Débarquée au Québec et plongée depuis l’été 2015 dans le monde du droit québécois, ce n’est pas sans surprise que je me suis retrouvée nez à nez avec un ordre juridique pour le moins étonnant, valant l’appellation de système bijuridique. Fruit d’une concession historique unique, le droit québécois, de tradition civiliste, s’accommode de la présence du droit de common law, issu directement, lui, du droit anglo-saxon, appliqué dans les provinces anglophones du Canada. Le métissage juridique de cette province s’explique par la présence d’une première colonie française installée sur les rives du fleuve Saint-Laurent, mais dont le territoire fut ensuite conquis par la Grande-Bretagne, vers 1760. Fervents défenseurs de leur Code de Napoléon, les Québécois ont vaillamment résisté aux tentatives de la Grande-Bretagne d’imposer un droit anglais. Face à une telle opposition, les conquérants britanniques, soucieux de s’assurer de la loyauté des Canadiens-Français, ont permis aux habitants de la province de Québec d’utiliser le droit civil français dans leurs relations privées.
Le Québec, à l’image des pays de tradition civiliste, est doté de son propre Code civil qui régit en grande partie son droit privé. Aujourd’hui, la distinction entre le droit privé de tradition civiliste et le droit public de tradition de common law perdure et caractérise le droit québécois. Il découle de cette dichotomie une mixité des sources du droit: ainsi, le droit privé se fonde principalement sur la législation et la doctrine, quant au droit public, c’est la jurisprudence qui y occupe une place primordiale. Ce cloisonnement des traditions juridiques est toutefois loin d’être étanche et les influences qu’elles ont eues l’une sur l’autre se retrouvent dans l’application quotidienne du droit québécois. A ce titre, on peut énoncer le rôle qu’a joué la Cour suprême du Canada, dont les juges, appelés à trancher des décisions dans des causes tant québécoises que canadiennes, ont emprunté des concepts de common law en matière de droit privé québécois. En outre, la jurisprudence, qui occupe une place théorique mitigée dans le droit d’inspiration civiliste, est en pratique très importante: bien que les interprétations précédentes des tribunaux ne lient, en principe, pas les juges, dans la pratique, les décisions des Cours bénéficient de l’autorité du précédent. Quant au droit public, le rôle des juges dans la création des règles juridiques y est plus conséquent.
En tant que juriste suisse, et de formation purement civiliste, c’est en commençant à travailler à temps partiel au sein d’une société à Montréal que j’ai été confrontée pour la première fois à l’impact de cette mixité dans la pratique, par le biais d’un concept directement issu du droit de common law, le Trust. Utilisé avec créativité et finesse, grâce au système bijuridique du Canada, le Trust s’avère être un outil juridique optimal. En effet, la réception du Trust en droit québécois, qui se limite à l’introduction de la fiducie dans son Code civil, concept qui répond à une stricte définition civiliste de la propriété, a conduit des praticiens à puiser dans les possibilités offertes par le droit des autres provinces canadiennes, régies par la common law, receptacle idéal pour la constitution de Trust. Une telle articulation autour du Trust m’a permis d’être le témoin direct des conséquences d’une concession historique qui se reflètent encore très clairement aujourd’hui dans la pratique du droit au Québec. Cette particularité juridique, à laquelle les praticiens se sont parfaitement acclimatés, paraît désormais solidement ancrée dans la culture juridique québécoise. Même si, de mes yeux de juriste suisse, cette dualité du système se doit encore d’être apprivoisée, son caractère essentiellement historique ne manque pas de me rappeler le parcours exceptionnel de cette province qui a su sauvegarder ses traditions et sa culture. La coexistence de ces deux traditions semble avoir façonné un droit québécois qui s’en trouve doublement enrichi.