1. Introduction
Le 17 décembre 2004, le Parlement adoptait la loi fédérale sur la transparence de l’administration (LTrans(1)), contre la volonté du Conseil fédéral, qui craignait que le renversement du paradigme du secret non seulement ne paralyse le fonctionnement de l’administration, mais encore n’occasionne des coûts insupportables pour des finances publiques alors en crise. Contre la volonté du Tribunal fédéral aussi, lequel se refusait obstinément à déduire de la liberté de l’information un quelconque droit d’accès aux documents officiels(2). Sans la ténacité de quelques conseillers nationaux, convaincus que cet instrument permettrait d’améliorer la confiance du citoyen dans ses gouvernants et de favoriser le débat public sur les questions de société, la Suisse serait aujourd’hui l’un des derniers pays européens à refuser à ses citoyens un droit de regard sur les activités des autorités publiques(3).
Dix ans plus tard, il convient de s’interroger: la transparence s’est-elle réellement imposée dans un pays qui a fait de la discrétion et de la confidentialité sa marque de fabrique? La présente contribution entend répondre à cette question à la lumière de la jurisprudence qu’a engendrée la mise en œuvre de la LTrans. Un bilan critique qui prendra en compte non seulement les arrêts pertinents des tribunaux fédéraux, mais aussi, et surtout, les très nombreuses recommandations de l’organe de médiation, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT)(4). Quoique non contraignants, ses prononcés en disent long sur les bonnes et les mauvaises pratiques des services administratifs.
2. La LTrans en bref
On ne présente plus la LTrans(5); on se contentera donc de rappeler que ce court texte – il ne compte guère plus d’une vingtaine d’articles – délimite le cercle des autorités soumises à la transparence, définit les catégories de documents accessibles, établit une liste des motifs qui autorisent l’administration à rejeter une demande de consultation et règle la procédure d’accès. Les modalités d’implémentation du droit d’accès sont réglées dans une ordonnance d’exécution (OTrans(6)), qui prévoit aussi des mesures d’accompagnement (assistance au requérant, accès aux registres, gestion des documents, etc.).
Malgré les précisions apportées par cette ordonnance, le régime juridique de la publicité des documents administratifs reste incertain; nombre de questions clés sont en effet «régies» par des concepts juridiques indéterminés(7). Une technique législative qui laisse une (trop) vaste marge d’appréciation à l’administration, laquelle peut interpréter extensivement les exceptions pour bloquer ou retarder l’accès à des informations embarrassantes ou compromettantes.
3. Un coup d’envoi prometteur
Tout avait bien commencé. Dans son premier arrêt concernant la LTrans, le Tribunal fédéral avait d’emblée donné sa pleine bénédiction au nouvel ordre des choses en reconnaissant sans ambiguïté l’importance du principe de transparence dans une société démocratique: «Das Öffentlichkeitsprinzip (…) soll das Vertrauen des Bürgers in die staatlichen Institutionen und ihr Funktionieren fördern; es bildet zudem eine wesentliche Voraussetzung für eine sinnvolle demokratische Mitwirkung am politischen Entscheidfindungsprozess und für eine wirksame Kontrolle der staatlichen Behörden(8).» Une attitude résolue d’autant plus remarquable, que, en l’espèce, le débiteur de l’obligation de publicité n’était autre que le Tribunal fédéral lui-même, lequel avait à se prononcer sur la requête d’un journaliste qui souhaitait consulter les procès-verbaux de son assemblée plénière…
Il était important que le Tribunal fédéral donne d’emblée le ton juste. Une entame négative, voire simplement hésitante, aurait encouragé les fonctionnaires qui voyaient l’avènement de la transparence d’un mauvais œil à entrer en résistance. Malgré des séances internes de sensibilisation et d’éducation aux nouvelles exigences, ceux-là étaient encore nombreux. Une loi peut, sur le papier, renverser un paradigme du jour au lendemain; changer des mentalités, pétries de culture du secret, demande plus de temps. On comprendra dès lors que la grande majorité des recours interjetés par des requérants déboutés ont été admis, les juges concluant à un refus d’accès injustifié(9).
4. Clarifier la loi
Même si les demandes d’accès n’étaient pas légion au début(10), le PFPDT et le Tribunal administratif fédéral ont très vite dû faire face aux nombreuses ambiguïtés et imprécisions de la LTrans. Dans les sections suivantes, on passera en revue les principales clarifications qu’ils ont apportées à ce jour.
4.1. Consultation des documents du Conseil fédéral
En vertu de l’art. 8 al. 1 LTrans, «Le droit d’accès n’est pas reconnu pour les documents officiels afférents à la procédure de co-rapport». Interprétée littéralement, cette disposition aurait pu conduire à l’occultation de tous les documents transmis au Conseil fédéral, avec le risque de voir la transparence de l’administration se réduire bien vite à une peau de chagrin, vu la foultitude de documents portés à la connaissance de notre exécutif.
Soulignant que la volonté du législateur était de sauvegarder la collégialité gouvernementale – autrement dit l’unité et l’indivisibilité (même si c’est souvent de façade…) de la volonté de notre exécutif –, le Tribunal fédéral a heureusement restreint la portée de l’art. 8 al. 1 LTrans aux seuls documents susceptibles de dévoiler les avis individuels des sept membres du Collège, telles la proposition de décision au Conseil fédéral faite par un département et les éventuelles répliques ou dupliques qu’elle a suscitées. En somme, c’est la procédure de formation de la volonté du Conseil fédéral qui échappe à la transparence(11), et non les affaires qu’il traite. Partant, les conventions de départ de deux hauts fonctionnaires ont été rendues publiques, quand bien même elles étaient soumises à ratification du Conseil fédéral.
Dans le sillage de cette décision de principe, le Tribunal administratif fédéral a déclaré que les documents sous-jacents ou annexés à une proposition de décision du Conseil fédéral sont accessibles(12). Il en va de même d’un rapport élaboré à la demande d’un chef de département, même s’il est ensuite transmis au Conseil fédéral pour information et discussion(13); en l’espèce, il s’agissait d’une étude du Département fédéral des finances sur l’adaptation du droit fiscal suisse aux standards de l’OCDE.
4.2. Unités décentralisées de l’administration
Les (nombreuses) commissions fédérales extraparlementaires sont soumises à la LTrans au même titre qu’une unité administrative interne (en l’espèce il s’agissait respectivement de la Commission fédérale pour les vaccinations(14) et de la Commission fédérale de l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité(15)); leur soumission est d’autant plus évidente que, depuis une récente révision de la loi fédérale sur l’organisation de l’administration, ces commissions permanentes et indépendantes font formellement partie de l’administration au sens de l’art. 2 al. 2 LTrans (art. 57a de la loi fédérale sur l’organisation du gouvernement et de l’administration(16)et 7a al. 1 lit. a de l’ordonnance d’exécution(17))(18).
Dans la foulée, il a été jugé que les groupes de travail ad hoc sont aussi soumis à la transparence, même si nombre d’entre eux sont composés de personnes extérieures à l’administration (experts, représentants des divers parties prenantes, lobbyistes, etc.)(19). Ces extensions du champ d’application de la LTrans sont aussi motivées par le risque de contournement de la loi: si ces diverses instances décentralisées, qui ont pour mission de conseiller l’administration sur des questions pointues, voire de la décharger de certaines tâches (préparation d’avant-projets de lois, analyses prospectives, évaluation de politiques publiques, etc.), venaient à échapper à la publicité, le Conseil fédéral pourrait être tenté de leur confier l’exécution, en toute discrétion, de missions normalement dévolues à l’administration centrale.
En revanche, le PFPDT a été amené à préciser que, si la loi fédérale s’applique aux services du Parlement, elle n’a aucun effet sur les documents dans les mains des commissions parlementaires, car celles-ci délibèrent à huis clos (art. 47 de la loi sur le parlement(20)); en particulier les documents élaborés par les commissions parlementaires échappent à la LTrans(21).
4.3. Protection de la sphère privée
Dans un pays de longue tradition du secret comme la Suisse, la question des rapports conflictuels entretenus par le droit d’accès aux documents administratifs et la protection de la vie privée devenait cruciale. On sait que la solution consacrée par la LTrans (art. 7 al. 2) tient du compromis; en effet, la loi ne donne aucune priorité absolue à une institution sur l’autre, mais instaure une balance des intérêts en présence: «Le droit d’accès est limité, différé ou refusé si l’accès à un document officiel peut porter atteinte à la sphère privée de tiers, à moins qu’un intérêt public à la transparence ne soit exceptionnellement jugé prépondérant.» Même si l’art. 6 de l’OTrans apporte quelques précisions en citant trois exemples d’intérêt public prépondérant(22), il n’en demeure pas moins qu’une exception aussi abstraitement formulée peut servir de paravent pour cacher des abus et des dysfonctionnements de l’administration.
Les instances de contrôle veillent cependant au grain. En particulier, il a été relevé que, s’agissant de l’accès à des informations sur des fonctionnaires ou des magistrats, le positionnement de la personne concernée au sein de la hiérarchie de la fonction publique est décisif : plus il est élevé, plus la révélation de données personnelles à son sujet se justifie(23).
Plus concrètement, il a été jugé que l’intérêt du public à connaître le montant des indemnités de départ de hauts fonctionnaires (et l’octroi d’éventuels parachutes dorés) l’emporte sur l’intérêt privé de ces derniers à la protection de leur situation financière(24). De même, un travail sur mandat confié par son successeur à l’ex-procureur de la Confédération, après son départ forcé pour cause de non réélection par le Parlement, est accessible en raison de soupçons de favoritisme(25). Toujours dans cette perspective d’ouverture, les prises de position individuelles des membres externes à l’administration participant à un groupe de travail chargé de proposer des mesures législatives sont consultables(26). Enfin, l’identité des fonctionnaires impliqués dans le traitement d’un dossier ne saurait être occultée(27).
Cela dit, le Préposé a été d’avis que les officiers de l’armée de milice bénéficient d’une protection de la vie privée renforcée, semblable à celle des particuliers, au motif, peu convaincant selon nous, qu’ils ne sont pas des agents de la fonction publique. En conséquence, il a débouté un journaliste désireux de savoir si une quinzaine de personnes soupçonnées d’appartenance à des mouvements d’extrême droite, dont il disposait des noms, revêtaient le rang d’officier dans l’armée suisse(28).
4.4. Interprétation restrictive des normes de secret
L’exception de vie privée n’est pas la seule à avoir soulevé des problèmes d’interprétation. Formulés en des termes tout aussi larges et vagues, les autres motifs d’occultation, institués par l’art. 7 LTrans, ont généré leur lot de conflits.
On rappellera que l’applicabilité de ces exceptions relève non d’une pesée des intérêts en présence, mais de l’existence d’un risque d’atteinte à l’intérêt protégé en cas de révélation (harm test). Pour éviter les dérapages, la jurisprudence a toutefois précisé que l’atteinte envisagée doit satisfaire à deux conditions. Premièrement, elle doit être notable; autrement dit elle ne doit pas consister en de simples désagréments ou embarras pour l’administration publique ou un tiers(29). Deuxièmement, le risque d’atteinte doit être sérieux. Si l’atteinte n’est que du domaine du concevable ou de l’éventuel, l’accès aux informations doit être accordé. Il en va de même si elle est minime. Ainsi, dans une affaire mettant en jeu l’exception de secret d’affaires (soit dit en passant, l’exception de secret la plus fréquemment soulevée…), il a été jugé que cette clause dérogatoire «ne concerne que des données essentielles dont la prise de connaissance par la concurrence entraînerait des distorsions du marché et ferait perdre un avantage concurrentiel à l’entreprise concernée»(30).
Autre clause de secret invoquée à tort et à travers, l’entrave à «l’exécution de mesures concrètes prises par une autorité conformément à ses objectifs» (art. 7 al. 1 lit. b LTrans). Le PFPDT est récemment intervenu pour rappeler que cette clause n’est applicable que si le secret du document requis est décisif pour le bon succès des mesures prises(31). Ce qui implique que l’autorité requise doit prendre la peine d’évaluer attentivement l’impact occasionné par la publicité de chaque donnée contenue dans le document requis. Dans le cas présent, Fedpol avait refusé tout net à un journaliste l’accès à des documents relatifs à des fournitures accessoires aux activités de police, comme des vignettes automobiles, des gants ou des armoires. Refus injustifié, car ces informations ne permettaient pas de tirer des conclusions probantes sur les capacités d’intervention des forces de sécurité; encore moins étaient-elles susceptibles de mettre en danger le personnel de Fedpol ou de menacer le bon déroulement des opérations planifiées ou en cours.
On relèvera encore que le PFPDT a souligné, à juste titre, que la liste des clauses de secret posée par la LTrans est exhaustive; autrement dit, l’administration n’est pas en droit de se fonder sur d’autres motifs pour occulter une information. Ainsi, il n’est pas acceptable d’occulter un rapport controversé sur le rôle des imams en Suisse par crainte d’une publication tronquée, susceptible de déformer la réalité et de fausser le débat en engendrant des malentendus ou des interprétations erronées(32).
5. Des pratiques déviantes
Mécontents du renversement de paradigme et/ou irrités par de zélés journalistes d’investigation, certains services administratifs ont développé des pratiques cachottières pour faire obstacle à la transparence. Ces comportements récalcitrants méritent d’être dénoncés, car ils sapent la transparence.
5.1. Manœuvres dilatoires
La procédure d’accès aux documents administratifs est gouvernée par un principe cardinal: celui de célérité. Ce principe se concrétise par l’imposition de délais brefs aux traitements des requêtes d’accès (20 jours, renouvelables une fois; art. 12 LTrans). Pour la plupart des requérants (à commencer par les journalistes, qui sont tributaires de l’actualité), recevoir les documents souhaités des mois plus tard est sans intérêt.
Peu importe! Ici, on ignore les convocations du PFPDT, là on nie l’existence du document requis(33), ailleurs on refuse de lui remettre pour examen le document litigieux au mépris de l’art. 20 LTrans, qui dispose pourtant que: «Le préposé a accès aux documents officiels dans le cadre de la procédure de médiation, même si ceux-ci sont secrets.» Pendant longtemps, le PFPDT a fait preuve de patience, réitérant les rappels à l’ordre. Récemment, il a décidé de sanctionner immédiatement le refus de l’Administration fédérale des contributions de lui faire parvenir le relevé fiscal en cause: faute de pouvoir apprécier concrètement l’accessibilité du document requis, il a conclu tout de go à son caractère public(34). C’est logique: il appartient à l’autorité requise de prouver le caractère secret d’un document qu’elle entend occulter; or il est impossible d’apporter cette preuve décisive sans communiquer à l’autorité de surveillance les informations litigieuses.
5.2. Classifications abusives
Autre pratique déviante, le refus automatique d’accès à tout document «classifié». Tant le Tribunal administratif fédéral(35) que le PFPDT(36) ont rappelé que les mentions «secret» ou «confidentiel» apposées sur des documents officiels, conformément à l’Ordonnance fédérale concernant la protection des informations (OPrl)(37) sont des mesures d’organisation, internes à l’administration, qui n’ont aucune valeur préjudicielle. Autrement dit leur seule présence ne saurait dispenser l’autorité requise d’examiner, au regard des conditions posées par la LTrans, le statut secret ou public du document requis(38). C’est d’autant plus important que les exceptions à la transparence sont d’application relative: un document peut être secret aujourd’hui, mais public demain. La classification, quant à elle, fait fi de l’évolution des circonstances. Une fois apposé, le sceau «secret» acquiert à tout jamais un caractère impératif; l’OPrl ne prévoit, en effet, aucune réévaluation périodique de la classification; tout au plus son art. 9 dispose-t-il que «la classification doit être limitée dans le temps s’il est probable que l’intérêt à maintenir la protection vienne à disparaître».
5.3. Promesses de confidentialité
Depuis l’entrée en vigueur de la LTrans, le secret ou la publicité d’un document officiel relève de la loi, et non plus de la volonté de l’administration ou des tiers avec qui elle interagit. En conséquence, un fonctionnaire ne peut plus promettre à un administré que son cas sera traité confidentiellement(39); inversement, un administré ne peut pas exiger que les informations qu’il fournit à l’administration soit tenues secrètes.
Dans le même ordre d’idées, l’administration et l’administré ne peuvent plus convenir du secret. Confronté à un refus d’accès fondé sur une clause de confidentialité contenue dans un contrat de financement d’une chaire conclu par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne avec une entreprise privée, le PFPDT a affirmé sans détour que: «Es gilt zu beachten, dass es bei Vertragsverhältnissen zwischen Behörden und Privaten weder alleine im Machtbereich der einen noch der anderen Vertragspartei liegen darf und auch nicht in gegenseitigen Einvernehmen möglich sein soll, den Inhalt des jeweiligen Vertrages vollständig dem Öffentlichkeitsgesetz zu entziehen. Damit stünde es den Vertragsparteien nämlich völlig frei, den Geltungsbereich des Gesetzes weitgehend zu beschneiden, was nach Ansicht des Beauftragten nicht dem Willen des Gesetzgebers entsprechen kann (40).»
On saluera un langage aussi ferme. Le laxisme aurait laissé la voie ouverte aux velléités de contourner la transparence par le biais de conventions de confidentialité. Cela dit, pareilles conventions ne sont pas nulles pour autant. Si elles ne déploient aucun effet juridique sur l’information passive (communication sur demande), elles conservent leur pleine valeur en matière d’information active (communication à l’initiative des autorités publiques). Autrement dit, l’administration (et son cocontractant) s’engage à ne pas faire spontanément état des informations protégées, par exemple lors d’une conférence de presse ou d’une interview.
5.4. Emoluments dissuasifs
Au contraire de nombre de législations sur la transparence cantonales ou étrangères, la LTrans dispose que l’accès est payant (art. 17 al. 1); et ce, quelles que soient les intentions du requérant: journaliste, représentant d’ONG, avocat ou simple curieux, tous doivent passer à la caisse(41). Cette (regrettable) possibilité de facturer l’accès aux documents officiels a été détournée par certains services dans le but de décourager les enquêtes de la presse. Un exemple parmi d’autres: le Contrôle fédéral des finances a facturé à la Sonntagszeitung la consultation d’un rapport de 42 pages à plus de huit mille francs (42).
En 2013, le Tribunal fédéral a mis son veto à ces pratiques dissuasives au nom de la mission d’information des médias. Chiens de garde de la société, les journalistes doivent bénéficier d’une exonération (pleine ou à tout le moins partielle). Ainsi a-t-il souligné que «Bei der dort vorgesehenen Interessenabwägung ist zu berücksichtigen, dass die Medien zur seriösen Wahrnehmung ihrer Funktionen – namentlich ihrem Beitrag zur öffentlichen Meinungsbildung und zur Kontrolle behördlicher Tätigkeiten – regelmässig auf den Zugang zu amtlichen Dokumenten angewiesen sind und die Kumulation von (für sich allein bescheidenen) Gebühren sich als tatsächliche Zugangsbeschränkung auswirken könnte(43)».
Le signal lancé par le Tribunal fédéral a été entendu par le Conseil fédéral. Le 1er septembre 2014 entrera en vigueur une modification de l’OTrans qui prévoit que «lorsqu’un émolument est perçu dans le cas d’une demande d’accès présentée par un média, l’autorité le réduit d’au moins 50%» – (art. 15 al. 4 nouveau)(44).
6. Vers un affaiblissement de la transparence?
Ces tentatives de certains services administratifs d’entraver la transparence ne menaçaient finalement que la mise en œuvre de la LTrans. Or, depuis peu, un nouveau seuil a été franchi: désormais, la substance même de la loi est en danger.
En février de cette année, le Conseil fédéral soumettait au Parlement un projet de loi sur le renseignement(45). Une heureuse initiative, car, bonne gouvernance oblige, il importe de recadrer les activités, souvent controversées, du Service de renseignement (SR). Cela dit, ce projet renferme une disposition troublante: intitulé exception au principe de la transparence, l’article 66 fait automatiquement échapper à la publicité l’ensemble des activités de recherche d’informations du SR.
Espérons que les députés ne suivront pas cette proposition, qui est aussi inutile que dangereuse. Inutile, parce ce que les requêtes d’accès aux nombreux documents du SR dont le secret est parfaitement justifié peuvent sans autre être rejetées sur la base des exceptions prévues par la LTrans elle-même; on songe, en particulier, à la clause qui protège la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (art. 7 al. 1 LTrans). Dangereuse, car ce régime spécial est une regrettable première qui ouvre la voie à un mitage de la LTrans; à la suite du SR, d’autres services n’hésiteront pas à réclamer, à leur tour, pareil traitement de faveur(46).
Le risque d’effritement de la transparence est donc sérieux. Ce d’autant que ce principe n’est pas garanti par la Constitution fédérale; son article 16 qui institue la liberté d’expression ne consacre que le droit de diffuser des informations et d’en recevoir. La recherche d’informations, quant à elle, n’est pas mentionnée. Il est vrai, au demeurant, qu’un texte du Conseil de l’Europe pose des standards minimaux en matière de publicité administrative: la récente Convention de Tromsø sur l’accès aux documents publics(47). Le hic, c’est que la Suisse ignore superbement cet accord. A ce jour, elle ne l’a ni ratifié ni même signé.
Nouveau péril: en avril 2014, l’Office fédéral de la justice a décidé de faire évaluer la LTrans. En soi, il est salutaire de réexaminer une législation en vigueur pour éliminer ses défauts de jeunesse. Cela dit, à la lecture du communiqué de presse qui a annoncé le lancement du processus d’évaluation, on ne peut s’empêcher de nourrir quelques craintes: il y est moins question d’obstacles inacceptables à la transparence que des difficultés rencontrées par quelques services administratifs gênés par «la multiplication des demandes»(48).
Quoi qu’il en soit, souhaitons que la LTrans ne sorte pas affaiblie de cet exercice. Déjà que ce texte est loin d’être le plus généreux en comparaison internationale; au palmarès mondial des législations sur l’accès aux documents administratifs, proclamé par le Canadian Centre for Law and Democracy, notre loi fédérale n’occupe qu’un très modeste 62e rang (sur 95 Etats qui connaissent la transparence)(49). Juste devant un pays qui ne brille guère en matière de droits de l’homme, l’Angola…
1 RS 152.3.
2 Le «leading case» en la matière est l’arrêt Bürgin du 8 mars 1978 (ATF 104 Ia 94 ss): «La liberté d’information, comprise dans la liberté d’expression et la liberté de la presse, n’oblige cependant pas les autorités à donner des informations.»
3 Il est vrai que quelques cantons avaient déjà institué la transparence administrative. Berne avait fait œuvre de pionnier en 1996; son exemple fut suivi par Soleure, Genève, Vaud, Jura. Dans le sillage de la LTrans, Schaffhouse, Uri, Neuchâtel, Zurich, Argovie, Schwyz, Valais, Fribourg, Bâle-Ville, Bâle-Campagne et le Tessin ont à leur tour renversé le paradigme du secret. Bien qu’ils partent tous d’un principe fondateur commun – le droit de toute personne de consulter les documents dans les mains de l’administration - , ces textes déclinent ce principe suivant des modalités souvent différentes. Pour plus de détails, voir MEILLAND, Philomène, Caractéristiques des lois sur l’information en Suisse, in PASQUIER, Martial (éd.), Le principe de transparence en Suisse et dans le monde, Lausanne 2013, p. 19 ss.
4 A ce jour on recense quatre arrêts du Tribunal fédéral et dix-huit du Tribunal administratif fédéral. Les recommandations du PFPDT dépassent la centaine.
5 Pour un exposé détaillé de ce texte, voir le commentaire édité par MADER, Luzius et BRUNNER, Stefan, Oeffentlichkeitsgesetz, Handkommentar des Bundesgesetz über das Oefentlichkeitsprinzip der Verwaltung vom 17. Dezember 2004, Berne 2008.
6 RS 152.31.
7 A titre d’exemple, ces motifs de rejet d’une requête que sont l’atteinte à la sécurité intérieure ou à la vie privée ou encore l’obligation faite à l’autorité requise de fournir les documents dans les meilleurs délais.
8 ATF 133 II 209, c. 2.3.1.
9 Pour être plus précis, sur les quatre recours examinés par le Tribunal fédéral, trois ont été jugés entièrement fondés, un partiellement fondé. Sur les dix-huit recours jugés par le Tribunal administratif fédéral, seuls six ont été rejetés (et encore faut-il préciser que, sur ces six, trois ont été ensuite admis par le Tribunal fédéral).
10 Voir les conclusions de l’évaluation de la LTrans menée en 2009 par l’Institut des hautes études en administration publique (en particulier les pages 45 ss); cette étude est disponible sur le site: http://www.edoeb.ad min.ch/dokumentation/00652/01405/in dex.html?lang=fr
11 ATF 136 II 399, c. 2.3.
12 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 3 mai 2010, A-4049/2009.
13 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 27 février 2014, A-4500/2013.
14 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2011, A-3192/2010.
15 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 22 avril 2013, A-4962/2012.
16 RS 172.010.
17 Ordonnance sur l’organisation de l’administration (OLOGA, RS 172.010.1).
18 De même, les commissions qui font partie des unités dites «décentralisées de l’administration» listées à l’annexe 1 de l’OLOGA sont également soumises à la LTrans (voir la Recommandation du PFPDT du 11 avril 2013 qui concernait la Commission nationale de prévention de la torture).
19 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 7 décembre 2011, A–1135/2011. 20RS 171.10.
21 Recommandation du PFPDT du 25 mars 2013 (Délégation parlementaire suisse au Conseil de l’Europe); échappent aussi à la transparence les documents établis par l’administration fédérale pour le compte d’une commission parlementaire (Recommandation du PFPDT du 6 décembre 2012).
22 «Un besoin particulier d’information de la part du public suite notamment à des événements importants; la protection de l’ordre, de la sécurité ou de la santé publics exige la publication; la personne concernée bénéficie d’avantages importants de la part de l’Etat (emploi, subventions notamment)».
23 Recommandation du PFPDT du 22 février 2012. A la réserve toutefois des données sensibles au sens de l’art. 3 de la loi fédérale sur la protection des données (RS 235.1), à savoir «1. les opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques ou syndicales; 2. la santé, la sphère intime ou l’appartenance à une race, 3. des mesures d’aide sociale; 4. des poursuites ou sanctions pénales et administratives».
24 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 11 février 2011, A-3609/2010.
25 Recommandation du PFPDT du 22 février 2012.
26 Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2011, A-3192/2010.
27 Recommandation du PFPDT du 3 septembre 2013 (et les autres recommandations citées à la note 18). En revanche l’identité des collaborateurs d’entreprises privées tierces sera caviardée (Recommandation du PFPDT du 7 août 2014; en l’espèce il s’agissait des employés d’un fournisseur de services de télécommunications soumis à l’obligation de s’annoncer auprès de l’Office fédéral de la communication).
28 Recommandation du PFPDT du 26 mars 2010.
29 Recommandation du PFPDT du 23 décembre 2010.
30 Recommandation du PFPDT du 22 avril 2009.
31 Recommandation du PFPDT du 10 octobre 2012.32Recommandation du PFPDT du 21 octobre 2010.
33 Pour un cas emblématique, voir la recommandation du PFPDT du 4 février 2014.
34 Recommandation du PFPDT du 20 mai 2014. Dans le même sens, la recommandation du 5 février 2014 qui concernait des réticences du Service de renseignement de la Confédération.
35 Arrêt du 27 février 2014, A-4500/2013, c. 3.6.4.
36 Voir notamment les recommandations du 21 octobre 2010 et du 19 octobre 2012.
37 RS 510.411.
38 L’art. 13 al. 3 OPrl prescrit d’ailleurs clairement que, «en cas de demande d’accès à des documents officiels, l’instance compétente examine, indépendamment de l’éventuelle mention de classification, s’il y a lieu d’autoriser, de limiter, de différer ou de refuser l’accès».
39 Arrêt du Tribunal fédéral du 28 octobre 2010, 1C-284/2010.
40 Recommandation du 27 février 2014 N 24.
41 Maigre consolation: l’accès est gratuit si la demande occasionne des coûts inférieurs à 100 francs (art. 15 OTrans).
42 STOLL, Martin, Exzessive Gebühren mit abschreckender Wirkung, Oeffentlichkeitsgesetz.ch, 10 décembre 2012.
43 ATF 139 I 114, c. 4.3.; voir aussi arrêt du Tribunal fédéral du 19 novembre 2013, 1C_550/2013.
44 Cela dit, l’autorité peut renoncer à la réduction si la demande d’accès nécessite un surcroît important de travail.
45 FF 2014 2029.
46 Voir les craintes exprimées par le PFPDT dans son 21e rapport d’activités (2013/2014), p.10.
47 Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics, du 18 juin 2008 (STCE 205).
48 Communiqué de presse de l’Office fédéral de la justice du 14 avril 2014. Les résultats de l’évaluation sont attendus pour la fin de 2014.
49 Classement disponible sur le site www.rti-rating.org/country_rating.php