«Une fenêtre pour que la communauté de théoriciens du droit d’Oxford puisse regarder au dehors, vers le monde extérieur (et une fenêtre pour que le monde extérieur puisse voir à l’intérieur de la théorie du droit oxonienne)»1. C’est ainsi que le JDG, acronyme de «Jurisprudence Discussion Group», se présente sur son site internet. Lancé par Timothy Endicott, aujourd’hui professeur à la Faculté de droit d’Oxford, le JDG est le premier groupe de discussion de cette faculté. Si le groupe est jeune, il a passé le cap de l’adolescence: en 2017, il fête sa 20e année d’existence.
Le JDG a fait des émules: la faculté compte aujourd’hui près de trente groupes de discussion2 et plusieurs séminaires de recherche3. Ces initiatives réunissent des étudiants, doctorants, enseignants et intervenants externes s’intéressant à un domaine juridique donné. Les groupes de discussion s’adressent à un public large et comptent des intervenants internes ou externes; les séminaires de recherche permettent aux doctorants de présenter leurs travaux à leurs collègues et au corps enseignant. Les séances sont généralement hebdomadaires, et l’exposé est suivi d’un débat.
La mise sur pied d’un groupe nécessite le soutien d’un enseignant, mais les séances sont typiquement organisées par des doctorants, les «conveners». Ceux-ci sélectionnent les intervenants et modèrent la discussion, contribuant ainsi à définir l’identité du groupe. Certains cercles sont formels, d’autres plus décontractés; les interventions reflètent tantôt une palette de méthodologies, tantôt une même école de pensée. L’envoi préalable de l’article qui sera discuté (ce que pratique le JDG) permet un débat approfondi. Afin d’éviter les «groupes fantômes», les organisateurs doivent soumettre une demande de fonds à la faculté, chaque année, et présenter leur programme.
Divers facteurs favorisent le succès de ces initiatives anglaises: le magnétisme de l’Université d’Oxford; l’existence de pôles d’excellence réunissant de nombreux chercheurs sur un périmètre réduit; enfin, l’hétérogénéité des groupes, comptant tant des professeurs expérimentés que des apprentis chercheurs. En Suisse, la dispersion géographique des universités, les barrières linguistiques et une tendance à une approche moins généraliste de la recherche peuvent faire obstacle à une large participation. Toutefois, de telles initiatives existent également en Suisse: à l’Université de Fribourg, par exemple, les doctorants en droit peuvent présenter leur recherche lors d’un «brown bag lunch» hebdomadaire, créé en 2005 par le professeur Pascal Pichonnaz et relancé en 2014 avec le soutien des professeurs Samantha Besson et Eva Maria Belser. Divers séminaires de recherche sont régulièrement organisés dans le cadre du programme en droit de la Conférence des universités de Suisse occidentale et, jusqu’en 2015, du ProDoc sur les fondements du droit européen et international
L’échange intellectuel et la critique constructive sont des clés pour la recherche juridique, non seulement pour les brèches qu’ils pratiquent entre «l’intérieur» et «l’extérieur», mais aussi (voire surtout) pour celles qu’ils ouvrent au sein de la communauté scientifique. Ils permettent de remédier à un cloisonnement de la recherche, que le phénomène de spécialisation favorise et, pour les intervenants, de communiquer et d’obtenir de précieux commentaires sur leurs travaux, qu’il s’agisse de chantiers ou d’ouvrages aboutis. Les chercheurs et les juristes suisses ne peuvent qu’être gagnants s’ils valorisent et contribuent à construire de telles fenêtres, indispensables à une recherche vivante et ouverte.