Markus Schefer ne mâche pas ses mots, en déclarant que «la supervision des services de renseignement cantonaux est insuffisante». Il est vrai que l’organe de contrôle indépendant, qui exerce le contrôle des services secrets au niveau fédéral, est aussi compétent pour la surveillance des cantons. Cependant, selon le professeur bâlois de droit constitutionnel, la Confédération n’a pas la capacité de superviser les 26 cantons: «C’est pourquoi il est important de prendre au sérieux la surveillance dans chaque canton.» Plusieurs collaborateurs des services de renseignement cantonaux n’ont jamais été supervisés par le passé.
Aujourd’hui, les cantons contrôlent eux-mêmes leurs services de renseignement. L’art. 82 al. 2 de la nouvelle loi fédérale sur le renseignement, entrée en vigueur en 2017, dispose que la surveillance des services incombe à l’autorité hiérarchique de l’organe d’exécution cantonal considéré. Dans le canton de Zurich, par exemple, il s’agit de la Direction de la sécurité. Dans la plupart des cantons, cependant, le commandant de la police assure lui-même la surveillance des agents de renseignement.
Bâle-Ville: cinq contrôles en un an Selon la loi sur le renseignement, les cantons peuvent également engager un organe de contrôle séparé de l’organe d’exécution cantonal. Seul Bâle-Ville a mis en place cette surveillance supplémentaire. Depuis 2010, une équipe de trois personnes, constituée de Markus Schefer et des juristes Gabi Mächler et Robert Heuss, supervise les services de renseignement cantonaux.
Markus Schefer précise: «En 2017, nous avons effectué deux contrôles dans le domaine de la sécurité de l’Etat auprès de la «section 9» (collaborateurs du service de renseignement cantonal), et trois auprès de la police cantonale.» L’équipe a examiné comment le service de renseignement collecte, traite et diffuse des informations, de manière indépendante ou sur la base d’un mandat du Service de renseignement de la Confédération. Il convenait en particulier de vérifier si, comme cela est prescrit, ce service n’effectue aucune collecte de données propre, si les données du service de renseignement sont traitées séparément des données de la police cantonale, et si les exigences de la protection des données sont respectées. Selon le professeur Schefer, «la sélection des dossiers sur lesquels nous souhaitons enquêter est au cœur de nos préoccupations. Nous recevons par conséquent du service de renseignement la liste des opérations, dans laquelle sont répertoriées toutes les tâches attribuées au canton, accompagnées d’une brève description de chaque opération.» Il est extrêmement important de faire preuve de vivacité d’esprit: «Lire vite, réagir et se rendre compte rapidement si quelque chose pourrait ne pas s’être déroulé correctement.»
Si le groupe de contrôle remarque une faute, il en discute directement avec les collaborateurs du service de renseignement concerné. Markus Schefer précise que le procureur est également présent. En outre, le procureur général serait présent à chaque réunion de printemps avec les services de renseignement. «Ici, nous exprimons nos critiques et soulignons ce qui devrait être fait différemment à l’avenir.»
Soleure aussi pour la transparence
En fin d’année, l’organe de contrôle soumet un rapport annuel, public, au Grand Conseil, au Conseil d’Etat et au chef du Département de la justice et de la sécurité. Là aussi, Bâle-Ville fait figure d’exception, avec le canton de Soleure. Dans tous les autres cantons, les rapports d’activité ne sont pas publics.
A Soleure, Judith Petermann Büttler, préposée à l’information et à la protection des données, fait office d’organe de contrôle distinct du commandant de police. Elle précise: «Nous avons toujours, dans les dernières années, effectué un contrôle annuel. Nous avons pu disposer d’un accès illimité à tous les dossiers que nous avons demandés.» Markus Schefer confirme également que l’organe de surveillance bâlois a généralement accès à tous les dossiers. «Parfois, cela ne marche pas tout de suite. Il faut alors être patient, mais aussi rester obstiné jusqu’à ce que cela fonctionne.»
Opposition du SRC
Il fallait aussi de la ténacité pour qu’un tel organe de contrôle soit créé à Bâle-Ville. Au début du millénaire, la Commission de gestion du Grand Conseil s’est plainte de ce que la Sûreté cantonale ne faisait l’objet d’aucun contrôle sérieux. En 2008, elle a découvert un document attestant de l’absence de contrôle des activités de la «section 9», au sein du Parquet bâlois: la Sûreté cantonale fichait des députés de gauche au Grand Conseil, dont les socialistes Tanja Soland et Mustafa Atici. La première pour une demande d’autorisation de manifestation anti-WEF, le second pour des contacts avec des organisations kurdes et turques.
«Hanspeter Gass, alors directeur de la Sécurité, était d’avis qu’il fallait une réglementation cantonale pour une autorité de surveillance indépendante des services de renseignement cantonaux», explique le professeur Schefer. Cependant, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) s’y était vigoureusement opposé: «Le SRC a menacé de ne donner aucune information aux collaborateurs de la surveillance. L’inspection de dossiers était hors de question.» Le Gouvernement bâlois a fait un pas en direction du SRC, et n’a plus conçu la supervision comme un organe indépendant, mais comme un organe de soutien du directeur de la Sécurité. Le SRC a donné son accord.
L’organe de contrôle est soumis aux instructions du directeur de la Sécurité et n’est de facto pas indépendant. Markus Schefer assure cependant qu’il n’existe pas de lien de subordination, dans le sens que l’organe n’a pas à suivre des instructions avec lesquelles il serait en désaccord. «Dans une telle situation, nous démissionnerions immédiatement – ou ferions fi des instructions.» En raison de leur situation personnelle, ils agiraient ainsi en réalité, matériellement, de manière indépendante dans leur activité. «Nous n’avons jamais rien fait par égard pour le directeur de la Sécurité, et il ne nous a jamais donné d’instruction douteuse», déclare Markus Schefer.
Souvent un seul contrôle annuel
Cette configuration a déjà conduit à des conflits par le passé. Il y a deux ans, le PS bâlois a accusé le chef du service de renseignement cantonal d’avoir surveillé illégalement la conseillère Anita Fetz lors d’une manifestation organisée dans le centre culturel kurde. Fait particulier, Anita Fetz était à ce moment-là membre de l’organisme de contrôle. Le directeur de la Sécurité, Baschi Dürr, a été critiqué publiquement de ce fait. «Le directeur de la Sécurité doit répondre politiquement de toutes les erreurs que nous détectons dans les services de renseignement cantonaux. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que la plupart des directeurs de la Sécurité d’autres cantons s’opposent à un tel organe de contrôle», explique le professeur Schefer.
Une surveillance de qualité des services de renseignement cantonaux est également l’objectif de Thomas Fritschi, qui est à la tête de l’Autorité de surveillance indépendante chargée des activités de renseignement de la Confédération. L’année dernière, il a évalué l’organisation et la pratique actuelles en matière de surveillance, ainsi que les besoins des organes de surveillance des services cantonaux. Thomas Fritschi a mis les résultats à disposition de plaidoyer.
Ces derniers montrent que la majorité des organes de surveillance cantonaux contrôlent une fois par année le service de renseignement cantonal. Deux organes ont effectué des inspections semestrielles, et un a été en contact hebdomadaire avec le service cantonal de renseignement. Quatre autorités de surveillance n’ont effectué aucun contrôle.
Markus Schefer doute qu’un contrôle annuel soit suffisant. «Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre où résident les problèmes», explique le professeur, qui considère que les flux d’informations sont très complexes.
Ce point de vue est partagé par Hans Wegmüller, ancien chef du service fédéral du renseignement. Comme il l’a récemment expliqué dans la Neue Zürcher Zeitung: «Parfois, il manque simplement le savoir-faire pour contrôler le service. Ceux qui ne connaissent pas les services de renseignement depuis des années ont peu de chance de poser les bonnes questions et de les aborder aux moments clés.»
Thomas Fritschi et les instances de contrôle cantonales veulent remédier à ce manque de savoir-faire par une coopération plus étroite. Les cantons ont déclaré dans l’enquête qu’ils pouvaient imaginer que des conférences régulières, une formation pour les organes de contrôle cantonaux, un échange approfondi d’informations et un soutien technique direct en matière d’inspection conduiraient à des améliorations. Thomas Fritschi prévoit de tester cinq services de renseignement cantonaux par an. «En cinq ans, nous aurons ainsi examiné tous les cantons», calcule-t-il.