Plusieurs caisses de pension helvétiques assurent l'avoir de nos vieux jours en investissant dans les matières premières agricoles. Constatant que ces instruments financiers ont augmenté depuis la crise financière de 2008, où les aliments de base ont servi de valeur refuge, Thomas Gröbly, de l'Institut pour les sciences naturelles et sciences humaines de la HES de Brugg-Windisch, organise le 16 octobre prochain un congrès sur ce thème1. Il aurait souhaité débattre avec des caisses de pension adeptes de cette diversification des placements. On n'en est en effet plus au temps où ces investissements servaient à améliorer les techniques agraires ou assuraient un prix fixe aux paysans pour leurs produits. Aujourd'hui, des instituts financiers spéculent sur la variation du cours des matières premières, provoquant du même coup, selon certaines études, une pénurie artificielle et des hausses des coûts responsables de crises alimentaires. «J'ai demandé à plus de vingt représentants de caisses de pension de participer à ce débat. Mais personne n'a souhaité venir en parler. Pas le temps ou trop délicat», commente Thomas Gröbly.
Sur ce sujet, les conversations tournent facilement au dialogue de sourds. C'est ce qu'a dû penser la Jeunesse socialiste suisse, qui a interpellé, en février dernier, la Caisse de pension de la Ville de Zurich, constatant qu'elle investissait encore dans les matières premières agricoles et la priant de modifier sa stratégie de placements. Dans Le Temps, Ernst Welti, directeur de la caisse de pension, répond que les investissements en matières premières alimentaires «réduisaient la faim dans le monde» et que ces placements permettent aux producteurs et aux négociants de «vendre leurs marchandises et d'augmenter l'offre de produits alimentaires» sur la planète.
Et en Suisse romande? La Caisse de pension de l'Etat de Vaud, qui a confié sa gestion aux Retraites Populaires, remporte la palme du laconisme en renvoyant à son rapport de gestion 2012, «la caisse ne commentant pas davantage sa stratégie de placement». Ce dernier nous apprend que 1,7% des placements concerne des actifs en matières premières. Certaines sont agricoles, puisque le rapport précise que «les prévisions de récoltes de blé, de maïs et de soja ont été fortement réduites à la suite de la sécheresse enregistrée en début d'année aux Etats-Unis», événement qui a provoqué «une forte hausse des prix». En tout, les matières premières représenteraient 130 millions sur quelque 7 milliards de placements (12 placements collectifs confiés à neuf gestionnaires distincts).
La Caisse de pension de la République et Canton du Jura remporte, elle, la mention «peut mieux faire». Alors que ses placements alternatifs en matières premières représentaient encore 65,7 millions de francs en 2011, elle a désengagé ses participations dans le secteur agricole à hauteur de 20 millions en 2012. Elle conserve actuellement deux placements en matières premières, l'un agricole et l'autre non. Il n'est pas question pour l'heure de se désengager davantage. D'ailleurs, les deux motions que le député Emmanuel Martinoli a déposées en ce sens aux Parlements tant cantonal que communal ont été rejetées. On lui a simplement déclaré, en coulisse, que la Caisse de pensions de la commune de Delémont éviterait à l'avenir les placements dans les matières premières agricoles.
Il faut bien un premier élève. C'est la future Caisse de prévoyance de l'Etat de Genève, issue du rapprochement de la CIA et de la CEH, qui commencera ses activités sous administration unique le 1er janvier 2014 sans le moindre investissement en matières premières. Des «perspectives de performance réduites et des préoccupations récurrentes en termes d'investissement socialement responsable» ont conduit le comité de la CIA à décider de vendre les quelque 102 millions placés dans les matières premières (sur un total de placements de 6 milliards). Tout a été liquidé durant le premier semestre 2013 et réinvesti dans des liquidités et la microfinance. Décidément exemplaire.
1Congrès à l'occasion de la journée mondiale de l'alimentation 2013 le 16 octobre à Brugg-Windisch: www.fhnw.ch/technik/ign/veranstaltungen