux collègues lui rétorquant qu’on limiterait ainsi les droits populaires, elle répond qu’une initiative en termes généraux a autant de valeur juridique qu’une autre, comme l’a rappelé le TF dans une affaire zurichoise concernant la protection du paysage. Et que le droit d’initiative actuel perd de toute façon de sa légitimité, avec l’augmentation du nombre de dispositions constitutionnelles non applicables qui en découlent, comme l’interdiction des minarets. Mais elle a conscience que sa proposition a peu de chances politiquement.
Peu après l’acceptation de l’«Ini-tiative contre l’immigration de masse», Astrid Epiney n’a pas craint non plus d’aller à contre-courant, en disant qu ’on pouvait appliquer ce texte sans fixer de contingent d’immigration et tout en respectant l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). Une fois un article constitutionnel accepté, estime-
t-elle, il faut l’interpréter en fonction des autres normes de la Constitution et des accords internationaux, sans s’arrêter à la volonté des initiants. «Un contrôle de l’immigration ne nécessite pas forcément des contingents, mais peut passer par des mesures favorisant la main-d’œuvre indigène, par exemple, en facilitant la compatibilité entre la vie professionnelle et familiale. Cela fait partie aujourd’hui des possibilités discutées au Parlement.»
Trop longue insécurité
La spécialiste en droit européen pense que la Suisse va trouver une solution pour concilier le nouvel article constitutionnel et l’ALCP. En attendant, «l’insécurité dure trop longtemps», regrette-t-elle. Cela commence à causer des problèmes: «J’entends, par exemple, dire que des professeurs renoncent à venir travailler dans les Universités suisses, car ils ne sont pas sûrs de pouvoir participer aux projets de recherche européens.»
La professeure de droit public ne pense pas pour autant que le Parlement aurait dû invalider les récentes initiatives a priori peu compatibles avec l’Etat de droit. L’«Initiative contre l’immigration de masse» et celle «Pour l’expulsion des criminels étrangers» respectaient le droit international contraignant, commente-t-elle.
Elle le répète: il faut profiter de la marge de manœuvre qui se présente dans l’application de ces textes. Elle pense que l’initiative de mise en œuvre rejetée le 28 février n’aurait pas dû être prise à la lettre, mais interprétée avec l’art. 190 Cst., qui prévoit que les autorités doivent appliquer le droit international. Elle ne voit pas non plus pourquoi il faudrait faire l’impasse, en matière d’immigration, sur le principe constitutionnel de la proportionnalité.
Astrid Epiney a dû mettre entre parenthèses ses travaux de recherche et ses tâches d’enseignement pour endosser le rôle de rectrice. Mais, à 50 ans, elle apprécie de relever un nouveau défi en «jouant un rôle de rassembleuse, dans une université qui n’est pas hiérarchique, où les gens travaillent dans des unités indépendantes les unes des autres». Dans une université par ailleurs «bilingue, multiculturelle, avec une histoire catholique – bien que laïque». Elle s’intéresse aussi – en tant que rectrice – aux contacts avec le monde politique, même si elle n’est pas membre d’un parti.
En parallèle, sa vie de famille lui permet de ne «pas perdre le nord et de garder le sens de ce qui est vraiment important». Avec des enfants – désormais jeunes adultes – «on se fait parfois renvoyer dans les cordes, ce qui change de l’univers professionnel». Et la nouvelle rectrice ne renonce pas aux loisirs qui lui sont chers: elle joue de l’orgue, tous les quinze jours à l’église, pratique la course à pied et la peau de phoque. A vingt minutes de la ville de Fribourg, les Préalpes lui tendent les bras. C’est ça, aussi, les multiples facettes de cette région.