1. Introduction
Depuis le 1er janvier 2011, le CPP réglemente de façon exhaustive au niveau fédéral les conditions auxquelles un avocat peut – voire doit – être désigné d’office en faveur d’un prévenu (art. 132 ss CPP), ou d’une partie plaignante (art. 136 ss CPP). Les règles applicables à son indemnisation sont en principe identiques dans l’une ou l’autre des hypothèses (cf. art. 138 al. 1 CPP).
Conformément à l’art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d’office est toutefois indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. Les cantons sont donc demeurés compétents pour arrêter le tarif auquel l’avocat d’office est indemnisé, ce qui n’a pas échappé au législateur1.
Ainsi que l’expérience et dans une certaine mesure la jurisprudence2 en témoignent, cela a eu pour conséquence de maintenir à flot de nombreuses pratiques cantonales aussi disparates que contradictoires dans le domaine de l’assistance judiciaire. Si, quatre ans après l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, un effet d’uniformisation commence à se faire sentir sur la procédure d’indemnisation et l’organisation des voies de recours, la question du montant de l’indemnisation3, et du tarif, demeure, elle, différenciée4.
Une question en particulier a récemment surgi dans la jurisprudence et la pratique, singulièrement à Genève5 et au Tessin6: l’indemnisation de la TVA au défenseur d’office (2.). Que ce soit au regard du domicile du client (3.), du statut de l’avocat (4.) ou encore du pouvoir d’examen à reconnaître au juge de l’indemnisation (5.), il paraît intéressant d’examiner la problématique, ceci d’autant plus que le TF a tout récemment rendu deux arrêts importants dans le domaine7.
2. La défense d’office et la TVA
Conformément à l’art. 12 lit. g LLCA, l’avocat est tenu d’accepter les défenses d’office et les mandats d’assistance judiciaire dans le canton au registre duquel il est inscrit8. L’avocat d’office accomplit de la sorte une tâche étatique régie par le droit public cantonal9 – dans les limites des dispositions fédérales du CPP depuis le 1er janvier 2011 –, puisque l’Etat lui délègue la mise en œuvre de son devoir constitutionnel (art. 29 al. 3 Cst.) d’assurer à tout individu le droit de se défendre et, dans la matière pénale, le droit à un procès équitable (art. 6 CEDH). L’Etat comme l’avocat d’office assument une mission d’intérêt public10. En désignant, révoquant ou remplaçant l’avocat, l’Etat agit par des actes d’autorité. Lors de sa désignation, il s’établit, entre l’avocat et l’Etat, un rapport juridique spécial en vertu duquel l’avocat a, contre l’Etat, une prétention de droit public à être rétribué dans le cadre des prescriptions cantonales applicables. Le rapport ainsi créé est assimilable à un contrat de mandat11.
Au regard du CPP, les frais imputables à la défense d’office et à l’assistance gratuite sont des débours (art. 422 al. 2 lit. a CPP). Ils constituent par conséquent des frais de procédure (art. 422 al. 1 CPP) qui doivent, conformément à l’art. 421 al. 1 CPP, être fixés par l’autorité pénale dans la décision finale au plus tard12.
Selon la jurisprudence établie peu après l’entrée en vigueur de la LTVA, l’autorité fixant la rémunération de l’avocat d’office est tenue de prendre en compte l’accroissement des charges13 de l’avocat au titre de la TVA en augmentant, dans la même proportion, l’indemnité allouée à l’avocat d’office14. Il n’existait en effet pas de motif raisonnable pour reporter entièrement et exclusivement sur le défenseur d’office la charge nouvelle liée à l’introduction de la TVA15.Donnant tort à la cour cantonale tessinoise, le TF a réaffirmé cette jurisprudence dans un arrêt récent destiné à publication, précisant que le régime d’exception prévu à l’art. 18 al. 1 lit. l LTVA au titre de l’activité relevant de la puissance publique n’était pas applicable, l’avocat d’office déployant bien, en toute indépendance, une activité de nature commerciale n’ayant, en définitive, aucune différence avec celle d’un avocat de choix (avec une référence à l’art. 128 CPP). L’Etat ne délègue par ailleurs aucune de ses compétences propres d’autorité à l’avocat. Enfin, le fait que l’indemnité de l’avocat d’office fasse partie des frais de procédure au sens du CPP n’est pas relevant dans cette analyse, puisque la notion de puissance publique, autonome, est propre à la législation fiscale16.
Il est ainsi admis que l’activité de l’avocat d’office est en principe comme telle soumise à la TVA. Reste à examiner quels tempéraments doivent être éventuellement apportés à cette conclusion intermédiaire.
3. TVA et le domicile du client
Au regard de la LTVA, le lieu de la prestation de services, autrement dit le domicile du bénéficiaire de la prestation (art. 8 al. 1 LTVA), conditionne l’assujettissement à l’impôt. Si celui-ci se trouve en dehors de Suisse, alors la TVA ne doit pas être perçue (art. 1 al. 1 in fine LTVA). Se pose par conséquent la question du bénéficiaire de la défense d’office.
L’Administration fédérale des contributions a de longue date indiqué qu’elle considérait que ce bénéficiaire était l’Etat, et non le client17, ce que la jurisprudence avait d’ailleurs déjà confirmé dans un obiter dictum en 201218. Elle a régulièrement établi des rulings allant dans ce sens; corollairement, elle a taxé les avocats même lorsque l’autorité pénale niait, de son côté, l’assujettissement. A ses yeux, l’activité de l’avocat d’office est donc systématiquement soumise à la LTVA, indépendamment du domicile du client.
A Genève et dans le canton du Tessin19, les juridictions cantonales avaient toutefois retenu que le client de l’avocat d’office était le bénéficiaire, puisque l’institution de la désignation par l’Etat d’un avocat s’apparenterait à une stipulation pour autrui (art. 112 CO) du point de vue de la TVA. C’était ainsi le client qui était le «consommateur de la prestation», et non l’Etat. Les avocats genevois et tessinois n’étaient ainsi pas rétribués au titre d’un impôt qu’ils devaient pourtant par ailleurs payer à l’administration.
Le Tribunal pénal fédéral20 puis le TF21 ont récemment mis fin à cette pratique, jugeant que l’Etat apparaît bien comme le destinataire des prestations effectuées par l’avocat d’office et que, par conséquent, la TVA est systématiquement due. Leur raisonnement peut se résumer comme suit: la défense d’office se caractérise par une relation tripartite voyant l’Etat imposer à l’avocat d’intervenir à la défense des intérêts d’un prévenu; autrement dit, l’autorité invite l’avocat à assumer un mandat en faveur d’un tiers. Dans cette constellation, si le prévenu peut apparaître comme le bénéficiaire médiat de la prestation en cause, il n’en demeure pas moins que c’est dans l’intérêt final de l’Etat que l’avocat déploie avant tout son activité22. Ce raisonnement doit être pleinement approuvé.
Il convient ainsi de retenir à ce stade, que le bénéficiaire de l’activité déployée par l’avocat d’office est l’Etat, et nul autre23. Cette activité est ainsi systématiquement soumise à la TVA au regard de ce critère, et cela indépendamment du domicile du client24. Les autorités cantonales concernées en ont d’ailleurs, depuis lors, pris acte, et modifié leur pratique en conséquence25.
4. TVA et le statut de l’avocat
L’assujettissement à la TVA est également fonction de critères propres à l’avocat, en particulier son organisation, son statut au sein de l’étude dans laquelle il évolue et son chiffre d’affaires.
Au regard de la LTVA, l’avocat qui exerce, à titre indépendant, son activité en vue de réaliser un chiffre d’affaires d’au minimum 100 000 fr. ayant un caractère de permanence et en agissant en son propre nom vis-à-vis des tiers est assujetti (art. 10 al. 1 et 2 lit. a LTVA).
Selon la jurisprudence développée dans la situation spécifique de l’avocat désigné comme avocat d’office, il faut considérer que celui-ci exerce une activité indépendante découlant d’obligations légales, quand bien même il est salarié de l’étude au sein de laquelle il évolue. Les prestations qu’il fournit à ce titre n’ont donc pas à être imputées à l’employeur du point de vue de la TVA. Ainsi, l’avocat salarié ne doit être indemnisé de la TVA que s’il justifie lui-même26.
L’examen des différentes formes de collaboration et de leur appréhension par la législation fiscale dépasse l’objet limité de la présente étude27. Il suffit de rappeler, ici, que, lorsque plusieurs avocats sont réunis au sein d’une même étude, ils peuvent être assujettis soit individuellement, soit collectivement en tant que société inscrite au Registre du commerce ou, à défaut, en tant que société simple28.
On peut donc en conclure que, à défaut d’un assujettissement collectif, l’avocat d’office, qui exerce forcément une activité indépendante au sens de la LTVA, doit pouvoir justifier d’un assujettissement personnel, et cela peu importe son statut interne à l’étude29. A défaut, la TVA ne doit pas lui être indemnisée.
5. Le pouvoir d’examen du juge de l’indemnisation
Face aux problématiques évoquées ci-dessus, il est arrivé que des avocats sollicitent de la part de l’administration fiscale un ruling attestant de l’assujettissement à la TVA de leur activité en qualité d’avocat d’office.
Le juge pénal de l’indemnisation les a presque systématiquement ignorés. La Cour de justice civile du canton de Genève a, quant à elle, expressément jugé qu’elle ne saurait être liée par la position de l’administration fiscale, a fortiori si elle n’était pas confirmée par une décision judiciaire30. Se pose, partant, la question du pouvoir d’examen du juge de l’indemnisation.
Les autorités judiciaires ont, à ce jour, toujours accepté d’examiner, dans le cadre du procès relatif à l’indemnisation du conseil d’office, la question préjudicielle de l’assujettissement à la TVA de l’activité déployée.
Nous pensons, au contraire, que le juge de l’indemnisation est lié par un ruling de l’administration fiscale, à la condition que celui-ci soit topique, précis et concerne bien l’avocat d’office concerné. Certes, à teneur de la jurisprudence, les contestations sur le transfert de l’impôt relèvent en principe de la compétence des tribunaux civils (par opposition aux juridictions fiscales)31. La réglementation de la rémunération de l’avocat d’office est toutefois particulière à maints égards, ainsi qu’on l’a vu ci-dessus. D’abord, comme l’a relevé la jurisprudence de longue date32, la TVA entre en considération au titre des charges subies par l’avocat d’office. Il n’est pas question d’une rémunération complémentaire, mais bien de l’accroissement des charges justifiant d’augmenter proportionnellement l’indemnité allouée33. On voit mal comment le juge de l’indemnisation pourrait valablement remettre en cause la réalité aussi bien juridique que factuelle de cette charge pour l’avocat d’office telle qu’établie par un ruling répondant aux exigences précitées. Ensuite, il se justifie d’autant plus d’être rigoureux depuis l’ATF 132 I 201, qui a reconnu à l’avocat d’office le droit de désormais réaliser un gain modeste (et pas uniquement symbolique), un tarif minimum de 180 fr. (200 fr. à Genève) étant fixé au niveau suisse34. En permettant au juge de reprendre, ici ou là, librement la réalité d’une charge – a fortiori de nature fiscale – pourtant établie par l’avocat, on accepterait de priver ce dernier de son droit à un gain modeste, et de violer, ce faisant, sa liberté économique35. Enfin, cette solution permet également de faciliter une application uniforme, sur le territoire suisse, de la LTVA.
Le seul tempérament envisageable à cette objection pourrait consister à exiger du juge de l’indemnisation tout du moins qu’il appelle en cause l’Administration fédérale des contributions en cas de litige autour de l’assujettissement à la TVA, de façon à lui rendre le cas échéant opposable son prononcé. Une telle solution aurait toutefois pour conséquence de détourner la problématique des règles de contentieux et de procédure ordinaires prévues aux art. 81 ss LTVA, ce qui ne permet pas de réellement parvenir à un résultat plus satisfaisant.
Par conséquent, le juge de l’indemnisation ne devrait pas avoir la compétence de revoir préjudiciellement la question de l’assujettissement à la TVA de l’activité de l’avocat d’office. En matière pénale, c’est au Ministère public, qui dispose de la qualité de partie dans le procès de l’indemnisation (art. 104 al. 1 lit. c CPP)36, de, cas échéant, disputer le ruling devant l’autorité compétente, puis de faire état d’une éventuelle conclusion inverse de l’administration devant le juge de l’indemnisation.
6. Conclusion
Au terme de notre examen, il faut conclure que l’activité de l’avocat d’office, quand bien même celui-ci assume son mandat en toute indépendance à l’instar d’un avocat de choix, est, en principe, systématiquement assujettie à la TVA. La relation tripartite créée par l’institution ne permet pas de faire apparaître le client comme le bénéficiaire de la prestation, qui est l’Etat seul.
L’avocat d’office exerce sa mission – personnelle – à titre indépendant, et ce même s’il est l’employé d’une structure. En dehors du cas d’un assujettissement collectif, l’avocat doit justifier d’un assujettissement propre à la
En présence d’un ruling topique, précis et concernant l’avocat d’office, le juge de l’indemnisation ne devrait pas s’écarter de ses conclusions; il doit refuser de revoir préjudiciellement la question de l’assujettissement de l’avocat d’office à la TVA.
Les récents éclaircissements apportés par la jurisprudence doivent être salués, car ils uniformisent, conformément au but poursuivi par le législateur, là où les pratiques cantonales en matière d’indemnisation de la TVA étaient encore disparates. Le chemin vers une solution uniforme et cohérente de l’indemnisation de l’avocat d’office (remboursement, tarifs conformes à la Constitution, application de l’art. 135 al. 4 CPP, indemnisation complémentaire, déplacements, mode de calcul, etc.) demeure néanmoins encore long. y