Le canton de Vaud s’est récemment doté d’un cadre légal complet en matière de logement. En effet, la loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL ou L3PL), acceptée en votation populaire le 12 février 2017, de même que son règlement (RLPPPL), sont entrés en vigueur le 1er janvier 2018.
Les nouvelles règles ont pour but d’encourager les communes et les investisseurs à conserver, d’une part, un parc locatif correspondant aux besoins de la population vaudoise et à stimuler, d’autre part, la construction de logements d’utilité publique. Elles visent ainsi une action équilibrée pour lutter efficacement contre la pénurie de logements et la spéculation immobilière.
1. Genèse de la LPPPL
Jusqu’à la fin de 2017, la politique du logement était exclusivement régie par la Loi vaudoise sur le logement du 9 septembre 1975 (LL), qui commande aux autorités communales de prendre les mesures de prévention et d’exécution nécessaires pour maintenir ou créer un équilibre satisfaisant entre l’offre et la demande.
La LL prévoit trois catégories de logements dits d’«utilité publique» (ou LUP): les logements subventionnés bénéficiant d’une aide à la pierre, les logements protégés destinés aux personnes âgées et les logements pour étudiants. Elle ne contient toutefois pas d’obligation pour les propriétaires fonciers de construire de tels logements.
A l’automne de 2011, dans un contexte de taux de vacance historiquement bas, l’Asloca Vaud a déposé l’initiative populaire législative «Stop à la pénurie de logements», qui demandait que le canton de même que l’ensemble des communes investissent dans la construction de logements à loyer modéré et que, à cet effet, ils soient dotés des moyens financiers et légaux nécessaires pour réaliser cet objectif (droit d’expropriation notamment).
En réaction à cette initiative, le Gouvernement vaudois a mis en consultation ses propositions visant à remédier à la pénurie de logements. Un contre-projet définitif a été adopté par le Grand Conseil vaudois le 10 mai 2016, ensuite de quoi l’Asloca Vaud a officiellement retiré son initiative. Toutefois, un comité référendaire opposé à la LPPPL a recueilli suffisamment de signatures valables pour que la loi soit soumise au vote populaire. C’est ainsi que, le 12 février 2017, le peuple vaudois s’est finalement prononcé en faveur de la LPPPL, à 55,5% de «oui».
2. Nouveautés issues de la LPPPL
2.1. Aperçu des principales nouveautés
La nouvelle réglementation contenue dans la LPPPL ne modifie pas la LL, qui reste en vigueur. Elle a en revanche abrogé et remplacé la Loi concernant la démolition, la transformation et la rénovation de maisons d’habitation, ainsi que l’utilisation à d’autres fins que l’habitation (LDTR) de même que la Loi concernant l’aliénation d’appartements loués (LAAL).
Le volet relatif à la préservation du parc locatif (art. 2 à 26 LPPPL et art. 2 à 24 RLPPPL), qui est le résultat d’une fusion entre la LDTR et la LAAL, prévoit les principales nouveautés suivantes.
•L’encouragement des travaux d’assainissement énergétique.
•Le soutien à la création de logements dans des bureaux.
•Une meilleure information aux locataires avant des travaux d’importance.
•Une procédure simplifiée pour la rénovation de logements isolés dans les immeubles.
•Une application limitée aux districts où le taux de logements vacants est inférieur à 1,5%.
•L’allégement de certaines conditions lorsque la pénurie est moindre (>1%).
Ces nouvelles règles visent à lutter contre la pénurie de logements en conservant sur le marché des logements loués qui correspondent aux besoins de la population.
Le volet promotion (art. 27 à 40 LPPPL et art. 25 à 34 RLPPPL) introduit pour sa part quatre principaux nouveaux outils, à savoir:
•la création d’une nouvelle catégorie de logement d’utilité publique, soit les logements à loyer abordable (LLA);
•la possibilité pour les communes de fixer un quota de LUP dans leurs nouveaux plans d’affectation;
•la possibilité pour les communes d’octroyer un bonus à la construction pour les propriétaires qui construisent des LUP dans les zones à bâtir existantes;
•l’introduction d’un droit de préemption permettant à la collectivité, en cas de pénurie, d’acquérir un bien-fonds dans le but exclusif de construire des LUP (entrée en vigueur le 1er janvier 2020).
2.2. Logements à loyer abordable
La nouvelle catégorie des logements à loyer abordable reconnus d’utilité publique (LLA) est prévue à l’art. 27 al. 1 let. d LPPPL. Elle vient compléter la palette actuelle de LUP et vise à mettre sur le marché des logements accessibles à la classe moyenne. Ceux-ci ne bénéficient d’aucune subvention et sont ouverts à l’ensemble de la population.
Afin de pouvoir bénéficier des mesures d’incitation prévues par la LPPPL, les logements doivent obtenir le statut d’utilité publique. Pour obtenir ce statut, un LLA doit (i) faire partie d’un immeuble d’au moins quatre logements, (ii) être destiné à la location à long terme et (iii) respecter les limites des loyers et de surfaces fixées par l’Etat.
Les limites de surface utile principale (SUP) que les LLA doivent respecter sont fixées dans l’art. 27 al. 1 RLPPPL. Un logement d’une pièce devra ainsi avoir une surface située entre 30 et 40 m2 et un trois-pièces une surface située entre 60 et 77 m2. Il s’agit de la seule condition technique posée par le règlement pour produire des LLA, étant précisé que des dérogations allant jusqu’à 10% des limites de surfaces fixées peuvent être admises dans certains cas spécifiques.
Les loyers des LLA ne sont pas soumis au contrôle de l’Etat. Cependant, le revenu locatif annuel de ces logements doit respecter les plafonds fixés à l’art. 28 al. 2 RLPPPL, qui varient en fonction de la taille du logement et de sa situation géographique. Le territoire vaudois a pour ce faire été fractionné en six zones distinctes, allant de la zone I (petites communes rurales) à la zone VI (urbaine)2. Ainsi, pour un logement de 3 pièces (75 m2) situé à Lausanne, le loyer est plafonné à 240 fr./m2/an, ce qui correspond à un loyer «abordable» de 1500 fr. par mois. En pratique, la Division logement du Service des communes et du logement (SCL) contrôlera chaque année l’état locatif produit par le propriétaire. Toutefois, seul le revenu locatif annuel de l’ensemble des LLA de l’immeuble concerné (et non les loyers individuels de chaque logement) sera examiné.
2.3. Quotas de logements d’utilité publique
La LPPPL habilite les communes à prescrire des quotas de logements d’utilité publique dans leurs nouveaux plans et règlements d’affectation. Ils peuvent porter sur des immeubles entiers ou uniquement sur un certain pourcentage de logements au sein d’un seul et même immeuble. Afin de rendre la mesure opposable à tout un chacun, les quotas de LUP prescrits peuvent être mentionnés sur l’extrait du Registre foncier de la ou des parcelles concernées.
Les mesures décidées doivent être adaptées au contexte local et aux besoins de la commune concernée, respectivement de sa population. Ainsi, dans le cadre de l’établissement d’un plan d’affectation communal, la commune n’a aucune obligation de réserver des terrains pour des logements d’utilité publique. Elle demeure libre d’utiliser, ou non, les outils mis à disposition par la loi, en fonction de l’analyse de ses besoins et, plus particulièrement, de ceux de ses habitants.
2.4. Bonus de surface brute de plancher habitable
L’art. 29 LPPPL offre la possibilité aux communes d’octroyer un bonus à la construction pour les propriétaires qui construisent des logements d’utilité publique dans les zones à bâtir existantes.
Le bonus, qui se monte au maximum à 10% de la surface brute de plancher (SBP), est accordé à condition qu’au moins 15% de la surface totale brute de plancher soit destinée à des LUP. Les paramètres de calcul du bonus varient néanmoins selon que le périmètre a été affecté à la zone à bâtir avant ou après l’entrée en vigueur de la loi. Le bonus n’est en effet destiné à profiter qu’aux constructeurs ayant choisi de créer des LUP sur une base volontaire. Ainsi, si un plan d’affectation adopté postérieurement au 1er janvier 2018 prescrit un quota minimum de LUP, les surfaces imposées par ce quota ne seront pas prises en considération dans le calcul de la SBP donnant le droit à un bonus.
A noter encore que l’art. 29 al. 3 LPPPL prévoit que ce bonus peut être cumulé avec le bonus prévu à l’art. 97 al. 4 LATC en cas de performances énergétiques sensiblement supérieures aux normes en vigueur.
2.5. Droit de préemption
Comme déjà indiqué plus haut, les art. 31 à 38 LPPPL relatifs au droit de préemption entreront en vigueur le 1er janvier 2020. Ils ne s’appliqueront toutefois pas aux ventes qui font suite à une promesse de vente conclue avant cette date, ni aux ventes à terme instrumentées auparavant.
Les conditions (cumulatives) d’exercice du droit de préemption sont fixées à l’art. 31 al. 2 LPPPL:
•il doit viser la création de logements d’utilité publique au sens de cette loi;
•il doit porter sur un bien-fonds se situant dans un district affecté par la pénurie (selon la liste publiée une fois par an par le Conseil d’Etat dans la Feuille des avis officiels);
•il doit viser une parcelle d’une surface minimale de 1500 m2, sauf si elle se trouve dans un périmètre compact d’agglomération ou dans un centre cantonal reconnu par le plan directeur cantonal ou si elle est attenante à un terrain propriété de la commune.
Le droit de préemption ne s’applique ni aux logements en PPE ni aux copropriétés. Il ne peut pas non plus s’exercer en cas de vente à de proches parents.
La commune qui décide d’exercer son droit de préemption dispose de quarante jours à compter de la notification du propriétaire pour signaler aux parties sa décision d’acquérir le bien-fonds. Elle doit alors déclarer accepter le prix et les conditions fixés dans l’acte de vente. Dans le même délai, elle peut également déclarer céder son droit de préemption au canton, auquel cas ce dernier disposera de vingt jours pour exercer son droit.
En cas d’exercice du droit de préemption, la collectivité est tenue de créer un minimum de LUP. Le règlement prescrit des seuils variables (entre 65% et 100%) selon si l’immeuble acquis est bâti ou non et selon si la collectivité réalise elle-même les LUP, ou non.
3. Analyse et perspectives
L’efficacité de la nouvelle LPPPL, fondée sur l’hypothèse d’une autorégulation du marché, présuppose que les incitations à la construction de logements d’utilité publique – soit, s’agissant des nouveaux LLA, essentiellement la possibilité de bénéficier d’un bonus de surface – soient suffisantes pour doper la construction de logements dans le canton. Or, on rappellera que ce sont les communes qui sont seules juges des mesures qu’elles souhaitent mettre en œuvre pour concrétiser (ou non) ces objectifs, étant précisé que la loi ne prévoit pas la possibilité de sanctionner une commune qui n’imposerait pas des quotas de LUP dans ses plans d’affectation spéciaux.
Nous noterons, dans ce contexte, que, selon les zones du canton concernées, et en particulier si les communes ont renoncé à imposer des quotas de LUP dans leurs plans d’affectation, les acteurs du marché pourraient, selon toute vraisemblance, être intéressés à proposer eux-mêmes d’intégrer des LLA dans leurs projets afin de bénéficier des bonus à la construction prévus par la loi. Cependant, au vu du plafonnement de l’état locatif qui sera associé avec une telle mesure, il est à craindre que l’effet incitatif de ces mesures ne soit anéanti par la limitation des rendements pouvant être espérés par les investisseurs. L’équilibre sera ainsi, selon toute vraisemblance, difficile à trouver et nécessitera certainement une phase d’adaptation.
La nouvelle loi a en revanche le mérite de limiter les coûts de mise en œuvre, puisque les mesures incitatives introduites n’impliquent pas l’octroi de nouvelles subventions de la part des pouvoirs publics. Pour ce qui est du droit de préemption, qui constitue de toute évidence un sujet sensible, il est à prévoir que celui-ci sera sans doute utilisé avec parcimonie et que son impact sur le budget des collectivités sera donc relativement faible, cela même en dépit du fait qu’un tel droit ne pourra, le cas échéant, s’exercer qu’au prix convenu entre les parties à la transaction initialement prévue (et non à un prix inférieur).
A cet égard, nous notons que, en pratique, le délai de quarante jours imparti à la commune pour faire savoir si elle entend, ou non, exercer le droit de préemption apparaît insuffisant au regard des contraintes liées aux processus décisionnels nécessaires à cet effet. Afin de ne pas risquer de rendre illusoire une telle prérogative, les communes devraient sans doute prévoir une enveloppe annuelle permettant à l’exécutif communal d’exercer ce droit au besoin, à des conditions clairement définies le cas échéant (par exemple quant à la localisation, au nombre de logements, etc.).
4. Conclusion
La solution retenue par le canton de Vaud, qui réserve une grande marge de manœuvre aux communes dans l’application de la loi, permet de tenir compte à la fois des variations de la répartition démographique au sein du canton et des taux de vacance différenciés d’une région à l’autre. Une telle approche, flexible et pragmatique, doit être saluée.
Nous relèverons néanmoins que l’efficacité des mesures nouvellement prévues dans la LPPPL dépend désormais principalement du bon vouloir des communes, lesquelles se trouveront nécessairement face à un choix lors de leurs réflexions visant au développement de leur territoire: construire davantage de logements d’utilité publique (notamment les nouveaux LLA), au risque d’attirer une importante quantité d’habitants dont les revenus seront moindres – impliquant des rentrées fiscales plus basses, alors que les charges en matière d’équipement public prendront, quant à elles, l’ascenseur – ou préserver la répartition démographique actuelle en renonçant à imposer des quotas aux propriétaires désireux de construire. Il ne fait ainsi nul doute que ce système risque de creuser, à terme, les inégalités qui existent déjà entre les communes rurales et urbaines du canton de Vaud.
Dans cette perspective, il eût été souhaitable que la LPPPL prévoie l’établissement obligatoire d’un rapport périodique visant à faire le point sur l’efficacité des mesures introduites et sur les éventuelles conséquences du nouveau régime sur la démographie du canton. Il va sans dire que l’absence d’une telle exigence n’empêchera pas le Parlement vaudois d’exiger un tel rapport, le moment venu.
Dès lors, seul l’avenir nous dira si les outils mis en place par la nouvelle LPPPL vaudoise permettent effectivement d’augmenter le nombre de LUP construits sur le territoire, respectivement d’endiguer la pénurie de logements qui frappe toujours le canton. Dans l’hypothèse où une rétrospective devait mettre en exergue certaines carences du régime introduit par cette loi, le législateur vaudois se verra sans doute forcé d’adopter un cadre plus contraignant pour espérer atteindre les objectifs visés. y
1Juge assesseur au Tribunal des baux et loyers
2Voir Classification des communes vaudoises par zone géographique, valable du 1.1.2018 au 31.8.2019.