Les effectifs des mineurs placés (avant ou après jugement) en établissement d’éducation ou en détention sont en diminution constante depuis 2010, révélait la statistique des sanctions publiée en ce début d’année (voir tableau). Le recul en quatre ans n’est pas insignifiant, puisqu’il est de 44%, sur la base de décomptes réalisés chaque année à la même date. Cette tendance se retrouve dans les statistiques annuelles des jugements (chiffres de l’année, et non pointage à date fixe): entre 2010 et 2013, les placements ouverts de mineurs ont diminué de 64% et les placements fermés de 56%.
Nicolas Queloz, professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Fribourg, observe cette évolution: «Les placements en établissement d’éducation sont en effet en disgrâce, aussi bien chez les jeunes concernés que chez les juges. Les premiers redoutent la discipline régnant dans ces établissements, pour des séjours de durée souvent indéterminée. Ils préfèrent parfois une courte peine privative de liberté ferme. Quant aux juges, ils ne trouvent pas toujours la place adéquate pour un jeune au bon moment. Et certains craignent qu’on leur reproche le coût du placement, comme cela a été le cas, en Suisse alémanique, dans le cas de Carlos.» Ce jeune délinquant avait été placé en appartement protégé, avant que le Ministère public ne le fasse enfermer sous la pression de médias qui dénonçaient le coût excessif du traitement. C’est finalement sur l’intervention du Tribunal fédéral que le jeune a été remis en milieu ouvert.
Nicolas Queloz souligne aussi l’augmentation des traitements ambulatoires, plus souples, mais aussi, à l’inverse, une tendance accrue des juges à prononcer des peines privatives de liberté fermes: elles sont passées de 396 à 463 entre 2010 et 2013 (les chiffres de 2014 n’étant pas encore disponibles). Le spécialiste craint que l’offre supplémentaire de places de détention dans la nouvelle prison pour mineurs de Palézieux crée une demande accrue. «Mais il semble que ce n’est pas le cas pour l’instant.»
Le rôle de la procédure
Bluette Chevalley, présidente de l’Association latine des juges des mineurs, remarque que c’est la délinquance juvénile, en général, qui est en baisse depuis 2011, au regard des statistiques de la police et de la justice. Elle attribue cette évolution notamment à l’entrée en vigueur de la procédure pénale des mineurs en 2011: «Le travail de la police se trouve ralenti et elle est moins sur le terrain. Les auditions, où les avocats sont parfois présents, se compliquent. Au final, moins de dossiers sont transmis à la justice.» La magistrate souligne, par ailleurs, le caractère cyclique de la délinquance des mineurs: des bandes se forment, puis se défont une fois leurs membres devenus adultes. Et, si les placements pénaux des moins de 18 ans sont en diminution, il n’en va pas de même des placements civils: «Des troubles du comportement au sens large nécessitent des mesures civiles. Et, si le jeune commet un délit, on le maintient parfois dans le cadre de la mesure civile.»
Facteur démographique
Dans les universités, la prudence est de mise dans l’analyse de la diminution des condamnations des mineurs de 2010 à 2013 (voir tableau ci-contre, les chiffres de 2014 ne sont pas encore connus). Pour Nicolas Queloz, la nouvelle procédure pénale des mineurs a peut-être joué un rôle, mais il n’existe pas d’étude fiable à ce sujet. Et il présente d’autres variables importantes: la part des jeunes de 0 à 19 ans dans la population est en diminution depuis 2007, passant de 21,4% cette année-là à 20,3% en 2013. Par ailleurs, la procédure pénale des mineurs a favorisé la médiation, ce qui diminue le nombre de condamnations prononcées par la justice.
Relativiser les statistiques
Au Centre romand de recherche en criminologie de l’Université de Neuchâtel, l’effet de la nouvelle procédure sur les courbes statistiques n’a pas non plus été étudié en particulier. André Kuhn, professeur de droit pénal et de criminologie, s’est penché, à la fin de 2014, sur les derniers chiffres de la criminalité des mineurs, pour le groupe d’experts «Réforme en matière pénale» de Caritas. Il souligne le rôle joué par la variable démographique (moins de jeunes, moins de délinquance des mineurs…), sans toutefois le considérer comme central. Il remarque aussi que «les statistiques officielles ne sont pas toujours le seul reflet de la réalité, mais qu’elles peuvent également dépendre d’autres facteurs, tels que les choix stratégiques de la police. Les fluctuations (…) dépendent, parfois, autant de décisions des autorités de poursuite que de la criminalité elle-même.» Ceci dit, les statistiques policières depuis une dizaine d’années dénotent une très nette diminution de la part des mineurs dans la criminalité en Suisse (11% en 2013, contre 20% en 2003 par exemple), et une diminution du nombre d’infractions au Code pénal commises par les moins de 18 ans: par exemple 14 899 en 2009 contre 9106 en 2013, alors que, pour les adultes, le nombre a au contraire grimpé de 65 500 à 72 000 pour la même période.
Du côté des statistiques de la justice, la baisse des condamnations pénales des mineurs est nette depuis 2010, comme évoqué plus haut, mais, si l’on prend une période d’une dizaine d’années, la courbe est fluctuante (voir graphique ci-dessous). Pour le professeur Kuhn, «il semblerait que les tribunaux des mineurs soient plus interventionnistes aujourd’hui qu’il y a une dizaine d’années, puisqu’il y a moins de prévenus, mais toujours presque autant de condamnés».
Les sondages
A côté des statistiques officielles, les criminologues ont développé leurs propres indicateurs, dont le sondage auprès d’un échantillon de population. En 2013, un tel sondage – effectué à l’Université de Saint-Gall par le professeur Martin Killias – contredisait les statistiques officielles en montrant une augmentation de la délinquance des jeunes entre 2006 et 2013. Mais cette méthode-là n’est pas non plus imparable, souligne André Kuhn, tant il est difficile de constituer un échantillon représentatif de la population mineure, dans son ensemble.