Depuis le mois de juillet 2010, Vincent Martenet partage son temps entre la présidence de la Comco, qu'il a reprise à cette date, et son activité de professeur de droit constitutionnel et de droit de la concurrence à l'Université de Lausanne. Il apprécie de compléter ses tâches académiques par un travail de terrain pour la défense de la concurrence, qu'il avait entamé en 2005 déjà comme membre ordinaire de la commission (qui comprend douze personnes). Un spécialiste du droit public succède ainsi à des professeurs de droit privé, Pierre Tercier, Roland von Büren et Walter Stoffel. Rien d'étonnant à cela, estime Vincent Martenet, car la Comco applique la procédure administrative fédérale. De plus, les questions de droits fondamentaux et de garantie de procédure l'occupent beaucoup et tiennent une large place dans les décisions des tribunaux en matière de concurrence.
Ce passionné de droit constitutionnel, qui publie régulièrement dans ce domaine, souhaite mettre l'accent sur le travail accompli par la Comco, plutôt que sur sa personne («Nous faisons un travail d'équipe»). Ce profil convient-il vraiment à un «gendarme» de la concurrence? N'appréciant pas ce terme, il considère que son action est, au contraire, plus efficace s'il peut s'appuyer sur un groupe de personnes soudé, avec une répartition claire des responsabilités. Et il ne faut pas se fier, semble-t-il, à son air tranquille: dans les milieux de la défense des consommateurs, on le décrit comme particulièrement actif et enthousiaste. Il est notamment parti en guerre contre les entraves au commerce en ligne, et la Comco vient de rendre une décision importante dans ce domaine (contre Electrolux et V-Zug)... Par ailleurs, sur le plan privé, les défis ne lui font pas peur non plus: juste après son quarantième anniversaire, il n'hésitera pas, au mois de novembre, à participer au marathon de New York, pour lequel il s'entraîne régulièrement. C'est sa manière à lui de se ressourcer pendant ses semaines de travail de six... à sept jours sur sept! «Lorsqu'on cumule deux postes à 50%, on fait toujours plus que du plein temps, explique-t-il de manière très sereine. Et je consacre un à deux jours du week-end pour mes publications. C'est un choix que j'ai fait.»
Un été chargé
Pendant la crise du franc fort, des critiques ont été adressées à la Comco. A vrai dire, plutôt à l'institution qu'à son président. Qui est sorti du bois pour répliquer: cela ne sert à rien de tirer contre la commission, alors qu'elle n'a pas la compétence d'ordonner une baisse des prix, les consommateurs ont un rôle à jouer et peuvent demander des comptes aux distributeurs suisses, en menaçant de faire leurs courses à l'étranger. Des paroles qui ont parfois été mal comprises, notamment par les distributeurs. Mais, aujourd'hui, il ne renie pas ses propos. Au contraire: «Les restrictions à la concurrence ne représentent qu'une partie du problème et, en lien avec la question du franc fort, la Comco n'est compétente que pour intervenir contre les cartels internationaux ainsi que contre les accords cloisonnant le marché suisse. Quant aux consommateurs, ce n'est pas que je les encourage à aller faire leurs courses à l'étranger, mais, sous l'angle du droit des cartels, il est important que ce canal de consommation reste ouvert, car il est disciplinant pour le marché suisse.»
Réponse aux critiques
Au fil des questions, c'est tantôt le professeur Martenet qui répond, critiquant le droit suisse des cartels, tantôt le président, défendant le bilan de la Comco. C'est clairement le second qui réplique aux attaques lancées contre la commission pendant l'été. Un nombre insuffisant de décisions? «Nous avons, au contraire, un nombre plus élevé de décisions par collaborateur que dans l'UE. Et ce n'est pas tant leur nombre qui compte que leur impact sur le marché en général. Nous rendons des décisions de principe sur des cas emblématiques, qui ont une portée plus large et font jurisprudence.» La Comco n'inflige pas assez de sanctions? «Ce n'est pas vrai. Nous avons émis récemment des sanctions de plusieurs millions de francs dans deux cas d'accords horizontaux durs (sur les prix), l'un dans le secteur des éléments pour fenêtres et l'autres dans le domaine des pièces sanitaires, et nous avons également infligé une amende, il y a peu, aux électriciens bernois. Mais la sanction n'est pas un but, mais un moyen. C'est surtout son effet préventif qui importe. Je crois que notre travail porte ses fruits et que, aujourd'hui, les mentalités ont changé. L'image de la Suisse comme pays des cartels n'est plus d'actualité.»
Les événements de l'été ont également fait ressortir, à certains égards, les faiblesses de la loi suisse sur les cartels, en comparaison avec le droit de l'Union européenne et de ses membres. Sur cette question, c'est plutôt le professeur de droit, critique, qui répond: «En Suisse, un système de présomption d'illicéité pour les accords durs implique une analyse plus complexe que dans l'UE et ses Etats membres. Il faut voir si cette présomption peut être renversée (ce que le Tribunal fédéral admet assez facilement) et si l'accord affecte de manière notable la concurrence, et encore s'assurer qu'il n'est pas justifié par des motifs d'efficacité économique. Par exemple, dans l'enquête concernant les éléments pour fenêtres, nous avions prouvé l'entente sur les prix, mais nous avons encore dû consacrer du temps à démontrer qu'elle avait des effets sensibles sur le marché. Dans l'UE en revanche, il suffit de démontrer l'existence d'un accord sur les prix et de vérifier qu'il ne soit pas justifié économiquement, ce qui raccourcit la procédure.» Autrement dit, en Suisse, contrairement à l'UE, les cartels durs (entente sur les prix) ne sont pas d'emblée interdits.
Crédibilité atteinte
Mais ce n'est pas tout. En comparaison européenne, et même internationale, les critiques portent également sur la présence, au sein de la Comco, de représentants des milieux économiques et des syndicats. «Ces personnes ne sont pas en cause, mais cette situation porte atteinte à notre crédibilité vis-à-vis de l'UE, avec laquelle nous collaborons dans la lutte contre des cartels internationaux», regrette Vincent Martenet, favorable à une commission plus réduite, de cinq membres (au lieu des douze actuels) indépendants des associations patronales et des syndicats.
A la suite de la crise du franc fort, le Conseil fédéral a décidé d'intégrer à la révision du droit des cartels une forme d'interdiction des cartels durs, sur le modèle européen. Vincent Martenet s'en réjouit. La proposition faite, dans le cadre de cette révision, de créer un tribunal de la concurrence le laisse en revanche sceptique, pour l'instant: «En octroyant le pouvoir de décision à un tribunal et en faisant du secrétariat une autorité d'instruction, on s'éloigne de la situation prévalant dans l'UE ainsi que la plupart de ses Etats membres et on risque d'allonger les procédures. De plus, il faudrait renforcer l'autorité en engageant des avocats chevronnés, ce qui entraînerait une augmentation des coûts.»
Pour l'heure, une chose de sûre: les effectifs du secrétariat (une cinquantaine de personnes) vont être étoffés. Quatre nouveaux postes sont créés et d'autres engagements suivront. Là, ce sont à la fois le président et le professeur Martenet qui se réjouissent.