«Professeur de droit pénal avec activités parallèles»: tel est le titre que Mark Pieth aime s’attribuer. Il fait référence à plus de trente ans d’activités dans le monde économique et financier. Trois décennies qui auront permis au Grison de 66 ans de laisser des traces, notamment sous la forme de lois contre le blanchiment d’argent, le crime organisé, l’abus de drogues et la corruption. En bref, une immense «Compliance-Industrie» qui réjouit Mark Pieth: «Aujourd’hui, chaque entreprise doit avoir un chargé de conformité. Sans être particulièrement efficace, cette mesure a au moins l’avantage de faire peur aux compagnies. Elles savent que, si elles se font prendre, elles devront payer des amendes salées.»
Mark Pieth garde le sourire, lorsqu’on l’interroge sur l’initiative pour des multinationales responsables. Il peine à saisir la panique de certaines entreprises. «Je comprendrais si cela impliquait le risque d’aller en prison.» Or, selon lui, l’initiative vise simplement à clarifier qui devrait payer quoi en cas de dommages. Un objectif pour le moins nécessaire, au vu des trop nombreuses violations des droits de l’homme.
Mark Pieth cite pour exemple l’explosion d’une usine de pesticides à Bhopal, en Inde. Survenue en décembre 1984, cette tragédie a coûté la vie de plus de 20 000 personnes. «Trente-cinq ans plus tard, la société américaine responsable, Union Carbide, n’a toujours pas versé de compensation. C’est inimaginable.»
Avocats sans cesse impliqués
Pour Mark Pieth, l’honnêteté prime sur l’amabilité. Il veut bien reconnaître que «nous vivons dans un pays très libéral». Il n’empêche que, selon lui: «La Suisse reste un repère de pirates. Encore et toujours!» Les faits le confirment: il n’existe presque aucun scandale de corruption ou de criminalité économique dans laquelle la Suisse n’apparaît pas, que ce soit via ses banques, ses sociétés ou ses avocats. Ces derniers jouent surtout un rôle inquiétant dans les affaires de blanchiment d’argent. Le professeur pense notamment aux fameux Panama Papers.
Publiés en 2016 par un consortium international de journalistes, ces documents révélaient comment des cabinets d’avocats avaient aidé «les plus grands méchants de ce monde» en matière de blanchiment, de corruption et de fraude fiscale. Tous les yeux se sont tournés vers le cabinet panaméen Mossack Fonseca. Or, à en croire Mark Pieth, le véritable centre de ces machinations, c’était la Suisse: «Les premiers concernés étaient surtout des avocats genevois et zurichois qui avaient ouvert ou racheté des boîtes aux lettres au Panama.»
Aussi à l’ONU
Fidèle à lui-même, Mark Pieth se montre tout aussi franc sur le thème de la corruption à l’ONU: «La manipulation y est monnaie courante.» Chacun serait prêt à planter un couteau dans le dos de l’autre. «Un peu comme à la FIFA, sauf que, ici, on parle de pays.» Il soutient que des accords seraient conclus après les appels d’offres, afin de déterminer quelle entreprise gagnerait. Mark Pieth est bien placé pour le savoir. Il a rédigé, pour l’ONU, un rapport critique sur la FIFA, qui a été «tout aussi rapidement accepté que jeté aux oubliettes».
Il a vécu la même expérience en présentant ses propositions de réforme à la FIFA: «Le président a accepté le rapport et en a appliqué une infime partie. Puis, il a remplacé la majorité du personnel par des amis et des personnes incompétentes. En somme, il a torpillé toute la réforme.»
Les déceptions sont nombreuses. Mais Mark Pieth garde la face: «Après autant d’années de pratique dans ces milieux, je ne suis plus vraiment surpris et m’applique à rester au-dessus de tout cela.»
Le professeur préfère donc avancer. Il cite les défis futurs, à commencer par les monnaies électroniques. «A supposer que les règlements soient respectés, le bitcoin complique les desseins illégaux, car il suppose que toutes les transactions puissent être librement consultées et que l’identité des utilisateurs soit enregistrée.» Tel n’est de loin pas le cas dans la réalité. «Ce qui est plus problématique, ce sont ces marchés noirs, tels que l’ancien Silk Road (fermé par le FBI en 2014), où bitcoin et autres monnaies virtuelles sont utilisés pour des transactions illégales de toutes sortes.»
Vaste activité journalistique
La fin de notre rencontre approche, tout comme la fin de son activité professionnelle. Mark Pieth quittera l’Université de Bâle à la fin de cette année, date de sa retraite. Mais il poursuivra ses activités parallèles. Parmi elles, Mark Pieth mentionne son rôle au sein du Panel de vérification de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF). Une fonction dans le cadre de laquelle il choisit qui peut être engagé par l’IAAF. «De loin pas une tâche facile», estime-t-il, avant d’évoquer l’ancien athlète ukrainien, actuellement membre du Comité international olympique, Sergueï Bubka, accusé d’avoir reçu des pots-de-vin en échange de son vote pour la candidature de Rio à l’organisation des Jeux olympiques de 2016.
Autre activité parallèle de taille, l’écriture. Mark Pieth rédige toujours à la main. La plupart du temps lors de ses déplacements, en avion, en train ou en bateau quelque part sur la mer. C’est ainsi que son dernier livre est né. The dirty secrets of the gold trade – And how to clean Up, paru aux Editions Salis (non traduit en français) est le fruit de recherches approfondies «jusqu’à l’endroit le plus sale de la Terre, La Rinconada». Ville la plus haute du monde, cette cité péruvienne est aussi l’une des plus dangereuses pour l’homme et pour la nature. La faute à la mine d’or qu’elle recèle, et donc aux problèmes liés à l’exploitation souterraine: «destruction de l’environnement, travail forcé, trafic d’êtres humains, expulsion, organisations criminelles, fonds de potentats ou encore blanchiment d’argent».
L’expert anticorruption espère continuer sur cette lancée et écrire davantage de livres et d’articles. Pour l’heure, il boucle sa valise. Destination, l’Espagne. «Trois mois pour écrire et pagayer le long de la Costa Brava.» Sa femme, également spécialiste du droit pénal, l’y attend déjà.