Cette sélection est destinée aux praticiens, qu’ils soient avocats, juristes ou conseillers juridiques en entreprise ou dans une collectivité publique. Les arrêts choisis et commentés mettent en évidence une partie de la jurisprudence publiée ainsi que les arrêts non publiés les plus intéressants.
Droit privé Délai de prescription (127-128 CO)
Etonnement, le TF n’avait jamais eu à déterminer le délai de prescription d’une action en délivrance ou en rectification du certificat de travail. C’est chose faite, par un arrêt publié au Recueil officiel1: le délai général de prescription de dix ans a été retenu, sous réserve de l’abus de droit. Au terme d’une analyse fouillée, c’est bien la position de la doctrine dominante qui a été retenue: le délai de cinq ans de l’art. 128 ch. 3 CO ne vaut que pour les créances salariales au sens large, à savoir en particulier les créances de salaire, de gratification, de bonus, et celles relatives aux heures et au travail supplémentaires ainsi qu’aux vacances.
Conclusion d’un contrat de travail (319 CO)
La conclusion d’un contrat de travail implique la réalisation de quatre conditions, à savoir une prestation de travail, une rémunération, un lien de subordination et une relation de durée. Dans deux arrêts concernant la qualification du rapport juridique liant un psychologue exerçant sous la délégation d’un psychiatre, le TF a nié l’existence d’un contrat de travail2. La qualification de contrat de travail n’est toutefois pas exclue dans une telle configuration3. Ainsi, l’absence de rapport de subordination et le fait que le risque économique est assumé par le «travailleur» conduisent à exclure la qualification de contrat de travail, nonobstant la qualification de «contrat de travail» utilisée par les parties4.
Heures et travail supplémentaires (321c et 329d CO, 9, 12 et 13 LTr)
Deux arrêts du TF traitent des questions relatives aux heures et au travail supplémentaires et apportent des confirmations de la pratique actuelle. Dans le cas d’un peintre en automobile, le TF a eu l’occasion d’affiner sa pratique à propos de la compensation en espèces ou en nature des heures supplémentaires et des vacances en cas de résiliation des rapports de travail. Le travailleur avait été libéré de l’obligation de travailler durant le délai de résiliation et postulait que seule une compensation en espèces pour ces deux créances étaient acceptables. Le TF n’a pas suivi son raisonnement5: il a, dans un premier temps, considéré qu’il y avait abus de droit de la part du travailleur de s’opposer à la compensation en nature de 3,54 jours d’heures supplémentaires, puisqu’il avait été libéré de l’obligation de travailler pendant 79 jours ouvrés. En ce qui concerne le solde des vacances dues, à savoir 35,67 jours, le travailleur devait accepter de le compenser au cours des 75,46 jours ouvrés (79 jours – moins 3,54 jours à titre d’heures supplémentaires) durant lesquels il avait été libéré de l’obligation de travailler. Cette limite de compensation a été considérée admissible au regard de toutes les circonstances et, en particulier, du fait que le travailleur avait un comportement difficilement compatible avec les règles de la bonne foi.
Toujours à propos d’heures et de travail supplémentaires, le TF a rappelé que, pour la fonction de cadre dirigeant, l’horaire de l’entreprise n’est en principe pas applicable, puisque ces cadres ont une grande marge de manœuvre pour organiser leurs journées et leur temps de travail. La loi sur travail (travail supplémentaire) n’est exceptionnellement pas non plus applicable aux travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée. Le TF refuse cependant une application trop schématique: il a considéré6, pour les associés d’une Sàrl, qu’il fallait examiner de cas en cas si les cadres occupent une fonction dirigeante élevée. Dans ce cadre est décisive la nature des activités réellement exercées par le cadre au regard de la structure de l’entreprise.
Moralité: une gestion rigoureuse des heures de travail s’impose, au besoin avec des suivis individualisés.
Salaire en cas d’empêchement du travailleur (324a CO)
Si le travailleur est empêché de travailler, sans faute de sa part, pour des causes inhérentes à sa personne, telle que la maladie notamment, l’employeur lui doit le salaire pour un temps limité (art. 324a al. 1 et al. 2 CO). Les tribunaux appliquent, dans les cantons romands, la fameuse «échelle de Berne» pour définir la durée de cette période de prise en charge. Afin d’éviter que les travailleurs ne se retrouvent sans salaire durant une période d’incapacité, le législateur a prévu que les parties pouvaient déroger à la règle à condition d’accorder au travailleur «des prestations au moins équivalentes» (art. 324a al. 4 CO). Au cours du temps, ce sont les assureurs qui ont offert des contrats d’assurance collective pour perte de gain en cas de maladie qui, grosso modo, offrent jusqu’à 730 indemnités journalières sur une période de 900 jours en cas de maladie, en principe avec prise en charge paritaire des primes entre les employeurs et les employés.
Si le principe semble clair, les zones grises sont nombreuses. Quatre arrêts du TF en donnent l’illustration. Les questions traitées étant très techniques et complexes, nous nous contenterons d’un bref résumé.
Dans un premier arrêt publié au Recueil officiel7, le TF a admis que, malgré certains termes ambigus, une assurance collective en cas de maladie puisse être une assurance contre les dommages et non pas une assurance de sommes: il en découle qu’il incombe au travailleur de prouver qu’il subit une perte de gain du fait de l’incapacité de travail imputable à son état de santé. Cela a notamment pour effet de présumer qu’un travailleur âgé qui serait tombé malade après la date de résiliation de son contrat de travail pourrait être jugé inapte au travail, et ne subirait donc aucun dommage aux yeux de l’assureur. En d’autres termes, comme repris quelques semaines plus tard dans un autre arrêt publié8, la présomption de fait selon laquelle sans la maladie qui l’affecte, une personne sans emploi exercerait une activité lucrative ne s’applique que si l’incapacité de travail est survenue avant la signification du congé. Ces deux arrêts font la part belle aux assureurs et aux incertitudes, mais ne sont satisfaisants ni pour les travailleurs, ni pour les employeurs9.
Un arrêt non publié10 vient encore confirmer le caractère invraisemblable des conditions d’application de l’art. 324 al. 4 CO: selon le TF, ne doit pas être qualifiée d’insolite la clause des conditions générales d’assurance qui prévoit que la prise en charge d’un sinistre, né et non encore terminé durant les rapports de travail, s’arrête au terme des rapports de travail. Pour assurer cette couverture, l’assuré, malade au terme de son contrat de travail, n’a donc plus le choix que de s’affilier individuellement (pour des primes relativement élevées cependant) auprès de l’assureur perte de gain pour éviter une absence de revenu.
Dans un arrêt très intéressant11, le TF a néanmoins donné son aval au Tribunal cantonal bernois qui avait jugé qu’une capacité de travail, même limitée à la place de travail (arbeitsplatzbedingte Arbeitsunfähigkeit) devait être prise en compte, au regard des circonstances, comme une incapacité de travail en tant que telle. Il faudra sans doute encore attendre une confirmation de cette jurisprudence et, en particulier, de l’effet protecteur qui pourrait en découler en application de l’art. 336c CO12.
Cela dit, ces arrêts du TF mettent en évidence de sérieuses lacunes de l’art. 324a CO: à quand une intervention du législateur fédéral?
Congé abusif (336 et 336a CO)
Pour qu’un congé soit reconnu comme abusif au sens de l’art. 336 CO, le travailleur doit être apte à en apporter la preuve. Le TF est ainsi fréquemment invité par les parties à réexaminer les circonstances de fait qui ont amené les tribunaux inférieurs à admettre ou à refuser le caractère abusif d’un congé. Dans plusieurs arrêts récents, le TF doit ainsi rappeler que «le motif de la résiliation relève du fait»13, ce qui implique que les constations de l’arrêt attaqué ne peuvent être remises en cause que sous l’angle restreint de l’arbitraire. En revanche, «savoir si le motif ainsi établi donne lieu à un congé abusif ou non relève du droit, que le TF revoit librement»14.
Dans un arrêt qui mérite une attention particulière, le TF a nié le caractère abusif d’un congé donné à une cadre. Le fait que son supérieur ait agi de manière blessante et irrespectueuse à son égard ne constituait pas un conflit interpersonnel dans la mesure où les autres cadres subissaient le même traitement15! Un tel raisonnement est, à notre sens, malheureux, car il pourrait constituer une «prime» à un management rude. Le TF a cependant confirmé, dans cette affaire, que les modalités du licenciement étaient en revanche abusives16.
Le TF semble nuancer sa jurisprudence rendue sur la protection accrue des travailleurs âgés contre le licenciement17 en retenant que l’âge et l’ancienneté ne sont que des éléments parmi d’autres à prendre en compte dans l’examen du caractère éventuellement abusif du licenciement18.
Dans les autres arrêts sous revue concernant cette problématique, n’a pas été jugé abusif le licenciement:
- d’un travailleur qui ne respectait pas certaines instructions de l’employeur, adoptait une attitude inadéquate à l’égard de ses collègues et de ses supérieurs et faisait montre d’un manque d’esprit d’équipe19;
- d’une employée en raison d’un grave conflit interpersonnel avec ses collègues, lequel ne s’est pas résorbé malgré les mesures prises par l’employeur consistant à organiser des séances pour aplanir le différend, le déplacement d’un employé pour éviter les contacts entre les protagonistes et l’avertissement que de tels comportements ne seraient pas tolérés. Le TF a considéré qu’on ne pouvait pas exiger de l’employeur qu’il prenne plus de mesures avant de procéder au licenciement20;
- d’une journaliste qui persistait à ne pas suivre les instructions données par sa rédaction quant à la manière de rédiger ses articles, et ce, malgré plusieurs avertissements21;
- d’un commercial en cas de détérioration de la relation entre les parties ayant amené à une rupture du lien de confiance22.
A en revanche été considéré comme abusif, le licenciement donné par l’employeur dans le but de s’épargner un conflit de personnes et mettre fin aux revendications du travailleur plutôt que de déplaire au cadre avec lequel l’employé était en conflit23. Ce qui semble distinguer cet arrêt des autres affaires portant sur un conflit interpersonnel, c’est l’absence de mesures adoptées par l’employeur pour tenter de remédier au conflit avant de procéder à un licenciement.
Aux termes de l’art. 336b al. 1 CO, le travailleur qui souhaite invoquer la protection conférée par la loi contre les licenciements abusifs doit former opposition au congé auprès de l’employeur avant la fin du délai de congé. Il s’agit d’un délai de péremption. Procéduralement, il appartient à l’employé qui invoque un congé abusif d’alléguer et de prouver avoir formé opposition au congé dans le délai. Dans le cadre d’une affaire genevoise, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice a admis que, bien que l’employé eût omis d’alléguer l’opposition au congé, ce fait pouvait être tenu pour admis dans la mesure où l’employeuse défenderesse n’avait pas non plus contesté l’existence d’une opposition valable au congé dans le cadre de l’échange d’écritures24. L’arrêt cantonal renvoyant la cause au Tribunal de première instance pour complément d’instruction et jugement, l’employeuse a formé un recours immédiat au TF contre ce jugement incident. Le TF ne s’est pas prononcé sur le fond du raisonnement tenu par la Cour de justice sur la question du fardeau de l’allégation dans la mesure où le recours a été déclaré irrecevable en application de l’art. 93 LTF. En effet, un recours ne peut être formé au TF contre un jugement incident qu’en présence d’un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF)25. Cette affaire est l’occasion de rappeler l’importance d’alléguer et de prouver les faits pertinents fondant une prétention en justice. A notre sens, la position de la Cour de justice genevoise apparaît très favorable à l’employé et semble s’écarter de la jurisprudence du TF rendue concernant le fardeau de l’allégation26.
Résiliation immédiate et conséquences (337 et ss CO)
La jurisprudence du TF rendue en matière de résiliation immédiate des rapports de travail est étonnamment assez importante, cette année encore.
Le TF a ainsi eu l’occasion de rappeler que la résiliation d’un contrat de travail constitue l’exercice d’un droit formateur. Par conséquent, une résiliation immédiate ne peut pas intervenir subséquemment à une résiliation ordinaire si les motifs invoqués à l’appui de la résiliation immédiate des rapports de travail se rapportent aux mêmes faits ayant entraînés la résiliation ordinaire27. En effet, lorsqu’un créancier a le choix entre plusieurs prétentions alternatives, et qu’il décide de faire usage de l’une d’entre elles, il perd la possibilité de recourir aux autres.
Pour être valable, une résiliation immédiate doit intervenir rapidement et l’employeur ne dispose que d’un court délai de réflexion; à défaut, cela pourrait laisser supposer que l’employeur peut s’accommoder de la continuation des rapports de travail jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat28. Alors que la jurisprudence retient usuellement que le délai de réflexion de l’employeur n’est que de quelques jours, le TF a admis la validité d’un licenciement immédiat prononcé plusieurs mois après les faits, à savoir l’envoi d’une vidéo à caractère pédopornographique sur un groupe whatsapp comprenant plusieurs employés. Un tel laps de temps a été admis en raison du fait que l’employeur a attendu le sort de la procédure pénale intentée contre l’employée avant de procéder au licenciement29.
Un licenciement immédiat ne peut être prononcé que pour de justes motifs, soit notamment lorsque les circonstances ne permettent plus d’exiger une continuation des rapports de travail. Les manquements du travailleur doivent être objectivement propres à détruire le rapport de confiance. Le TF a précisé que l’employeur était en droit d’avoir des exigences accrues envers les cadres; ainsi, la position du travailleur, sa fonction et les responsabilités qui lui sont confiées impliquent un accroissement de la rigueur et de la loyauté attendue de ces derniers30. Un licenciement immédiat peut dès lors être prononcé «plus facilement» à l’égard d’un cadre.
La casuistique présentée ci-après permet de mieux cerner les situations portant sur un licenciement immédiat. Ainsi, a été considéré comme justifié un tel licenciement prononcé:
- en raison de l’envoi d’une vidéo pédopornographique sur un groupe whatsapp auprès de plusieurs collègues31;
- lorsqu’un travailleur a traité son supérieur de «gros connard» et de «trou du cul». Des injures ou de la violence contre la personne de l’employeur pouvant justifier un licenciement immédiat si elles atteignent une certaine intensité32;
- à l’encontre d’un travailleur qui a gravement violé le code de conduite et le règlement du personnel de l’entreprise afin de couvrir des activités contraires à la loi en matière d’exportation de matériel de guerre33;
- car un agent de détention dormait la nuit sur son lieu de travail au lieu d’effectuer les rondes de garde34.
N’est en revanche pas justifié le licenciement immédiat prononcé:
- en raison de la suppression par une employée de bureau de plusieurs courriels envoyés par un client sans les traiter et sans en informer sa hiérarchie. Il a été retenu, dans le cas particulier, que le secrétariat était mal organisé et qu’il y avait une trop grande charge de travail35;
- à l’encontre d’un animateur en EMS qui a jeté à deux reprises un stylo en direction de résidents afin d’attirer leur attention, dans la mesure où l’acte en question n’a pas été effectué avec force ou agressivité36;
- à l’encontre d’une avocate-stagiaire qui a quitté son poste pour des raisons de santé en ayant informé dans un premier temps uniquement le secrétariat, son maître de stage ne l’ayant été que quelques heures plus tard37;
- en raison du fait qu’un employé de cuisine aurait refusé de plier des cartons de sauce tomate et aurait «fait un cirque» durant 15 minutes la veille au soir38.
Il est intéressant de relever que, dans toutes ces affaires relatives à des licenciements avec effet immédiat, le TF n’a jamais désavoué les tribunaux cantonaux de dernière instance. Cela est dû au fait que l’appréciation du caractère justifié d’un licenciement immédiat relève principalement de l’établissement des faits, lesquels ne sont revus que sous l’angle de l’arbitraire par notre Haute Cour. Cette appréciation est confirmée par le fait que le TF a encore refusé d’entrer en matière sur un recours formé alors que la valeur litigieuse n’était pas atteinte, au motif que la question de savoir si un licenciement immédiat était justifié ou non dans un cas particulier ne relevait pas d’une question juridique de principe (art. 74 al. 2 let. a LTF)39.
Fonction publique Droit d’être en entendu (29 Cst.)
Dans le cadre de rapports de travail régis par le droit public, le principe cardinal du droit d’être entendu trouve également application, notamment avant qu’une décision de fin des rapports de travail ne soit prise. En droit administratif, la violation de cette garantie formelle entraîne usuellement l’annulation de la décision rendue sans respecter le droit d’être entendu. Le TF a eu l’occasion de rappeler, en matière de fonction publique, que la violation du droit d’être entendu pouvait être réparée, en lieu et place de l’annulation de la décision, par l’octroi d’une indemnité qui intervient en appliquant par analogie les règles relatives aux conséquences d’une résiliation injustifiée ou d’un licenciement abusif en droit privé40.
Résiliation et réintégration
En droit de la fonction publique, le TF a été amené à traiter, sous une forme ou une autre, de cinq affaires portant sur la fin des rapports de service et la réintégration, et qui retiennent l’attention.
Dans une affaire zurichoise, largement traitée dans les médias41, le TF a notamment traité la question suivante: est-ce que l’autorité inférieure, par exemple, un tribunal cantonal, examinant le bien-fondé d’une décision administrative prononçant le licenciement d’une fonctionnaire cantonale peut annuler cette décision, et donc réintégrer la personne, cela alors même que la loi cantonale applicable ne le prévoit pas? En d’autres termes, est-il possible de prononcer la nullité d’un licenciement sans base légale explicite dans la loi sur le personnel concernée, par exemple parce que la sanction prévue (indemnisation financière) ne permettrait pas de corriger suffisamment une contrariété au droit? Réexaminant attentivement sa jurisprudence récente en la matière42, le TF raisonne tout d’abord en rappelant les principes généralement valables en droit administratif général pour pouvoir prononcer la nullité d’une décision: les actes ne sont en général pas nuls, mais ne peuvent qu’être contestés, le cas échéant annulés. Souffre néanmoins de nullité absolue un acte qui est entaché d’un vice grave et substantiel (1) dont le caractère important est évident ou facilement reconnaissable (2) et dont la nullité ne compromet pas la sécurité du droit. Les principaux motifs de nullité sont l’incompétence fonctionnelle d’une autorité ainsi que les graves erreurs de procédure (par exemple la violation grave du droit d’être entendu, l’absence de possibilité de participer à la procédure). Dans le cas d’espèce, le TF a considéré que le vice (exploitation de preuves considérées comme licites alors que, par la suite, elles ne l’étaient plus) n’était ni évident, ni facilement reconnaissable. Mais il est admis, sur le principe, qu’un licenciement pourrait être annulé, même si le droit cantonal ne le prévoit pas.
Dans trois affaires genevoises, la situation, du moins en ce qui concerne la base légale, était plus limpide, la loi applicable prévoyant expressément la réintégration.
Employé à la Ville de Genève, un agent de sécurité municipal, promu référent de l’école municipale pour l’ensemble de la formation des agents de police municipale, s’est vu reprocher une participation active et un manque de vigilance sur un groupe whatsapp composé de formateurs de la police et de tous les aspirants à l’une des volées de formation. Les propos échangés avaient un caractère salace et grossier, ce qui apparaissait d’autant plus choquant que ce référent avait été en charge des cours de déontologie. Licencié avec effet immédiat pour justes motifs, il a obtenu gain de cause auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice qui a ordonné sa réintégration. Au vu de l’entier des éléments présentés, et malgré la gravité des faits reprochés, le TF a considéré43 que le jugement échappe au grief d’arbitraire et qu’il n’est pas insoutenable de considérer qu’un licenciement avec effet immédiat aurait constitué une sanction disproportionnée44.
Dans la dernière affaire, le TF a surtout traité la question du droit au traitement, lequel n’est pas nécessairement garanti, en cas de réintégration de la personne licenciée.45 S’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail, le TF a jugé que, en cas de réintégration, le fonctionnaire réintégré devait être placé dans la situation qui était la sienne avant son licenciement injustifié, comme si les rapports de travail n’avaient jamais cessé. Aussi, au regard de la loi cantonale genevoise, le fonctionnaire a droit à l’indemnité pour cause de maladie, mais aussi à son traitement (et à la part employeur pour sa caisse de pension). Le TF réserve toutefois sa position en cas d’adoption d’une disposition qui exclurait le droit à un traitement rétroactif en cas de réintégration ordonnée par l’autorité judiciaire46.
Résiliation immédiate
Le TF a pu rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle les principes développés en matière de droit privé dans le cadre de l’art. 337 CO n’étaient pas sans autre transposables aux rapports de travail de droit public47. Ainsi, l’employeur public qui est souvent soumis à l’obligation de prononcer un licenciement par voie de décision motivée devra respecter le droit d’être entendu de l’employé: une décision immédiate de licenciement ne pourra dès lors pas être prise48. Cette latitude supplémentaire ne doit cependant pas être un oreiller de paresse. L’employeur public doit tout mettre en œuvre pour prononcer le licenciement avec effet immédiat le plus rapidement possible, compte tenu des circonstances. Aussi, une résiliation immédiate qui a été prononcée le 5 janvier 2017 alors que les déterminations de l’employé étaient parvenues à l’autorité le 16 décembre 2016 est tardive, et cela nonobstant les jours fériés de fin d’année49. ❙
1 ATF 147 III 78.
2 TF 4A_64/2020 du 06.08.2020 et TF 4A_84/2020 du 27.08.2020.
3 Cf. par exemple TF 4A_326/2020 du 01.12.2020.
4 TF 4A_64/2020 du 06.08.2020 c. 7.1.
5 TF 4A_381/2020 du 22 octobre 2020 c. 5 et 6.
6 TF 4A_38/2020 du 22.07.2020.
7 ATF 146 III 339.
8 TF 147 III 73.
9 En ce qui concerne l’ATF 147 III 73, et aussi par ce biais l’ATF 146 III 339, voir la pertinente analyse de Me Emilie Conti Morel, «De la fin du mythe des 730 jours d’indemnisation, Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_424/2020», in: REAS 2021, p. 156.
10 TF 4A_502/2020 du 15 février 202.
11 TF 4D_7/2021 du 12.04.2021.
12 En ce sens, voir la note de Werner Gloor, in: Newsletter DroitDuTravail.ch, juin 2021.
13 TF 4A_126/2020 du 30.10.2020 c. 3; TF 4A_89/2021 du 30.04.2021 c. 3.1; ATF 130 III 699 c. 4.1.
14 TF 4A_126/2020 du 30.10.2020 c. 3.
15 TF 4A_50/2020 du 01.07.2020 c. 4.
16 TF 4A_50/2020 du 01.07.2020 c. 4.
17 Cf. notamment ATF 132 III 115; TF 4A_419/2009 du 29.01.2008.
18 TF 4A_44/2021 du 02.06.2021 c. 4 et commentaire de Christine Sattiva Spring, Le bouclier de l’âge sous les coups du TF, in: Newsletter DroitDuTravail.ch septembre 2021.
19 TF 4A_126/2020 du 30.10.2020 c. 4.1.
20 TF 4A_87/2020 du 17.08.2020 c. 3.3.
21 TF 4A_303/2020 c. 9.
22 TF 4A_89/2021 du 30.04.2021 c. 3.2.
23 TF 4A_638/2020 du 07.05.2021 c. 5.
24 TF 4A_4/2021 du 25 janvier 2021 c. 3.
25 TF 4A_4/2021 du 25 janvier 2021 c. 5.1.
26 Cf. ATF 144 III 519 c. 5.2.
27 TF 4A_255/2020 du 25.08.2020 c. 3.2.1 ss. voir également, ATF 144 I 11 c. 4.7.
28 Cf. notamment ATF 130 III 28 c. 4.4.
29 TF 4A_319/2020 du 05.08.2020 c. 4.
30 TF 4A_393/2020 du 27.01.2021 c. 4.1.1; cf. également TF 4A_44/2021 du 02.06.2021 c. 4.3.4.
31 TF 4A_319/2020 du 05.08.2020 c. 4.
32 TF 4A_431/2020 du 29.12.2020 c. 5.2.
33 TF 4A_498/2020 du 15.02.2021 c. 4.1.
34 TF 8C_103/2021 du 08.07.2021 c. 7.2; à noter que cet arrêt a été rendu dans le cadre d’un rapport de droit public; l’art. 337 CO y a été appliqué à titre de droit cantonal supplétif et les principes dégagés s’appliquent tant en droit privé qu’en droit public.
35 TF4A_585/2019 du 22.07.2020 c. 5.
36 TF 4A_21/2020 du 24.08.2020 c. 6.3.
37 TF 4A_5/2021 du 09.03.2021 c. 4.1.
38 TF 4A_51/2021 du 23.03.2021.
39 TF 4A_296/2020 du 06.08.2020 c. 1.3.1.
40 TF 8C_37/2020 du 07.09.2020 c. 3.2. Commentaire de Michel Chavanne, Droit de la fonction publique: une branche à mi-chemin entre le droit privé du travail et le droit administratif?, in: Newsletter DroitDuTravail.ch janvier 2021.
41 Ritzmann / Mörgeli (NZZ no 257, 04.11.2020).
42 TF 8C_7/2020 du 03.11.2020, c. 2
43 TF 8C_336/2019 du 09.07.2020, destiné à publication.
44 C’est le lieu de rappeler que, dans le cadre du recours en matière de droit public, comme dans le cas présent, le TF, appelé à revoir l’interprétation d’une norme cantonale ou communale, ne le fait que sous l’angle de l’arbitraire. Il ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d’un droit certain. Il arrive ainsi que le TF ne remette pas en question une décision même si une autre solution – même préférable – aurait été possible. Ainsi, s’il avait fallu appliquer le droit privé fédéral dans cette affaire 8C_336/2019, il n’est pas exclu que le TF eût rendu une décision plus favorable à l’employeur.
45 TF 8C_203/2020 du 25.08.2020.
46 TF 8C_546/2020 du 25.01.2021.
47 TF 8C_204/2020 du 17.08.2020 c. 4.2.3.; TF 8C_667/2019 du 28.01.2021 c. 7.2.1.; TF 8C_492/2020 du 19.02.2021 c. 7.2.
48 Ibidem.
49 TF 8C_204/2020 du 17.08.2020 c. 4.2.4.