Le War Report 2012(1) de l’Académie du droit international humanitaire et de droits humains de Genève est la première publication qui identifie et classifie tous les conflits armés qui ont eu lieu dans le monde en l’espace d’une année, conformément aux critères qui se sont développées par rapport au droit international humanitaire et au droit pénal international. Il détermine si une situation de violence armée équivaut à un conflit armé international (incluant l’occupation militaire étrangère) ou non international. Nous avons identifié 38 conflits armés en 2012 dans 24 pays et territoires, la large majorité étant des conflits armés non internationaux.
En fait, sur les 38 conflits armés recensés en 2012, un seul était un conflit armé international actif, au sens strict: celui qui oppose le sud du Soudan et le Soudan. Cependant, des occupations militaires ont eu lieu sur une partie de neuf Etats et territoires(2). Elles sont régies par le droit international portant sur l’occupation militaire. En revanche, 28 conflits armés non internationaux ont eu lieu dans 15 pays et territoires: l’Afghanistan, la République centrafricaine, la Colombie, la RDC, le Mali, le Mexique, le Myanmar, les Philippines, la Somalie, le Soudan, la Syrie, la Thaïlande, la Turquie et le Yémen ainsi que dans la bande de Gaza. Au moins 95 000 hommes, femmes et enfants ont été tués ou blessés par des actes commis dans ces conflits. C’est un chiffre très prudent, et certainement beaucoup plus faible que le chiffre réel.
Usage de la force
Pourquoi la qualification de conflit armé est-elle d’une telle importance? Pour deux raisons essentielles. D’abord, l’existence d’un tel conflit a des implications considérables pour l’utilisation de la force. En général, les parties peuvent, dans ces cas-là, recourir à des armes, à des tactiques et à l’utilisation de la force intentionnellement meurtrière, ce qui est presque impensable (et le plus souvent illégal) dans une situation traditionnelle de maintien de l’ordre public. Car, dans ce dernier cas, les normes internationales, en particulier relatives aux droits humains, ne permettent l’utilisation intentionnelle de force létale (par exemple, à travers les armes à feu) que dans des circonstances vraiment exceptionnelles, à savoir seulement si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.
Dans la plupart des conflits, la protection des citoyens pris dans une situation de violence est une considération primordiale pour la police. Mais pas dans un conflit armé. Dans ce cas, la conduite des hostilités peut inclure des bombardements aériens, l’usage de l’artillerie lourde, des tirs au mortier et de fusils d’assaut: autant de moyens qui vont vraisemblablement conduire à des morts et à des blessés parmi la population civile mais qui ne représenteront pas nécessairement une violation du droit international humanitaire s’appliquant spécifiquement aux conflits armés (tant que les victimes civiles et les dommages aux objets civils prévisibles ne sont pas «excessifs» par rapport à l’avantage militaire attendu). Nous devons donc être très prudents et précis avant d’affirmer que le seuil requis pour un conflit armé a été atteint.
Tribunaux internationaux
Deuxièmement, dans un conflit armé, la commission d’un crime de guerre est un crime international qui peut être poursuivi non seulement devant les tribunaux nationaux, mais aussi devant certains tribunaux pénaux internationaux tel le Tribunal international pénal de La Haye. Ces crimes de guerre ne peuvent être commis que dans une situation de conflit armé et en relation directe avec ce conflit. Par conséquent, certains se précipitent pour déclarer l’existence d’un conflit armé dans l’espoir qu’une responsabilité sera établie pour répondre d’actes de brutalité épouvantable: le meurtre, le viol, ou la torture, qui sont souvent commis à large échelle. Ces «justiciers» sont certes bien intentionnés, mais ils commettent, dirions-nous, une erreur de jugement.
Protection des civils
Bien sûr, les poursuites judiciaires pour crimes de guerre sont essentielles afin de limiter les abus et de rendre une forme de justice aux victimes. Comme note explicitement le War Report, elles sont la rare exception à la règle et relèvent d’une indispensable justice internationale. Mais nous devons aussi reconnaître la force autorisée par le droit international aux belligérants, qui s’accompagne du respect des droits humains pour contenir la violence, et de la limitation des actes de violence qui peuvent être légalement engagés au cours des hostilités. La «protection des civils» dans les conflits armés est devenue un slogan qui doit être appliqué avec plus de clarté et de précision. Abordons le thème de l’impunité, car il est omniprésent. Mais nous ne devrions pas prôner l’existence d’une guerre là où nous ne sommes pas légalement obligés de le faire. Car cette attitude n’est pas à même d’épargner des vies humaines.
(1) Le War Report: 2012 est publié par Oxford University Press. Le War Report: Armed Conflict in 2013 sortira le 10 décembre prochain.
(2) Azerbaïdjan, Chypre, Erythrée, Géorgie, Liban, Moldova, Palestine, Syrie et Sahara occidental.
(3) Responsable de recherche et éditeur du Rapport sur la guerre 2012.