«Les lois sont à l’image des racines. Il vaudrait mieux être absent lorsqu’elles poussent.» Empruntés au chancelier de l’Empire allemand, Otto von Bismarck, ces quelques mots résument bien l’élaboration d’une nouvelle législation. Un processus peu attrayant qui doit pourtant aboutir à un bon résultat. En théorie. Dans la pratique, les projets de lois de l’Administration fédérale essuient les critiques toujours plus vives de nombreux professeurs, juges et avocats.
Les cibles principales sont les changements récents apportés au droit de la famille ainsi que la proposition de réforme du droit successoral. Des révisions qui laisseraient trop de points en suspens. Leur objectif principal est pourtant de clarifier la législation actuelle. Mais le civiliste Thomas Sutter-Somm n’en démord pas: «Le projet de révision du droit successoral ne permet pas d’atteindre ce but. A l’inverse, il suscite davantage de questions.»
Droit successoral
Professeure de droit civil, Alexandra Jungo rejoint l’avis de Thomas Sutter-Somm. Tous les deux militent pour l’instauration d’une commission d’experts qui puisse relever les points délicats, discuter des solutions, puis formuler soigneusement les articles de loi. «Cette commission devrait rassembler tant des personnes issues de la pratique que d’autres venant du monde académique», précise Alexandra Jungo. Quand à son collègue, il déplore l’absence d’un inventaire qui listerait les éléments à revoir. Il ne cherche pas à blâmer l’Office de la justice. Il estime en revanche que «les responsables politiques devraient veiller à accorder davantage de temps à la révision du droit successoral, qui représente bien plus qu’une simple tâche quotidienne».
Paul Eitel, spécialiste en droit des successions, se montre aussi «peu convaincu par la révision». Selon lui, l’avant-projet et le rapport auraient mérités «davantage de dévouement et d’attention». Et d’ajouter, en ce qui concerne la technique législative: «Chaque décision de politique juridique, qu’elle soit bonne ou mauvaise, devrait au moins être transposable à l’écrit.»
Chantier du droit de la famille
Même son de cloche pour ce qui est du droit de la famille. Professeure de droit privé, Andrea Büchler s’inquiète en effet des maintes révisions que ce domaine subit: «Un véritable chantier.» A devenir trop fréquentes, ces réformes succinctes risquent de faire du droit de la famille un puzzle composé de pièces qui ne parviennent plus à s’assembler.
Entré en vigueur au début de 2017, le nouveau droit de l’entretien de l’enfant n’échappe pas aux foudres de la juriste qui le considère «législativement insuffisant», notamment en ce qui concerne la fixation de la contribution de prise en charge (lire plaidoyer 3/17). Un tel manquement découle, selon elle, du processus législatif: «L’Administration fédérale présente des projets de révision dans lesquels elle n’a impliqué aucune commission d’experts. Collaborer avec des spécialistes reste pourtant indispensable dans le cadre de projets qui s’avèrent souvent complexes.»
Exigences politiques
Critiques des experts à l’appui, plaidoyer a interpellé l’Office fédéral de la justice. Telle a été la réponse de David Rüetschi, chef de l’Unité droit civil et procédure civile: «Les révisions doivent se faire au plus vite et, en partie en tout cas, selon des instructions très claires.» A cela s’ajoute le fait que le nombre de projets de révisions législatives à gérer simultanément ne cesse d’augmenter. Une tendance qui s’explique notamment par la pratique actuelle qui, plutôt que d’attendre de modifier la loi dans sa globalité, s’attaque de-ci de-là à des chapitres ou à des articles seuls.
En ce qui concerne le droit de l’entretien à l’enfant, David Rüetschi souligne que la révision ne s’est pas faite selon le processus habituel: «Le projet a immédiatement été relié au droit de garde. Il a alors fallu trouver des solutions non seulement rapides mais également simultanées.»
Aussi, David Rüetschi rejette-t-il la critique selon laquelle les experts auraient été trop peu impliqués dans les projets de révision du droit de la famille et du droit successoral: «Dans le cadre des travaux préparatoires, nous avons veillé à mener des entretiens individuels avec des spécialistes issus du monde académique et de la pratique.» En réunir dix lors d’une même séance «aurait été impossible dans un délai convenable et au vu de leurs agendas».
Et qu’en est-il du reproche selon lequel ces lois contiennent trop peu d’éléments concrets? «Pour des raisons politiques, nous devions tout simplement conclure à un moment donné», objecte David Rüetschi.
Cette pression politique n’a pas échappé à l’œil attentif de certains scientifiques, qui n’ont pas manqué d’en souligner les conséquences. «L’avant-projet du nouveau droit de l’entretien de l’enfant s’est avéré inadapté à de nombreux égards, tant théoriques que pratiques», ont en effet cinglé Stephan Wolf, Stephanie Hrubesch-Millauer, Regina Aebi-Müller et Sibylle Hofer lors de la procédure de consultation. Et de préciser: «Nous ne visons pas les juristes chargés de l’élaboration de cet avant-projet, mais bien les décideurs et les responsables politiques.» Des dirigeants qui sous-estiment manifestement l’attente générale envers une législation sûre, adéquate et applicable dans la pratique.
«Le débat qui entoure la révision du droit de l’entretien de l’enfant omet souvent que l’objectif politique et juridique de celle-ci – à savoir l’amélioration du statut de l’enfant de parents non mariés – a été largement atteint», conclut néanmoins David Rüetschi.