1. Pour que le cygne
ne chante pas
Ce n’est pas un éternel recommencement, mais cela en a tout l’air. Alors que revoilà une proposition de modification du droit pénal des mineurs, il est de nouveau question d’un durcissement. À croire que l’introduction de la loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs (DPMin) le 1er janvier 2007 découlait d’un angélisme benêt que les défenseurs du réalisme – les vrais –, sont enfin parvenus à dénoncer. Ou alors, peut-être, s’agit-il d’une énième mise à l’épreuve d’acquis millénaires à l’efficacité démontrée au nom d’une représentation irrationnelle?
On peut en tout cas remonter jusqu’au droit romain pour trouver l’origine de l’excuse de minorité. Ce régime pénal spécial suppose une responsabilité atténuée des mineurs du fait de leur immaturité. Celle-ci justifierait une réaction sociale sinon différente du moins plus clémente que celle à l’égard des adultes en présence d’une violation de la loi. «Un enfant ou un fou qui ont tué un homme, ne sont pas punis par la loi Cornélia; l’un est défendu par l’innocence de ses intentions, l’autre par le malheur de son sort», voulait la règle d’antan. Toujours d’actualité. Comme le désir contraire de punir ceux qui sont irresponsables quand le passage à l’acte est particulièrement violent. Mais c’est une autre histoire. Ou la même histoire, en définitive, lorsque l’auteur est mineur.
La consécration de l’excuse de minorité intervient avec la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). Par le biais de celle-ci, entrée en vigueur en 1997, la Suisse a reconnu à tout enfant convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui «tienne compte de son âge» ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci. De répression, il n’est pas question; d’enfant dangereux, non plus.
C’est logiquement que le droit pénal des mineurs reflète cet état d’esprit. La protection et l’éducation du mineur sont déterminantes dans l’application de la loi; il n’y a pas de responsabilité pénale avant 10 ans; la peine privative maximale est de quatre ans; le placement, mesure de protection la plus attentatoire aux droits fondamentaux, prend fin au plus tard à 25 ans. Et les exemples sont encore nombreux. On est ainsi bien loin du régime pénal des adultes.
Mais voilà qu’au XIXe siècle sont nées quelques théories autour de la figure de l’homme criminel, l’uomo delinquente. Dans une société désormais construite autour du risque et, a fortiori, sa prévention, ou plutôt du sentiment d’insécurité et son soulagement, le danger que représenterait chacun devient le critère décisif pour le législateur. Il est sérieusement à craindre que le principe de culpabilité, indépendamment des critiques qui peuvent s’y appliquer, supposant l’homme libre et donc responsable, le protège en réalité d’un excès répressif lorsqu’il est associé à la reconnaissance de libertés fondamentales, à l’instar du droit à la vie. La probabilité qu’une personne passe à l’acte, résultant d’une vision déterministe du comportement humain, l’expose maintenant à toutes sortes de dérives au nom de la sécurité de tous primant la liberté d’un seul. Cette vision a pris une telle importance qu’elle est sur le point d’être consacrée en droit pénal des mineurs. Tout enfant serait un criminel qui s’ignore. Il en découle que l’excuse de minorité est plus que jamais mise sous pression par la figure du bambino delinquente .
Peut-on vraiment dire de quelqu’un qu’il est dangereux, surtout lorsque c’est encore un enfant? Osons poser la question, oui. La désignation est supposée reposer sur un fondement scientifique. Le législateur doit en tout cas en être convaincu tant il ne cesse d’y recourir, sans aucune mesure significative de nature compensatoire pour les droits fondamentaux, comme le serait la présomption de non-dangerosité. La conséquence directe de cette extension est une déshumanisation progressive du droit pénal, comme l’a dénoncé Mireille Delmas-Marty, qui était titulaire de la chaire Études juridiques comparatives et internationalisation du droit au Collège de France. Au fond, cette dangerosité est indémontrable, et pourtant, elle est en passe d’entraîner une rupture législative fâcheuse dans l’esprit du droit pénal suisse des mineurs, ce que dénonce Nicolas Queloz, sans parler de certains principes essentiels du droit pénal.
S’il existe un risque aujourd’hui, c’est celui de voir l’excuse de minorité passer à la trappe, du moins partiellement, avec l’avant-projet du Conseil fédéral. Rendue publique le 2 novembre 2022, sa dernière mouture prévoit la possibilité d’ordonner un internement réservé jusqu’ici aux majeurs à l’encontre d’un mineur devenu adulte en dehors de toute récidive. La peur qu’il ne repasse à l’acte est plus forte que les principes auxquels il faut témoigner ici un attachement vivace, avec tous ceux d’ailleurs qui se sont exprimés durant la procédure de consultation, en tentant de comprendre le droit pénal qui s’en vient.
2. À l’origine, la motion Caroni
Tout commence par la motion Caroni adoptée par le Conseil des États le 2 juin 2016 et par le Conseil national le 27 septembre 2016.
Selon la motion, le Conseil fédéral est chargé de proposer des modifications législatives afin que l’autorité compétente puisse ordonner les mesures nécessaires ou la poursuite des mesures nécessaires à l’encontre de jeunes qui «compromettent gravement la sécurité de tiers lorsque des mesures de protection relevant du droit pénal des mineurs […] ordonnées à leur encontre prennent fin parce qu’ils ont atteint l’âge de 25 ans […]».
Pour mesurer la tension avec le principe de l’excuse de minorité, il convient de souligner la «dangereuse lacune» alléguée par les motionnaires pour justifier la modification rendue nécessaire par deux affirmations clés:
• L’autorité peut requérir des mesures tutélaires si la «menace subsiste» mais ces mesures ne sont conçues que pour les cas où le jeune a lui-même besoin de protection en raison de troubles psychiques, de déficience mentale ou de grave état d’abandon.
• Lorsque le jeune ne souffre pas de trouble psychique ou ne met pas sa propre personne en danger, il faut introduire la possibilité d’ordonner ou de poursuivre les mesures nécessaires même si les mesures ordonnées en vertu du droit pénal des mineurs doivent prendre fin parce que le jeune a atteint l’âge limite prévu par la loi pour «protéger correctement les tiers gravement menacés».
Le 4 mai 2016, le Conseil fédéral a proposé d’accepter la motion.
3. Dans les coulisses
de la révision
Le 6 mars 2020, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a publié un premier avant-projet accompagné d’un rapport explicatif mettant en œuvre la motion.
Selon l’OFJ, il est rare qu’un jeune délinquant passe entre les mailles de tous les filets de sécurité mis en place par le DPMin et doive être libéré d’une sanction alors qu’il est un
«délinquant dangereux». Il n’y aurait pas lieu de modifier le DPMin dans sa substance mais simplement de combler certaines «lacunes» en matière de «sécurité». Et pourtant.
Selon le rapport explicatif, la portée de la réglementation proposée est limitée afin de ne pas remettre en question les principes généraux du droit pénal des mineurs. La réglementation proposée permettrait d’ordonner une mesure du code pénal pour des personnes de 18 ans révolus contre lesquelles une sanction a été prononcée en application du droit pénal des mineurs. Ces dispositions ne trouveraient application qu’à l’encontre de délinquants qui ont commis des infractions très graves et qui, à l’expiration de la sanction prononcée en application du droit pénal des mineurs, risqueraient sérieusement de commettre à nouveau une infraction aussi grave.
Selon l’OFJ, il n’est pas exceptionnel que des mineurs soient condamnés pour des infractions très graves. En 2016, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), on dénombre: art. 111 CP (meurtre): 5; art. 112 CP (assassinat): 1; art. 122 CP (toutes les lésions corporelles graves): 47; art. 140, ch. 4, CP (brigandage qualifié): 2; art. 185, ch. 3, CP (prises d’otage graves): 1; art. 190 CP (tous les viols): 11; art. 221 CP (tous les incendies intentionnels): 63.
Toujours selon l’OFJ, cette situation ne signifie toutefois pas qu’ils doivent dans tous les cas être considérés comme «dangereux». En pratique, ces dernières années, on aurait condamné les jeunes ayant commis un meurtre ou un assassinat à des placements en établissement ouvert ou prononcé des mesures d’assistance personnelle couplées à une privation de liberté. Par ailleurs, durant ces sept dernières années, des jeunes ayant commis un meurtre, un assassinat ou un brigandage qualifié auraient, dans de nombreux cas, été condamnés à une privation de liberté sans mesure de protection selon l’OFS. Les sanctions de droit pénal des mineurs prononcées paraîtraient ainsi efficaces, de sorte que la majorité de ces délinquants seraient peu susceptibles de commettre d’autres infractions après leur libération. Or, contre toute attente, le droit pénal des mineurs devrait être durci.
4. Des experts divisés
Lors de la rédaction de l’avant-projet, des experts ont été consultés.
Il en est ressorti qu’en Suisse, il n’y a actuellement qu’un très petit nombre de délinquants mineurs (5 à 7) qui attendent d’être libérés de l’exécution d’une mesure ou d’une peine de droit pénal des mineurs et à l’encontre desquels il serait nécessaire de prendre une mesure de sécurité ultérieure. Ce nombre comprendrait les jeunes délinquants qui ont été placés à des fins d’assistance après avoir été libérés de leur peine. Cet élément est important pour prendre la mesure réelle de la révision dont on dit qu’elle comble une lacune.
Logiquement, les avis des experts divergent quant à la nécessité de légiférer et quant au type de mesure de sécurité à prévoir. Certains d’entre eux sont en faveur d’un internement au sens du droit pénal applicable aux adultes à l’issue du placement au sens du droit pénal applicable aux mineurs, qui prend fin quand la personne concernée atteint l’âge de 25 ans. La plupart rejettent l’internement avant l’âge de 25 ans. D’autres sont d’avis qu’il faudrait déjà réserver l’internement dans le jugement de condamnation basé sur le droit des mineurs.
Selon le rapport, des experts en psychiatrie légale ont pourtant signalé qu’il était pratiquement impossible d’émettre un pronostic quant à la dangerosité d’un mineur. Ils ont ajouté que le cerveau des hommes finit seulement de se développer aux alentours de 23 ou 24 ans, et que cela se produit plus tôt pour les femmes (environ 21 ans). Pour les délinquants mineurs, il serait donc impératif d’effectuer des expertises de suivi.
D’autres experts ont proposé que la seule infraction qui puisse donner lieu à un internement a posteriori (c’est-à-dire, dans la nouvelle terminologie, un internement réservé) soit l’assassinat.
Enfin, certains experts ont proposé qu’il soit aussi possible de prévoir une mesure au sens des art. 59 CP (traitement des troubles mentaux) et 61 CP (mesures applicables aux jeunes adultes) pour les auteurs souffrant d’une maladie psychique et pouvant être traités (mais qui ne remplissent toutefois pas les conditions nécessaires pour être placés à des fins d’assistance).
C’est peu dire que la réponse à apporter à la motion ne réunit pas une majorité au sein de ceux qui ont précisément affaire aux enfants potentiellement visés, dont on ne connaît au passage ni le nombre, ni le traitement qui aurait dû leur être appliqué et qui n’a pu l’être faute de base légale.
5. L’avant-projet 1
Au final, l’OFJ proposait une solution autorisant un internement prononcé a posteriori qui pouvait se résumer comme suit.
Si un mineur a commis une infraction très grave, il sera possible de «réserver» une mesure prévue aux art. 59 à 61 et 64 al. 1 CP dans le jugement de condamnation en
vertu du droit pénal des mineurs, si l’on estime à ce moment-là qu’il y a un risque de récidive. Cette réserve serait intégrée par le tribunal des mineurs qui pressentirait une dangerosité persistante. Sans cette réserve au moment du jugement, il n’y aurait pas de possibilité de revenir sur la condamnation après l’accession à la majorité.
La mesure réservée serait ordonnée par le tribunal pour adultes à la demande de l’autorité d’exécution une fois que la personne concernée est majeure et s’il y avait un risque sérieux qu’elle ne commette à nouveau une infraction très grave à la fin de la peine
ou mesure prononcée en vertu du droit pénal des mineurs.
6. Deuxième round
de consultation
L’OFJ a publié un rapport sur le résultat de la consultation sur l’avant-projet 1.
L’avant-projet de modification du droit pénal des mineurs est approuvé dans son principe par 5 cantons, les partis politiques, une association faîtière et 6 autres organisations, avec toutefois des réserves sur certains points. Les participants estiment qu’il comble une faille de sécurité dans la loi et contribue à la protection de la société.
Cela étant, il ressort du rapport que l’avant-projet est rejeté par
9 cantons et 13 organisations dont la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police, l’European Association for Forensic Child & Adolescent Psychiatry, Psychology & other involved Professions (Switzerland), la Ligue suisse des droits de l’homme section vaudoise, la Société suisse de droit pénal, la Société suisse de droit pénal des mineurs (SSDPM) et l’Ordre des avocats vaudois. Il est invoqué que cet avant-projet est «superflu», «contre-productif», «impossible à appliquer» et «contraire aux principes du droit pénal des mineurs», entre autres. Mais la principale critique à l’encontre de l’avant-projet se rapporte à des questions de fond:
• Pour de nombreux participants, les mesures de sécurité proposées ne sont pas compatibles avec les principes du droit pénal des mineurs (protection et éducation).
• D’aucuns signalent que les changements proposés ne sont pas justifiés au vu du nombre extrêmement faible de cas d’application potentiels (non démontrés) et des conséquences négatives.
• L’existence d’une lacune en matière de sécurité est remise en question et, dans le cas où elle serait avérée, elle pourrait être comblée par une adaptation des mesures de droit civil.
• Plusieurs participants craignent un effet d’étiquetage du fait de la réserve de dangerosité formulée dans le jugement de condamnation.
• De nombreux participants font valoir qu’il serait impossible dans la pratique d’établir le pronostic durable demandé pour la réserve concernant la dangerosité de la personne mineure, notamment parce que celle-ci est encore en développement.
• Plusieurs participants estiment que la réglementation proposée est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et/ou à la CDE.
• Certains voient dans les dispositions envisagées un problème en rapport avec le principe ne bis in idem (interdiction de la double peine).
• Enfin, il est plusieurs fois souligné qu’en raison de la multiplication des mesures ordonnées ainsi que du manque de places et de ressources humaines, l’exécution des mesures pose déjà des problèmes qui seraient encore renforcés par les modifications proposées.
7. Une réforme qui fond comme neige au soleil
Après avoir été revisitée, la réglementation désormais proposée par l’OFJ permettrait d’ordonner un internement pour des personnes de 18 ans révolus contre lesquelles une sanction a été prononcée en application du droit pénal des mineurs.
Rédigées très restrictivement en raison des réserves exprimées par les milieux professionnels lors de la consultation, ces dispositions ne trouveraient application qu’à l’encontre de délinquants qui:
• ont commis un assassinat après l’âge de 16 ans;
• et qui, à l’expiration de la sanction prononcée en application du droit pénal des mineurs, risqueraient sérieusement de commettre à nouveau une infraction de ce type.
Autrement dit, l’avant-projet 1 est limité à deux égards. D’une part, seule une condamnation pour assassinat après l’âge de 16 ans permettrait de prévoir une réserve de dangerosité. Autrement dit, l’auteur d’un meurtre ou d’un viol en commun par exemple ne serait pas exposé au régime de la réserve, sans que l’on ne comprenne vraiment selon quel critère des infractions de ce registre ont été exclues. D’autre part, la réserve de dangerosité ne pourrait être activée que pour ordonner un internement. On ignore ici pourquoi la dimension de soin propre à une mesure thérapeutique a été écartée au profit de la seule dimension sécuritaire. En tout état de cause, la portée de la révision s’est ainsi considérablement restreinte.
8. Entrer en résistance
Il y a dix ans, on parlait déjà d’instaurer l’internement pour les mineurs, entre autres mesures de sécurité. Les avis en la matière divergeaient considérablement. Dans la pratique et dans la doctrine, la tendance nette est au refus.
S’agissant de l’internement, outre ceux évoqués plus haut, les principaux arguments avancés sont les suivants:
• Élever la limite d’âge de 22 à 25 ans a été suffisant puisque cela a permis de tenir suffisamment compte des besoins du détenu et de la nécessité de protéger le public sans que le droit pénal des mineurs ne se mue en droit pénal axé sur l’auteur
de façon indue.
• Le temps consacré à l’éducation prévue par le droit pénal des mineurs est long en comparaison avec le droit pénal applicable aux adultes.
• Si des jeunes placés en établissement fermé commettent une nouvelle infraction qui justifierait un internement, ils sont en général majeurs à ce moment-là,
et donc soumis au droit pénal des adultes pour cette infraction, de sorte qu’un internement pourrait dès lors être ordonné dans le cadre de la nouvelle procédure.
La levée de boucliers a été puissante en cours de la consultation. Une majorité des cantons et des milieux professionnels se sont opposés à la modification envisagée, peu importe son ampleur. Une rhétorique axée sur le concept de dangerosité ne saurait conduire à la modification envisagée du droit pénal des mineurs. L’allégation d’une lacune ne résiste d’ailleurs pas à l’examen du système, où rien ne manque. C’est bien plus le résultat d’un choix conceptuel éprouvé avec succès par la pratique. En somme, le message est clair: on ne touche pas à l’excuse de minorité.
Le 13 mars 2023, le Conseil des États a accepté ce durcissement voulu par le Conseil fédéral, contre l’avis de sa commission, par 22 voix contre 17.
Pourtant, les principes sont aussi simples que cardinaux. Comme l’a rappelé Lisa Mazzone (Les Verts), «S’il n’y a pas nécessité de faire une loi, il y a nécessité de ne pas la faire», reprenant à son compte les mots de la Fédération suisse des avocats (FSA). Elle a par ailleurs ajouté que la commission d’examen du projet avait reçu «une ancienne juge à la cour suprême du canton de Lucerne, qui considérait que les personnes concernées se retrouvent alors tout en bas de la hiérarchie de l’exécution des peines, avec des perspectives bouchées. Il faut se rendre compte de ce que signifie faire planer le risque d’internement à un adolescent et relever que cela peut se révéler dévastateur pour ce dernier, ainsi que pour l’objectif poursuivi par le droit pénal des mineurs». On se souviendra ici que le taux de libération d’un internement se situe environ à 2%.
Par ailleurs, comme Beat Rieder (Le Centre) l’a mentionné, la majorité de la commission d’examen du projet souligne qu’un modèle tendant au risque zéro (Nullrisikogesellschafts-Modell) n’est jamais réalisable. C’est le cas tant chez les mineurs que chez les majeurs. Or, alors qu’on ne dispose ni de chiffres ni d’exemple rendant compte d’un risque concret, le système proposé pour des mineurs est plus sévère qu’à l’égard des adultes. En effet, il n’existe pas de système de réserve de dangerosité pour un adulte condamné à l’exécution d’une peine.
De son côté, Carlo Sommaruga (PS) a insisté sur le fait que le projet est inapplicable et qu’il faut se garder de légiférer avec «ses tripes». Tous les professionnels qui se sont exprimés ont contesté l’utilité de la réforme. Le risque existe que «les juges finalement déclassifient l’acte criminel qui a été commis pour éviter de le qualifier d’assassinat et pour le qualifier de simple meurtre, ce qui implique que [cet internement] n’interviendra pas». À titre d’anecdote, il a en outre mentionné le cas cité par «une ancienne juge […] venue nous dire qu’un jeune ayant commis un assassinat, auquel elle avait rendu visite dans une prison en Suisse alémanique, était totalement isolé dans sa cellule et jouait à des jeux extrêmement violents sur la Playstation. Elle a proposé de changer de stratégie et, plutôt que de le laisser complètement enfermé, de prendre des mesures adaptées à son cas. Ce jeune s’est finalement retrouvé en liberté, à travailler dans une ferme, et totalement réintégré». C’est la preuve qu’il faut réaffirmer l’attachement aux principes de protection et d’éducation.
Que ce soit durant les débats parlementaires ou dans les médias, à titre d’argument principal, les partisans du projet constatent que l’internement ne s’appliquera qu’à un adulte et non à un enfant. L’idée est de défendre le prétendu respect de la CDE. Cet argument est aussi sournois que celui de l’Iran, qui condamne des enfants à mort malgré la ratification de la CDE prohibant cette peine mais prétend respecter ses engagements dès lors que l’exécution n’intervient qu’après l’accession à la majorité. On doit donc constater que le projet n’est fondamentalement pas conforme aux droits de l’enfant.
L’erreur est humaine mais persévérer dans celle-ci est diabolique. Les sept Sages et le Conseil des États ont ont perdu de vue cet avertissement venant du fond des temps. Puisse le Conseil national mettre un terme à une obstination que rien ne justifie. ❙
1 Corpus iuris civilis, Digeste 48, Livre VIII, 12.
2 RS 0.107.
3 Art. 40 ch. 1 CDE.
4 Art. 2 al. 1 DPMin.
5 Art. 3 al. 1 DPMin.
6 Art. 25 DPMin.
7 Art. 19 al. 2 DPMin.
8 Expression consacrée par Cesare Lombroso dans son ouvrage éponyme publié en 1876.
9 Dans le même sens, Nicolas Queloz, Illustration de fâcheuses ruptures législatives dans l’esprit
du droit pénal suisse des mineurs, in: Crimes et Châtiments, Perrier Depeursinge et alii, p. 552.
10 Loïc Parein, L’expertise psychiatrique à la lumière des présomptions de responsabilité et de non-dangerosité, Revue suisse de criminologie, 1/2019, p. 8 ss.; La présomption de non-dangerosité en procédure pénale suisse: une consécration nécessaire, Revue de droit suisse 137 (2018), p. 367 ss.
11 Cf. par exemple Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, coll. La couleur des idées, 2010, p. 41 ss.
12 Nicolas Queloz, op. cit., p. 539 ss.
13 Voir par exemple Loïc Parein, Exécution des sanctions: la réserve de dangerosité met-elle en danger le principe ne bis in idem?, Nouvelle Revue de Criminologie et de Politique Pénale, 2/2020, p. 48 ss.
14 Art. 64 CP.
15 Motion N° 16.3142 «Droit pénal des mineurs. Combler une lacune en matière de sécurité».
16 Art. 19 al. 3 DPMin.
17 Art. 426 du CC.
18 Expression que l’on retrouve littéralement (rapport explicatif, p. 7).
19 Ibid.
20 Rapport explicatif, p. 7.
21 Rapport explicatif, p. 55, nbp 136.
22 Rapport explicatif, p. 55.
23 Rapport explicatif, p. 55.
24 Rapport explicatif, p. 55.
25 Rapport explicatif, p. 56.
26 Rapport explicatif, p. 55.
27 Rapport explicatif, p. 56.
28 Rapport explicatif, p. 56.
29 Rapport explicatif, p. 55.
30 Rapport explicatif, p. 5.
31 Rapport explicatif, p. 5.
32 Rapport explicatif, p. 5.
33 Rapport explicatif, p. 5.
34 Rapport explicatif, pp. 5 et 6.
35 Rapport explicatif, p. 58.
36 Rapport explicatif, pp. 58 et 59.
37 Session de printemps 2023, neuvième séance, 13 mars 2023.
38 Suzanne Pasquier, L’internement se rapproche de l’internement à vie, plaidoyer 3/2018.
39 Session de printemps 2023, neuvième séance, 13 mars 2023.
40 Session de printemps 2023, neuvième séance, 13 mars 2023.
41 Par exemple, Yves Nidegger, émission Forum, 10 mars 2023.
42 Compte-rendu de séance du Comité des droits de l’enfant examinant le rapport de la République islamique d’Iran, 12 janvier 2016.