Tremblements de terre, inondations, ouragans et éruptions volcaniques forcent régulièrement des millions de personnes à abandonner leur domicile ou à prendre la fuite. Entre 2008 et 2012, quelque 144 millions de personnes – parmi lesquelles 32 millions rien qu’en 2012 – ont dû fuir en raison de telles catastrophes naturelles. Le nombre de ceux qui ont dû quitter leur lieu de vie en raison de modifications insidieuses de leur environnement, comme une sécheresse ou l’élévation du niveau de la mer, est inconnu. Toutefois, de nombreux éléments laissent augurer que le changement climatique provoque une augmentation des catastrophes naturelles. Ainsi, le nombre annuel des typhons que connaissent les Philippines a doublé depuis les années 1950. Des Etats insulaires, tels que les Kiribati, l’archipel des Tuvalu ou les Maldives ainsi que d’importantes zones côtières (par exemple au Bangladesh) risquent, à moyen terme, de devenir inhabitables.
Réfugiés restant dans leur région
Les «réfugiés climatiques», comme on les appelle souvent, restent la plupart du temps dans leur propre pays et peuvent à plus ou moins long terme réintégrer leurs habitations. Certains s’enfuient toutefois à l’étranger. Lorsque la sécheresse a atteint son apogée en Somalie, en 2011, entre 100 000 et 200 000 personnes ont cherché refuge au Kenya, car elles avaient perdu leurs récoltes ou leurs dernières bêtes et étaient menacées de mourir de faim. Après les tremblements de terre à Haïti en 2010, ils sont des milliers à avoir tenté de fuir en République dominicaine voisine. Mais on ferma les frontières et ils furent refoulés. Après des ouragans dévastateurs en Amérique centrale, à la fin des années 1990, les USA ont garanti, selon le Washington Post, une protection temporaire à quelque 82 000 ressortissants du Honduras et 300 000 du Salvador. Comme ces exemples le montrent, les intéressés restent en majorité dans leur région d’origine; c’est pourquoi l’Europe et la Suisse ont été jusqu’alors protégées de tels mouvements de foule.
Quel est leur statut juridique? En deux mots, ils n’en ont aucun. A moins qu’un pays ne connaisse, comme les USA et une poignée d’autres Etats, un statut spécifique pour les victimes de catastrophes naturelles sous forme d’admissions provisoires. Elles ne font en général pas l’objet d’un suivi et ne sont donc pas des réfugiés au sens juridique du terme. Elles ne tombent pas non plus dans le champ d’application de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990, parce qu’elle ne s’adresse qu’à ceux émigrant dans le but de travailler à l’étranger.
Ces personnes bénéficient évidemment de la protection des droits fondamentaux; ces derniers n’offrent toutefois pas de réponse à la question de savoir qui a, et à quelles conditions, le droit d’accéder et de séjourner dans un Etat refuge? Selon quelles modalités a-t-on le droit de renvoyer des personnes ayant besoin de protection dans leur pays d’origine? De quels droits disposent-elles durant leur séjour? En deux mots, le droit international public comprend une véritable lacune s’agissant de celles qui se réfugient à l’étranger ensuite de catastrophes naturelles ou de modifications de leur environnement.
Etats pas d’accord d’emblée
Les Etats sont au moins globalement d’accord avec ce qui précède. Le document final de la Conférence des parties à la convention sur les changements climatiques de Cancún, en 2010, insiste en effet sur le fait que la migration, l’expulsion et les déplacements organisés à l’intérieur d’un Etat et au-delà des frontières font partie des thèmes nécessitant des mesures d’adaptation au changement climatique et une coopération internationale renforcée. Les négociations de l’ONU sur le climat sont toutefois peu adaptées aux discussions portant sur les droits des migrants. C’est pourquoi le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Unhcr) s’est penché sur ce thème de réflexion en 2011, dans le but d’élaborer des règles sur la protection temporaire des victimes de catastrophes naturelles. Une réunion d’experts et une conférence – la Conférence Nansen sur le changement climatique et les déplacements de population – devaient préparer la base d’un mandat au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés visant à mettre en œuvre une procédure de consultation interétatique pour protéger les réfugiés climatiques. Cette tentative échoua. Certains Etats estimèrent que le sujet était trop délicat pour faire l’objet de négociations dans le cadre de l’ONU, d’autres jugeaient que le Unhcr n’était pas l’institution adéquate pour diriger ce processus ou trouvaient que les Etats devaient pouvoir décider souverainement, à l’avenir également, s’ils étaient prêts à accueillir des personnes ayant besoin de protection, mais ne répondant pas à la qualification juridique de réfugiés.
Face à cette situation, la Suisse et la Norvège se sont déclarées prêtes à travailler avec les Etats intéressés, le Unhcr et d’autres acteurs importants. Ces pays souhaitaient obtenir un consensus sur la question de savoir comment protéger et soutenir ceux qui doivent s’enfuir à l’étranger à la suite de catastrophes naturelles. Cela a été le point de départ de l’Initiative Nansen, lancée le 2 octobre 2012 à Genève. Elle porte le nom de Fridtjof Nansen (1861-1930), explorateur polaire qui s’est occupé de questions climatiques. En tant que premier haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, il créa le passeport Nansen, un document d’identité reconnu internationalement et permettant à de nombreux réfugiés sans papiers de voyager après la Première Guerre mondiale.
Un processus de consultation
L’Initiative Nansen est conçue comme un processus de consultation mené durant trois ans hors des Nations Unies. Elle est dirigée par un groupe d’Etats intéressés comprenant, outre la Suisse et la Norvège, également l’Australie, le Bangladesh, le Costa Rica, l’Allemagne, le Kenya, le Mexique et les Philippines. Son but n’est pas d’élaborer une convention destinée aux réfugiés climatiques: au vu du manque de tout consensus à ce sujet, cela serait prématuré et difficilement imaginable aujourd’hui hors des organisations internationales. Il s’agit bien plutôt, dans un premier temps, de mener une série de consultations avec des gouvernements, des cercles académiques et des représentants de la société civile de cinq à six régions particulièrement concernées par ce problème.
La première consultation régionale a eu lieu en mai 2013 dans le Pacifique, la seconde sera menée au début de décembre 2013 en Amérique centrale. Les résultats de ces consultations régionales seront mentionnés en 2015 dans une consultation générale, dont les résultats conduiront à élaborer un programme de protection global pour les réfugiés climatiques. On pourra alors constater dans quelle mesure les Etats participants sont d’accord entre eux, quelle est la situation présente et quels challenges subsistent, quelles bonnes pratiques sont déjà en vigueur et quelles doivent être les prochaines étapes permettant d’assurer la protection de ces personnes. Ce programme ne s’occupera pas seulement des standards et des modèles de protection des réfugiés climatiques, mais aussi de savoir comment assurer la collaboration entre Etat d’accueil et Etat d’origine et comment améliorer le travail des organisations humanitaires et d’aide au développement. On souhaite qu’il devienne un tremplin et une solide base pour des débats et des négociations officiels menés dans le cadre de l’ONU ou d’organisations régionales.
La consultation faite dans le Pacifique, où les populations sont menacées non seulement par l’élévation du niveau de la mer mais aussi par les tsunamis, les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, a eu lieu au niveau ministériel et a montré un grand intérêt de la part des Etats participants et de la société civile. De leur avis, il y a lieu d’investir en priorité dans des mesures d’adaptation aux changements climatiques et de réduction des risques de catastrophes naturelles, afin que la population de ces pays puisse rester aussi longtemps que possible sur leur lieu de résidence. En même temps, il convient de faire davantage pour protéger les réfugiés climatiques qui ont trouvé refuge dans un autre pays ou qui ont dû être déplacés. Il faut pourtant s’attendre à ce que nombreux seront ceux qui devront quitter leur patrie à plus ou moins long terme. Pour éviter la fuite et l’expulsion du territoire, il convient de faciliter le travail des migrants dans toute la région, y compris l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ainsi que de renforcer les qualifications des jeunes sur le marché international du travail.
Pas de catégorie «réfugiés climatiques»
Pour autant que des déplacements organisés soient inéluctables, il convient de tirer les leçons des mauvaises expériences du passé; les droits et la dignité des intéressés doivent être protégés par de nouvelles normes. Les participants ont accordé une grande importance au fait de pouvoir garder leur propre culture. Les Etats reprendront ces suggestions dans le cadre de l’organisation régionale Pacific Islands Forum.
L’Initiative Nansen ne se limite pourtant pas aux conséquences du changement climatique, mais s’intéresse à toutes sortes de catastrophes naturelles. Elaborer des normes de protection destinées uniquement aux personnes qui ont été contraintes de fuit en raison d’événements climatiques serait fortement discriminatoire vis-à-vis des victimes de catastrophes naturelles géophysiques telles les tremblements de terre, les tsunamis et les éruptions volcaniques. C’est pourquoi il faut renoncer à élaborer une catégorie de «réfugiés climatiques».
Dans un cas concret, elle conduirait à exiger la preuve qu’une catastrophe naturelle donnée est bien la conséquence d’un changement climatique. Il n’est pas possible actuellement de prouver scientifiquement un tel lien de causalité pour une catastrophe naturelle isolément. S’y ajoute la complexité des raisons conduisant à fuir un territoire: parallèlement aux risques naturels, d’autres motifs – comme l’incapacité des autorités d’apporter une aide adéquate ou le fait que certains lieux de refuge à l’intérieur de l’Etat soient inaccessibles – jouent un rôle dans la décision de fuir à l’étranger.
Pour bénéficier d’une protection, il devrait suffire que quelqu’un ait été forcé, à la suite de catastrophes naturelles, de quitter son pays et qu’il ait besoin d’être protégé, parce que le retour chez lui est temporairement ou de manière permanente impossible ou intolérable. L’avenir dira si cette conception s’impose. Les réponses à de tels défis juridiques ne doivent pas être imposées par les initiants au début du processus de consultation, mais en être le résultat. C’est seulement ainsi qu’on parviendra, sur un plan international, à un accord solide permettant d’élaborer des règles nouvelles.
*Envoyé de la présidence suisse de l’initiative Nansen.
Adaptation française Sylvie Fischer