Le droit à un procès équitable, garanti par plusieurs dispositions de droit international, fédéral et cantonal, implique nécessairement que la justice soit rendue de manière indépendante et impartiale. La garantie d’indépendance et d’impartialité est consacrée par l’art. 30 al. 1 Cst., qui dispose que «toute personne (…) a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal (…) indépendant et impartial», ainsi que, notamment, par les art. 191c Cst., 6 § 1 CEDH et 14 § 1 Pacte ONU II. Elle vise l’ensemble des tribunaux, qu’ils soient de première instance ou d’instance supérieure1.
L’art. 4 al. 1 CPP prévoit que «les autorités pénales sont indépendantes dans l’application du droit et ne sont soumises qu’aux règles du droit». Il étend donc la garantie d’indépendance à toutes les autorités pénales, dont, en particulier, le ministère public2, mais ne constitue qu’un principe directeur qui n’est pas directement applicable: pour faire valoir une violation de la garantie d’indépendance, les participants à la procédure doivent utiliser l’institution de la récusation, prévue par les art. 56 ss CPP3.
L’impartialité d’une fonction judiciaire résidant notamment dans l’indépendance de ceux qui l’exercent, les deux exigences d’indépendance et d’impartialité «se recoupent en grande partie et s’interpénètrent au point qu’il est difficile de les distinguer strictement»4. Elles ne sont pas, pour autant, identiques: l’indépendance signifie l’«absence d’influence extérieure sur les décisions à prendre», tandis que l’impartialité concerne la «disposition interne du membre de l’autorité vis-à-vis des participants à la procédure»5.
La garantie d’indépendance
L’indépendance des juges «doit viser à assurer leur liberté d’esprit, en évitant que des éléments étrangers au procès ne pèsent sur son issue»6. Elle implique que les tribunaux soient indépendants à l’égard tant des parties que des autres pouvoirs de l’Etat, en particulier de l’exécutif et du législatif7 ou encore d’autres entités, comme les partis politiques et les groupes de pression8 ainsi que des médias9.
Pour établir si un tribunal est indépendant, il faut prendre en compte notamment le mode de désignation et la durée du mandat des juges, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et la question de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance10.
Le fait que les juges ne soient pas élus, mais nommés par le gouvernement est compatible avec l’exigence d’indépendance, pour autant qu’ils jouissent d’une certaine stabilité et que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils ne soient soumis à aucune autorité et ne reçoivent pas d’instruction11.
La garantie d’impartialité
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la garantie d’impartialité figure «au premier rang» des exigences de l’art. 6 § 1 CEDH12. Elle vise à garantir que l’autorité judiciaire «ne manifeste ni hostilité ni faveur à l’égard d’une partie»13 ou, en d’autres termes qu’elle juge sans préjugé ou parti pris14.
La doctrine et la jurisprudence distinguent traditionnellement l’impartialité «objective» de l’impartialité «subjective»15. Cette distinction, qui ne paraît pas essentielle, est ambiguë, car entendue différemment selon les sources.
Le juge doit d’abord offrir une apparence suffisante d’impartialité. Même s’il statue sans parti pris et sans préjugé, il peut s’exposer au grief de partialité sitôt que les circonstances donnent une apparence de prévention et font redouter une activité partiale de sa part. Par contre, la partialité ne peut être admise uniquement en raison du sentiment subjectif d’une partie16.
Une violation de la garantie d’impartialité peut, par exemple, être retenue lorsqu’un juge a un intérêt personnel dans l’affaire, s’il a déjà agi à un autre titre dans la même cause ou lorsqu’il entretient des liens personnels ou familiaux ou des rapports d’amitié ou d’inimitié étroits avec une partie ou avec son conseil juridique17.
Comme l’a considéré le Tribunal fédéral en 2007 dans une affaire vaudoise impliquant l’association «Appel au peuple», le fait qu’une partie s’en prenne violemment à un juge, trahissant ainsi son inimitié à son égard, ne permet pas de présumer que ce sentiment soit réciproque et de justifier une récusation. Admettre le contraire reviendrait à «ouvrir aux quérulents la possibilité d’influencer la composition du tribunal en tenant des propos insultants vis-à-vis du juge dont ils récusent la participation». Il en va toutefois différemment si le juge réagit en déposant une plainte pénale et prend des conclusions civiles en réparation du tort moral, le conflit prenant alors une tournure personnelle18.
La garantie d’impartialité est violée lorsque le juge exerce ou a exercé, dans un passé récent, la fonction d’avocat d’une partie dans une affaire concomitante19. Tel peut même être le cas, suivant les circonstances, lorsque le juge doit statuer sur une affaire soulevant les mêmes questions juridiques qu’une autre cause pendante qu’il plaide comme avocat20.
Par contre, le juge peut valablement statuer lorsqu’il a rendu dans un précédent procès une décision défavorable au prévenu21 ou s’il traite successivement des affaires analogues22.
De même, comme l’a récemment rappelé le Tribunal fédéral dans une affaire fribourgeoise, «le magistrat appelé à statuer à nouveau après l’annulation d’une de ses décisions est en général à même de tenir compte de l’avis exprimé par l’instance supérieure et de s’adapter aux injonctions qui lui sont faites». La garantie d’impartialité n’est violée que dans «des circonstances exceptionnelles (...) quand, par son attitude et ses déclarations précédentes, le magistrat a clairement fait apparaître qu’il ne sera pas capable de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction des opinions qu’il a précédemment émises»23.
Par ailleurs, en principe, «des erreurs de procédure ou d’appréciation commises par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement un soupçon de prévention. Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, qui doivent être considérées comme des violations graves de ses devoirs, peuvent avoir cette conséquence»24.
Suivant les circonstances, le comportement du juge, et notamment ses prises de position, peuvent faire douter de son impartialité25. Fondamentalement, il a le droit de faire valoir ses idées et ses opinions26. Si l’appartenance à un parti politique ne constitue, en principe, pas un motif de récusation, des «opinions politiques spécifiques peuvent plus facilement s’avérer incompatibles avec la participation à une procédure ayant pour enjeu une problématique voisine». Les opinions scientifiques émises par un juge ne sont pas problématiques, «pour autant qu’il puisse continuer à examiner les questions concrètement déterminantes d’une façon ouverte et complète». Un engagement de type associatif peut aussi, suivant les cas, faire douter de son impartialité27.
Le juge peut donner une apparence de partialité s’il révèle une opinion sur l’issue du litige avant le terme du procès28, s’il tient des propos révélant des préjugés à l’égard d’une partie29 ou s’il fait pression, en tant que juge d’instance supérieure, pour inciter l’avocat d’une partie à retirer son recours30. Des questions superflues au prévenu, même indiscrètes, ou des commentaires humoristiques ne constituent pas, en soi, des motifs de récusation suffisants31.
On précisera enfin que la déclaration du juge selon laquelle il se reconnaît lui-même prévenu ne justifie pas nécessairement sa récusation, mais doit être interprétée en fonction des circonstances32.
La récusation
La récusation constitue «l’outil procédural mis en œuvre pour assurer le contrôle de l’indépendance et de l’impartialité des autorités pénales»33. Elle peut se définir comme «la procédure par laquelle une partie à un procès sollicite qu’un magistrat ou un fonctionnaire judiciaire, suspect de partialité, soit écarté du procès auquel il participe»34. Elle peut intervenir soit à l’initiative du juge lui-même, soit à la requête d’une partie35.
L’art. 56 CPP énonce les causes de récusation, en précisant qu’elles visent «toute personne exerçant une fonction au sein d’une autorité pénale», soit non seulement les juges, mais aussi, notamment, les procureurs, les greffiers, les policiers, les experts et les traducteurs36.
Les lettres a à e prévoient différents cas de figure entraînant une présomption de partialité, comme un «intérêt personnel» du juge dans l’affaire, le fait d’avoir «agi à un autre titre dans la même cause» ou certains liens relationnels ou familiaux avec une partie, son conseil juridique ou une personne «qui a agi dans la même cause en tant que membre de l’autorité inférieure». La lettre f, qui constitue une véritable clause générale37, dispose que toute personne exerçant une fonction au sein d’une autorité pénale est tenue de se récuser «lorsque d’autres motifs, notamment un rapport d’amitié étroit ou d’inimité avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention».
En pratique, la récusation doit demeurer exceptionnelle, pour éviter qu’une partie puisse, en abusant de cette possibilité, choisir les magistrats appelés à statuer sur son sort ou qu’un juge puisse se retirer par commodité, pour ne pas avoir à trancher des questions délicates38. Elle ne doit être prononcée que pour des motifs sérieux39.
Lorsqu’une personne tenue de se récuser participe à des actes de procédure, l’art. 60 al. 1 CPP dispose que ceux-ci «sont annulés et répétés si une partie le demande au plus tard cinq jours après qu’elle a eu connaissance du motif de récusation». Passé ce délai, les parties sont présumées avoir renoncé à la récusation, et l’acte de procédure conserve sa pleine validité40. L’alinéa 3 précise que «si un motif de récusation n’est découvert qu’après la clôture de la procédure, les dispositions sur la révision sont applicables».