Il apparaît vêtu d’un fin complet sur mesure en laine vierge, – ou peut-être en mérinos? – parfaitement accordé à son gilet et tend une main ferme, en souriant: «Prenez place.» Un sourire dont il ne se départira pas durant l’entretien, même lors des questions les plus incisives sur la réorganisation du tribunal.
Retour en 1991. A 32 ans, son diplôme d’avocat en poche, il s’installe au fier château de Chenaux, au-dessus du lac de Neuchâtel, endossant l’habit du préfet du district de la Broye. Dans la région, on l’appelle le «roi de la Broye». «A ce poste, j’ai découvert mon amour pour le droit administratif», explique-t-il. A cette époque, le préfet était également en charge des autorisations de construire et conseillait les communes en cas de fusion.
Mais, il devait aussi se rendre sur place en cas de décès inhabituels. Et, dans la région, les personnes ne se suicident pas avec un révolver ou par noyade, mais elles se pendent, se souvient Jean-Luc Baechler. «Même les femmes.» Des années mouvementées. Il a favorisé les contacts dans les régions frontières en mosaïque entre Vaud et Fribourg, comprenant les villes historiques de Payerne, d’Estavayer, de Moudon et d’Avenches. Il a poussé à la réalisation du premier hôpital valdo-fribourgeois et du premier gymnase intercantonal de Suisse.
Il a trouvé des appuis à la société des dragons: «Vaudois et Fribourgeois allaient souvent à cheval ensemble, c’était l’occasion de renforcer l’entente.»
A cheval, il est agile, le fils de paysan. «Dans les années soixante déjà, mon père a mis sur pied, à la stupéfaction générale, une exploitation céréalière pure et vendu ses vaches.» Il continue de faire du cheval en compagnie de son épouse, qu’il a rencontrée dans des compétitions équestres. Quand il ne se lance pas dans une partie de golf. Son handicap est de 19.
Du PDC à l’UDC
En 2011, il se porte candidat au Gouvernement fribourgeois, sous les couleurs du PDC, et échoue. Une rupture dans sa carrière. Il s’éloigne alors de la politique et devient président du Tribunal d’arrondissement. Deuxième rupture, trois ans plus tard: Jean-Luc Baechler intègre les rangs de l’UDC. «Ce parti m’est devenu plus proche au fil du temps, avec ses positions claires sur l’agriculture, mais aussi sur les questions de politique de sécurité.» Il se réfère fièrement à son histoire familiale: son grand-père a été membre fondateur du Parti des paysans, artisans et indépendants (PAI), ayant précédé l’UDC.
L’appartenance politique ne joue pas de rôle au Tribunal administratif fédéral, estime son président. «Les décisions y sont prises dans des groupes de trois ou de cinq personnes.» Et Saint-Gall n’est pas Berne. Lors des élections de 2006 pour le TAF, la fraction PDC du Parlement a boycotté sa candidature, en réaction à son départ du parti. Cela ne le touche plus. L’an dernier, 64 des 68 collègues juges présents l’ont proposé pour la présidence, un brillant résultat.
Réorganisation
Au cours de l’entretien, Jean-Luc Baechler se définit souvent comme un «homme de terrain». Il aime sortir, parler avec les gens, nouer des contacts, et convaincre. Les dossiers s’accumulent sur son bureau avec vue sur la ville de Saint-Gall. Le tribunal rend environ 9000 décisions par an, en très grande majorité en procédure écrite. Passionnant, pour un homme de terrain? Il sourit.
En jetant un coup d’œil sur l’organigramme du TAF, cela saute aux yeux: il y a un grand besoin de clarification. Qui commande qui? Qui a le pouvoir de faire quoi? «Les différentes compétences ne sont pas encore suffisamment définies», admet le président. Qui s’est fixé comme principal objectif, au cours de ses deux ans de présidence, d’y mettre bon ordre.
Le projet «Organisation du Tribunal 2016» a été lancé il y a un peu plus d’un an, en collaboration avec une société externe de coaching. Un champ de mines. Quel juge acceptera volontiers de céder des compétences? Le nouveau président veut aussi améliorer la communication interne: «Nous avons une newsletter mensuelle.»
Suisse en miniature
Des quelque 400 collaborateurs du TAF, 67% parlent l’allemand comme langue principale, 25% le français, 7% l’italien et 1% une autre langue. La part des femmes se monte à 56%. «Nous sommes une représentation de la Suisse en miniature, commente le Fribourgeois. Chacun s’exprime dans sa langue, mais la plupart des Tessinois parlent en français ou en allemand.» En tant que Romand, il considère comme important de pouvoir parler français à Saint-Gall.
Il regrette de ne pas avoir appris davantage l’allemand dans sa jeunesse. A cette époque, il était plus attiré par la Grande-Bretagne. Il a suivi une année le cours de Common law à Oxford, mais aussi le séminaire Old History. Tout en se découvrant parallèlement un amour pour la vie, le whisky. Sa collection comprend des bouteilles de 250 millésimes différents. «Mon préféré est le Mc Callahan, un Single Highland Malt».
Il s’est bien acclimaté à sa vie à Saint-Gall, «pour nos loisirs, l’offre gastronomique y est même meilleure qu’à Fribourg», s’étonne-t-il. C’est peut-être ce qui a fait disparaître la réserve de la fraction romande du TAF vis-à-vis de Saint-Gall.
Jean-Luc Baechler est lieutenant colonel incorporé à l’état-major et conseiller de l’armée sur des questions juridiques. Confronté au constat que la direction militaire consiste à «commander, contrôler et corriger», il se départit pour une fois de son sourire: «Il est clair que, au tribunal, je ne joue pas le sergent-major. La collaboration avec les juges repose sur la confiance.» Le temps de travail des magistrats n’est pas contrôlé, des dossiers sont régulièrement emportés à la maison. «Nous sommes dans une position phare, nous livrons un excellent travail.» Il élève un peu la voix, mais elle redescend vite. L’homme ne perd pas une seconde sa contenance.
Ses yeux bleu-gris s’éclairent de nouveau. Le président parle de ses rêves. Il aimerait bien jouer plus de piano. C’est Mozart et Chopin qu’il préfère. Il se verrait aussi chanter dans une chorale, comme dans sa jeunesse. Il médite, appuie son menton sur sa main, jette un coup d’œil à sa Rolex ancienne («reçue pour mes 50 ans»). Et on remarque alors sa barbe Henri IV, du nom du premier roi de la maison Bourbon, qui avait pacifié la France avec l’Edit de Nantes. Une barbe qui doit demander beaucoup d’attention, comme les 72 juges de son tribunal.