1. Stage d’avocat: accès et contenu
Deux arrêts illustrent la très grande marge de manœuvre des cantons pour définir les conditions d’accès au stage d’avocat et aux examens du barreau.
Dans l’arrêt 2C_887/20202, le Tribunal fédéral examine le droit de s’inscrire au registre vaudois des avocats stagiaires d’une candidate dont le bachelor de droit avait été délivré par une haute école spécialisée cantonale et non une université suisse3. Selon la recourante, l’art. 21 al. 1 LPAv/VD, qui exige pour l’inscription au registre des stagiaires d’être titulaire d’un bachelor en droit suisse d’une université suisse4, est contraire à l’art. 7 al. 35 LLCA. Le Tribunal fédéral relève que l’art. 3 al. 1 LLCA réserve le droit des cantons de fixer les exigences pour l’obtention du brevet d’avocat et que c’est une réserve improprement dite, les cantons étant de toute façon compétents vu l’absence de compétence fédérale en la matière. L’art. 7 LLCA précise seulement les conditions minimales pour obtenir le brevet d’avocat autorisant la libre circulation de son titulaire en Suisse. En jugeant qu’un bachelor en droit suisse est nécessaire pour l’inscription au stage d’avocat, alors même que la recourante possède un master en droit suisse, l’instance précédente a correctement appliqué la jurisprudence6 et l’art. 7 al. 3 LLCA, qui ne précise pas si le bachelor doit être délivré par une université ou une autre haute école. Les cantons, qui définissent les conditions de formation pour l’obtention du brevet, peuvent exiger que le bachelor en droit suisse soit délivré par une université suisse, dès lors que le seuil de suffisance peut être fixé de diverses manières7. L’art. 21 LPAv/VD impose cette exigence, qui «ne contredit pas ce que souhaitait le législateur fédéral»8.
Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral (2C_538/20209) s’est prononcé sur la prise en compte de l’activité de greffier 12 mois à plein temps au TAF dans le cadre du stage d’avocat à Genève, où la loi (art. 31 LPAv/GE) prévoit que, pour se présenter à l’examen final, le stagiaire doit avoir accompli un stage de 18 mois dans une étude d’avocat dont 12 au moins à Genève dans le cas où il a réussi l’examen approfondi avant le début du stage et, sinon, de 24 mois, dont 12 au moins à Genève. Le stage peut consister partiellement dans une activité juridique dans un tribunal ou une administration publique, activité ne pouvant dépasser la moitié du stage et le candidat devant requérir préalablement une autorisation de la Commission du barreau (al. 5). Constatant que le législateur genevois a voulu que la durée du stage soit la même pour tous indépendamment des expériences antérieures, le Tribunal fédéral reconnaît que la condition d’une autorisation préalable est critiquable vu le but du stage qui est de s’assurer que les candidats ont assez de compétences pratiques, ce qui peut aussi être atteint par un examen a posteriori de l’activité. Mais la règle n’est pas arbitraire10. La Commission du barreau n’a fait qu’appliquer la loi, dont le texte est clair. La recourante aurait dû requérir une autorisation préalable, ce qu’elle n’a pas fait. Le refus d’imputer partiellement l’activité exercée au TAF n’est pas une restriction grave à sa liberté économique (art. 27 Cst.), car cela ne l’empêche pas de poursuivre son stage, ni de se présenter aux examens du brevet, et n’entrave pas son accès à la profession d’avocat. Cette exigence sert l’intérêt public à disposer d’une représentation de qualité devant les autorités suisses11.
2. Portée d’une inscription au casier judiciaire
L’arrêt TF 2C_402/202012 montre les conséquences particulièrement incisives de l’art. 8 al. 1 let. b LLCA qui exige que, pour être inscrit au registre des avocats, «l’avocat ne doit pas faire l’objet d’une condamnation pénale pour des faits incompatibles avec la profession d’avocat, à moins que cette condamnation ne figure plus sur l’extrait privé du casier judiciaire». Cette disposition, en lien avec l’art. 9 LLCA, ne laisse pas de marge de manœuvre et doit conduire à la radiation de l’avocat ne remplissant plus cette condition personnelle. Un avocat genevois avait été, en 2014, condamné pour tentative de contrainte. En 2017, durant le délai d’épreuve, il a été condamné pour infraction aux art. 117 LEI13 et 323 CP14. Son interdiction de pratiquer de quatre mois a été confirmée par le Tribunal fédéral15. Sa demande de réinscription au registre a été rejetée, car sa condamnation pour tentative de contrainte de 2014 – incompatible avec l’exercice de la profession d’avocat – figurait toujours à son casier judiciaire, la durée de l’inscription ayant été prolongée du fait de la condamnation de 2017 (alors que l’infraction à la LEI n’avait pas été jugée incompatible avec l’exercice de la profession). Après une interprétation détaillée, le Tribunal fédéral a retenu16 que rien ne permet de penser que le texte de l’art. 8 al. 1 let. b LLCA ne restitue pas le sens véritable de la disposition, concluant que cette disposition ne comporte pas de lacune proprement dite. Il a aussi écarté la violation du principe de proportionnalité, la décision reposant sur une base légale suffisante que le Tribunal fédéral doit appliquer (art. 190 Cst.). La LLCA ne laissant aucune marge de manœuvre, on ne peut faire abstraction de la prolongation de l’inscription au casier.
3. Indépendance structurelle et société d’avocats
L’indépendance structurelle de l’avocat (art. 8 al. 1 let. d LLCA) en lien avec l’organisation d’une SA d’avocats a fait l’objet d’un arrêt publié récent. Dans l’ATF 147 II 6117, après avoir résumé les exigences en la matière18 et reconnu le risque, en cas de décès ou de divorce de l’actionnaire unique d’une telle SA, qu’une personne qui n’est pas avocate détienne des actions, le Tribunal fédéral rappelle que si la SA d’avocats ne répond plus aux exigences, l’autorité de surveillance devra radier (art. 9 LLCA) les avocats employés par cette société s’ils ne changent pas de structure. Cela étant, l’autorité ne peut pas contraindre directement la SA à faire d’avance des actes pour éviter la radiation. En l’espèce, la SA était détenue par un avocat qui en était unique actionnaire et administrateur. La Commission du barreau avait requis qu’il ajoute une clause dans les statuts de sa société contraignant par avance le futur acquéreur d’actions non avocat de céder ses titres à une personne inscrite au barreau. Une telle mesure – s’adressant directement à l’actionnaire qui n’est pas avocat – ne relève pas de la compétence de l’autorité de surveillance, car la LLCA n’instaure qu’une surveillance des personnes physiques avocates inscrites au registre.
4. Devoir de diligence et liberté d’expression
Signalons l’arrêt 2C_354/202119, qui offre une nouvelle illustration des limites de la liberté d’expression de l’avocat20 en lien avec l’exercice avec soin et diligence (art. 12 let. a LLCA). Lors d’une audition de sa cliente, un avocat avait perdu son sang-froid, s’emportant avec véhémence contre les inspecteurs, les traitant de «cow-boys», ne «touchant pas le puck» en matière judiciaire, et qualifiant l’avocat adverse de «pantin, guignol, fils à papa». Cela n’est d’aucune utilité dans la bonne défense du client. Quant aux qualitatifs blessants envers le confrère, ils sont «tout simplement inacceptables». Le fait que l’avocat adverse lui avait écrit des insinuations désagréables ne justifiait pas cette réaction. Le recourant aurait dû utiliser les voies juridiques existantes. Ces attaques personnelles étaient sans intérêt pour la cause et «propres à entraîner un durcissement des fronts et une escalade dans le conflit» opposant les parties. «En adoptant un comportement de nature à entraver le bon fonctionnement de la justice et, surtout, à mettre en péril la protection efficace des intérêts de sa cliente, le recourant a fait montre d’un manque de diligence professionnelle évident.»21
5. Interdiction des conflits d’intérêts
Parmi de nombreuses décisions, signalons l’arrêt TF4A_113/202022, qui souligne que, si elle est contraire à l’art. 12 let. c LLCA, la nullité d’une convention entre l’avocat et son mandant peut être prononcée d’office. L’avocat peut «obtenir une garantie pour le paiement de ses propres honoraires sans, pour autant, s’exposer à un conflit d’intérêts», mais il doit agir de manière appropriée», ce qui n’est pas le cas ici. «La confiance que le public est en droit de placer dans un avocat exige que ce dernier, alors qu’il entend s’assurer le paiement de ses propres créances, le fasse de manière transparente et facilement reconnaissable de la part du client»23. Un autre arrêt (TF 2C_293/2021)24 concerne un avocat voulant agir contre des proches de son client. Il existe un risque concret de conflit d’intérêts «lorsqu’un avocat représente un client et, dans un contexte différent, agit contre une personne étroitement liée à ce dernier», p. ex. un parent, sauf si c’est le client lui-même qui l’a mandaté pour agir contre cette personne.25 L’avocat avait agi en 2016 pour B SA, administrée par C et D. En 2019, agissant au nom de C., il a engagé des poursuites contre les fils de D., alors qu’il était encore mandaté par B SA. Pour le Tribunal fédéral, la position privilégiée de D dans la société créait un lien de nature à influencer le recourant dans la conduite d’autres mandats.26 Faute de place, nous ne nous arrêterons pas ici sur les autres arrêts rendus en la matière (p. ex. TF 6B 113/202127; 2C_87/202128).
6. Capacité de postuler
6.1 Autorité compétente dans une procédure civile
Dans l’ATF 147 III 35129, le Tribunal fédéral examine si le fait de fonder sur l’art. 43 al. 3 LPAv/GE la compétence de la Commission du barreau pour statuer sur la capacité de postuler de l’avocat dans une procédure civile30 pendante viole l’art. 49 al. 1 Cst. La LLCA ne désigne pas l’autorité compétente et l’art. 34 al. 1 LLCA renvoie au droit cantonal pour la procédure. Le CPC impose-t-il des règles en la matière? La décision sur la capacité de postuler visant à garantir la bonne marche du procès, elle constitue une décision relative à la conduite du procès au sens de l’art. 124 al. 1 CPC. C’est donc le tribunal compétent sur le fond de la cause ou un membre de ce même tribunal (art. 124 al. 2 CPC) qui est compétent, et non l’autorité de surveillance. La primauté du droit fédéral interdit aux cantons de prévoir la compétence d’une autre autorité. La capacité de postuler étant une condition de la recevabilité (art. 59 CPC), un délai doit être fixé à la partie si cette capacité est déniée à l’avocat pour qu’elle remédie à l’irrégularité (art. 132 CPC par analogie)31. Comme le montre Chappuis32, derrière son apparente simplicité, cette solution présente d’indéniables inconvénients.
6.2. En droit des poursuites
L’arrêt TF 5A_536/202133 précise que l’interdiction de postuler doit être ordonnée par l’autorité de surveillance saisie d’une plainte pour la procédure en cause. Quid des actes déjà accomplis devant l’office? La solution est la même que celle où le pouvoir de représentation fait défaut pour un autre motif. C’est une cause d’annulation de la poursuite et non de nullité. La poursuite par un représentant sans pouvoirs est valable quand le représenté le ratifie dans la procédure de plainte contre cet acte. Le juge du séquestre est compétent pour statuer sur la capacité de postuler et les actes de poursuite faits par un avocat incapable de postuler ne sont pas nuls. En l’espèce, la poursuivante, représentée par un nouveau mandataire, ayant ratifié la réquisition dans la procédure de plainte, il n’y a pas lieu de l’annuler34.
6.3. Droit d’être entendu
Dans l’arrêt 1B_632/202035, le Tribunal fédéral a retenu que l’interdiction de postuler faite à l’avocat par la Chambre des recours pénale – notamment saisie d’une demande de récusation contre le procureur intimé – ne pouvait pas être raisonnablement prévue par l’avocat. Le magistrat visé par la récusation n’avait pas pris de conclusion en ce sens et avait même affirmé que la cause serait confiée à un autre magistrat de sorte que la récusation paraissait sans objet. L’autorité devait donc offrir à l’avocat l’occasion de s’exprimer sur l’éventuelle interdiction de postuler. Elle a violé son droit d’être entendu, violation ne pouvant être réparée devant le Tribunal fédéral.
6.4. Double représentation
Dans l’arrêt TF 6B_1210/2020, 6B_1211/202036, les recourants invoquaient une violation de l’art. 127 al. 3 CPP, se plaignant de ne pas avoir eu une défense efficace car ils étaient défendus par le même avocat durant l’instruction. Le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence en la matière: l’autorité en charge de la procédure statue d’office sur la capacité de postuler de l’avocat, l’hypothèse d’un conflit d’intérêts pouvant survenir en cours de procédure. L’avocat doit éviter le cas où il serait amené à défendre les intérêts opposés de deux parties à la fois, ne pouvant alors plus respecter pleinement son obligation de fidélité et de diligence envers chacun d’eux37; dès que le conflit d’intérêts survient, il doit mettre fin à la représentation; cela est d’autant plus important s’agissant de la défense des prévenus; en cas de représentation multiple – même si l’avocat veut adopter une stratégie commune et plaider pour tous ses mandants l’acquittement –, il ne peut être exclu qu’à un moment l’un des prévenus tente de reporter sa propre culpabilité sur les autres; exceptionnellement, une défense commune est admise dans l’intérêt de l’efficacité de la procédure, à condition que les coprévenus donnent une version identique des faits et que leurs intérêts ne divergent pas au vu des circonstances. En l’espèce, les recourants ont eu une défense commune jusqu’après l’acte d’accusation. Au début de la procédure, ils ont eux-mêmes sollicité une défense commune, mandaté un avocat et exclu l’existence d’un conflit d’intérêts. C’est le Tribunal de première instance qui a soulevé cette question, relevé le défenseur commun et désigné un défenseur d’office à chacun, mettant fin à la double représentation avant l’audience de première instance. Il n’y avait aucun risque de conflit d’intérêts concret.
Un tel risque a revanche été retenu dans l’affaire traitée dans l’arrêt TF 1B_339/202038, où notre Haute Cour a répété qu’il n’y a pas à attendre la réalisation du conflit d’intérêts pour interdire à un avocat de postuler. En l’espèce, le seul fait que les déclarations de la recourante paraissent correspondre à ce stade à celles des deux prévenus ne suffit pas pour écarter un risque concret ultérieur. En effet, «la recourante semble avant tout avoir affirmé son ignorance des conditions de travail des parties plaignantes, dont l’activité se déroulait pourtant principalement dans sa propriété». On ne peut exclure que ses déclarations évoluent durant l’instruction. Son avocat doit alors pouvoir présenter des arguments à sa décharge de manière pleinement indépendante, y compris si cela peut aggraver la position des autres prévenus. Un avocat violerait ses obligations de fidélité vis-à-vis de l’un de ses mandants s’il renonçait à procéder en sa faveur pour protéger ses autres clients. Il faut éviter d’emblée de telles situations de conflit d’intérêts.
7. Success fee et LLCA; devoir d’information
Dans un arrêt 4A_512/201939, le Tribunal fédéral revient (c. 5) sur les principes gouvernant la rémunération de l’avocat et l’admissibilité du pactum de palmario40. Les honoraires de l’avocat sont fixés d’abord par la convention entre parties et, à défaut, par l’usage, puis par le juge41, qui tiendra compte de «toutes les circonstances pertinentes en veillant à ce que la rémunération soit objectivement proportionnée aux services rendus» (cf. art. 394 al. 3 CO). Les cantons peuvent adopter des règles générales sur le calcul des honoraires pour les activités devant leurs autorités judiciaires, tel que le prévoit l’art. 34 LPAv/GE à Genève. Si cette disposition habilite l’avocat à fixer lui-même les honoraires en mentionnant le résultat obtenu, elle ne légalise pas la facturation d’une prime de succès imposée unilatéralement. Elle précise que l’avocat établit sa note d’honoraires sans être lié à un tarif, mais en devant respecter les principes généraux gouvernant la fixation des honoraires, le résultat obtenu étant un critère parmi d’autres. «Des honoraires ne sauraient être établis sur la base d’un usage qui contreviendrait au droit fédéral», lequel impose à l’avocat, s’il entend encaisser une prime de succès, d’en informer le client (art. 12 let. i LLCA) lorsqu’il accepte le mandat, en précisant quel élément justifiera la perception de cette prime. «A compter du moment où l’avocat s’est conformé à son devoir d’informer le client et que celui-ci n’a pas réagi, il y a accord tacite.» En l’espèce, les parties n’avaient pas conclu de convention et l’avocat avait facturé une prime de succès de 520 000 francs sans respecter son devoir d’information envers la cliente42. Même si le montant à recouvrer par l’avocat était élevé (15,5 millions de francs), l’enjeu et le résultat devaient être relativisés vu les circonstances, l’avocat pouvant s’appuyer sur des décisions judiciaires étrangères et intervenant seulement dans une phase d’exécution. La rémunération déjà perçue par l’avocat (env. 1,4% de la somme obtenue) était objectivement proportionnée à l’activité déployée.
Sur l’importance du devoir d’information de l’avocat en matière d’honoraires, il sied de signaler l’arrêt 2C_1000/202043, où le Tribunal fédéral procède à une interprétation détaillée de l’art. 12 let. i LLCA44 et retient que l’avocat doit en principe spontanément et périodiquement informer le client.
8. Secret professionnel et avocats extracommunautaires
Un arrêt destiné à la publication (TF 1B_333/202045) tranche par la négative la question de savoir si les avocats extracommunautaires peuvent bénéficier de la protection de la correspondance entre une personne non prévenue et son avocat. Il s’agissait d’une affaire où le MPC avait ordonné dans une procédure pénale ouverte trois ans plus tôt pour blanchiment aggravé et corruption de fonctionnaires étrangers, la perquisition à Genève des locaux d’une société tierce à la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP), et séquestré des documents et des données. Certaines données avaient été mises sous scellés sur demande de cette société genevoise. Le MPC a requis du Tribunal des mesures de contrainte vaudois la levée des scellés46, à laquelle la société s’est opposée, invoquant que ces données étaient protégées par le secret professionnel selon l’art. 264 al. 1 let. d CPP. L’autorité vaudoise a maintenu les scellés sur les courriers électroniques échangés avec un «avocat CH/UE/AELE» et les a levés sur ceux adressés à des avocats extracommunautaires. Le Tribunal fédéral a procédé à une interprétation détaillée47 des dispositions sur le secret professionnel, y compris de l’art. 264 al. 1 let. d CPP introduit en 201248. Après avoir rappelé que l’art. 264 al. 1 let. a CPP protège de manière absolue la correspondance entre un prévenu et son défenseur, le Tribunal fédéral a retenu qu’il résulte de la lettre de l’art. 264 al. 1 let. d CPP, que la protection présuppose que l’avocat soit autorisé à pratiquer en justice selon la LLCA. Or, cette loi ne contient pas de disposition permettant à des avocats ressortissants d’États extracommunautaires d’exercer des prérogatives en matière de représentation en justice, qu’ils soient titulaires d’un brevet obtenu dans un pays de l’UE/AELE ou qu’ils y exercent. La lettre de l’art. 264 al. 1 let. d CPP ne permet pas de considérer que les échanges d’un avocat extracommunautaire avec des tiers seraient protégés. Le Tribunal fédéral admet49 des critiques de la doctrine: le statut procédural en matière pénale peut évoluer au cours de l’instruction et une différence de traitement pour ce motif ne paraît pas justifier un traitement différencié50; les affaires ne se limitant pas au territoire suisse ou de l’UE/AELE; un avocat extracommunautaire peut avoir eu légitimement une activité typique, protégée par le secret professionnel dans un autre pays, en faveur d’un mandant en Suisse (p. ex. une multinationale). De plus, toute activité d’un tel avocat en Suisse (p. ex. de conseil) n’est pas d’emblée exclue51. Si cet avocat est soumis au secret professionnel de l’art. 321 CP, comment pourrait-il respecter ses obligations si leurs échanges peuvent être saisis? Quoi qu’il en soit, c’est à dessein que le législateur a limité la protection de l’art. 264 al. 1 let. d CPP aux avocats autorisés à pratiquer selon la LLCA. La notion d’avocat et le type des activités peuvent varier selon les pays, tout comme la notion d’indépendance pouvant s’écarter de celle prévalant en Suisse. En l’état, le renvoi à la LLCA voulu par le législateur est un critère objectif liant le Tribunal fédéral. Il permet de délimiter clairement le cercle des avocats pouvant se prévaloir dans une procédure pénale en Suisse du secret professionnel pour protéger leurs échanges avec leur mandant n’ayant pas le statut de prévenu/personne appelée à donner des renseignements selon l’art. 178 let. d à g CPP. Selon les pays, il peut être difficile d’apprécier si un mandataire étranger présente des caractéristiques comparables à celles des avocats pratiquant en Suisse selon la LLCA. Quant aux avocats de l’UE, l’ALCP renvoie à des directives applicables en Suisse. Seuls les échanges avec des avocats autorisés selon la LLCA soit les avocats «CH/UE/AELE», bénéficient de l’art. 264 al. 1 let. d CPP.
9. Interdiction temporaire de pratiquer
Dans l’arrêt 2C_640/202052, une avocate inscrite au registre vaudois depuis 2010 avait déjà fait l’objet de trois mesures disciplinaires (la 1re pour surfacturation, la 2e pour surévaluation des opérations et facturation à un client à l’assistance judiciaire des opérations au tarif d’avocat de choix, et la 3e pour avoir pris contact avec un témoin dans une procédure pénale). En l’espèce, alors qu’elle avait été nommée mandataire d’office d’un client à l’assistance judiciaire, elle lui avait adressé, en 2018 et 2019, quatre notes d’honoraires au tarif de 350 francs de l’heure. La Chambre des avocats a prononcé une interdiction de pratiquer de six mois, ramenée à quatre mois par le Tribunal cantonal. Sans contester que les faits reprochés violent l’art. 12 LLCA, dès lors que l’avocat d’office n’a pas le droit de se faire rétribuer par le client à l’assistance judiciaire, la recourante s’est plainte d’une sanction disproportionnée. L’interdiction de pratiquer est la mesure la plus sévère de l’art. 17 LLCA et n’est prononcée en principe qu’en cas de récidive. Selon la gravité, un acte unique peut fonder l’interdiction. Le Tribunal fédéral n’intervient que quand l’autorité a excédé son pouvoir d’appréciation53. Ici, le Tribunal fédéral qualifie le comportement de la recourante de grave. En envoyant une note d’honoraires à un client à l’assistance judiciaire «pour lequel l’Etat renonce aux frais de procédure et s’acquitte de dépens, la recourante méconnaît gravement l’activité de l’avocat d’office, composante pourtant essentielle de sa profession. Elle nuit aussi bien aux intérêts de son client qu’à ceux de l’Etat et porte atteinte à la réputation de la profession d’avocat, pour sa seule satisfaction financière personnelle». Le Tribunal fédéral a retenu le manque de remise en question de la recourante qui a cherché à faire reposer la responsabilité sur des tiers. La récidive est aussi déterminante. Un an après avoir été sanctionnée pour avoir perçu des honoraires d’une cliente à l’assistance judiciaire, elle a persisté dans son comportement. Le fait d’avoir engagé entretemps un comptable n’y change rien, car il lui incombait de le surveiller. Le fait qu’elle n’avait pas fait l’objet de condamnation pénale n’est pas pertinent, car ce n’est pas une condition pour prononcer cette sanction. Quant à l’atteinte à sa réputation invoquée, elle ne peut primer sur la confiance que doivent pouvoir mettre les justiciables dans l’activité d’avocat. L’interdiction de pratiquer de quatre mois a été confirmée, ainsi que la publication de la sanction prévue par le droit cantonal (art. 60 LPav/VD).
10. Autres décisions
Signalons enfin trois arrêts, l’un déjà publié et deux destinés à publication.
L’ATF 147 I 28054 montre l’importance du secret professionnel de l’avocat (art. 13 LLCA, en lien avec les art. 271 CPP et 16 let. e LSCPT55) et insiste sur le besoin particulier de protection des communications entre un avocat et son client. Si elles doivent être enregistrées dans le cadre d’une surveillance, des mesures particulières doivent être prises pour les protéger.
L’arrêt TF 6B_195/202056 traite de la portée de l’art. 127 al. 5 CPP en lien avec le monopole de l’avocat et les exigences de la législation cantonale réservée.57
Enfin, l’arrêt TF 6B_336/202158 illustre les particularités du mandat de l’avocat, en traitant de la validité d’une procuration après la mort du mandant (cf. art. 405 CO). En l’espèce, le Tribunal fédéral a admis qu’une avocate au bénéfice d’une procuration d’un client décédé utilise cette procuration pour recourir contre une décision de confiscation afin de préserver les intérêts des héritiers non informés de la décision59. ❙
1 Les arrêts traités ont été rendus depuis le 1.11.2020 et rendus accessibles en ligne jusqu’au 1.11.2021.
2 Du 18.8.2021 (rendu à 5 juges).
3 La recourante, Suissesse, était titulaire d’un Bachelor of Science in Business law UAS Zurich de la Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaft.
4 Ou d’un diplôme équivalent d’une université de l’un des Etats ayant conclu avec la Suisse un accord de reconnaissance mutuelle de diplômes.
5 Selon lequel le bachelor en droit est une condition suffisante pour l’admission au stage.
6 Cf. ATF 146 II 309 c. 4
7 Sous réserve des obligations légales découlant de la LMI.
8 C. 6. Delege ferenda, il nous paraît qu’il conviendrait de créer une base légale fédérale unifiant cette exigence.
9 Du 1.12.2020.
10 C. 3.2 et 3.4.
11 C. 7.2.
12 Du 10.12.2020.
13 Emploi d’étrangers sans autorisation (art. 117 LEI, RS 142.20).
14 Inobservation par le débiteur des règles de la procédure LP (contravention).
15 Cf. TF 2C_291/2018 du 7.8.2018.
16 C. 2.8. Au c. 2.4, le Tribunal fédéral rappelle le système du CP quant à l’inscription au casier judiciaire (Cf. art. 371 CP).
17 TF 2C_372/2020 du 26.11.2020.
18 C. 3.1 et 3.2. et cf. ATF 145 II 229; 144 II 147; 140 II 102; 138 II 440.
19 Du 24.08.2021.
20 Cf. p. ex. TF 2C_243/2020; 2C_307/2019; 2C_167/2020. Nous déjà résumé (Cf. in plaidoyer 6/2020, pp. 39-41) les principes dégagés par la jurisprudence en la matière.
21 C.4.4.
22 Du 22.4.2021, rendu en italien et résumé à la SJ 2021 I 397.
23 SJ 2021 I 397 spéc. p. 400 (c. 3.3.2).
24 Du 27.7.2021, rendu en italien et résumé à la SJ 2021 I 442.
25 SJ 2021 I 442 spéc. p. 444.
26 Ibid.
27 Du 8.7.2021, où le Tribunal fédéral rappelle (c. 3) les critères quant à la présence d’un risque concret de conflit (écoulement du temps entre les mandats, connexité, importance du 1er mandat, connaissances acquises durant le 1er mandat, persistance d’une relation de confiance avec l’ancien client). Il n’est pas nécessaire que le risque concret se soit réalisé. L’interdiction s’étend à tous les avocats de l’étude. En l’espèce, le risque concret n’a pas été retenu. Cf. aussi TF 6B_675/2020 du 16.3.2021 (i) c. 4.4.
28 Du 29.4.2021 (i), où le Tribunal fédéral rappelle (cf. rés. SJ 2021 I 325 c. 3.3.1) que ce n’est qu’exceptionnellement qu’un avocat peut plaider contre un ancien client: «Pour interdire l’exécution d’un nouveau mandat, il suffit que subsiste la possibilité d’utiliser, consciemment ou non, des connaissances acquises dans le cadre du mandat antérieur», toute situation pouvant crée un conflit d’intérêts devant être évitée. Cf. ATF 145 IV 218
c. 2.1. 29 TF 4A_485/2020 du 25.3.2021 c. 6.
30 En procédure pénale, cf. ATF 141 IV 257; TF 1B_191/2020 du 26.8.2020 c. 4.1.2.
31 Cf. c. 6.3.
32 Chappuis, Autorité compétente pour statuer sur la capacité de postuler de l’avocat en procédure civile in Revue de l’avocat 9/2021, p. 383 ss.
33 Du 8.9.2021, cf. c. 4.
34 Le Tribunal fédéral rappelle (c. 4.3, 4.1.1) que l’interdiction de postuler de l’avocat ne vise pas à sanctionner l’avocat et son client, mais à protéger tous les clients de l’avocat se trouvant dans un conflit d’intérêts.
35 Du 17.3.2021, cf. c. 3.
36 Du 7.10.2021, cf. c. 2.
37 Cf. ATF 145 IV 218.
38 Du 23.2.2021, cf. c. 2.
39 Du 12.11.2020 (rendu à 5 juges). Sur cet arrêt, cf. Hirsch, La prime de succès de l’avocat est-elle valable? inlawinside.ch du 18.12.2020.
40 C. 5.1.3. Nous ne reviendrons pas ici sur ces principes que nous avons déjà résumés précédemment (cf. plaidoyer 6/2020, pp. 38-39; plaidoyer 3/2018, pp. 38-39). Cf. ATF 143 III 600 c. 2; TF 2C_205/2019. Le TF rappelle (c. 5.3) les critiques de la doctrine de l’ATF 135 III 259.
41 C. 5.1.1.
42 C. 5.4. La Cour avait retenu qu’«imposer unilatéralement en fin de mandat une prime de succès dépassant le double des honoraires facturés au tarif implicitement admis par le client sur la base de notes d’honoraires intermédiaires heurtait gravement le sentiment de justice». L’avocat avait juste rédigé une requête de séquestre et des courriers; son travail n’était ni complexe ni risqué. Avec la prime, cela faisait un tarif de 1’525.-/h (alors que la moitié des heures avaient été faites par un collaborateur/stagiaire).
43 Du 2.6.2021. Sur cet arrêt, cf. Wegmann/Bodmer, Die Anwaltliche Informationspflicht über die Honorarhöhe, in Revue de l’avocat 9/2021, p. 393 ss.
44 Sur les conséquences du défaut d’information, cf. aussi l’arrêt vaudois in JdT 2021 III 141(CREC/13.1.2021/12), concernant l’application de l’art. 46 LPAv/VD, où le TC a retenu, faute de demande de provision et d’information, une réduction de 20 à 33% de la facturation (c. 4).
45 Du 22.6.2021, spéc. c. 2. cf. Legler, Secret professionnel et séquestre de la correspondance d’avocats extracommunautaires, inlawinside.ch du 5.11.2021.
46 En matière de levée de scellés en droit pénal administratif, Cf. TF 1B_434/2020, 1B_435/2020 du 17.2.2021, où le Tribunal fédéral résume (c. 5) sa jurisprudence (not. ATF 143 IV 462 c. 2).
47 C. 2.8.
48 RO 2013 847. Cf. c. 2, où le Tribunal fédéral résume sa jurisprudence (not. ATF 143 IV 462; 144 II 147 c. 5.3; 145 II 229 c. 7; 135 III 410 c. 3; TF 1B_264/2018).
49 C. 2.9.
50 Problématique que le Message (FF 2011 7509 7516) sur la LF sur l’adaptation de dispositions de procédure relatives au secret professionnel de l’avocat n’avait pas ignoré.
51 Cf. p. ex. en droit cantonal les art. 15-16 LAv/FR; 45 LPAv/VD; 23 LPAv/GE.
52 Du 1.12.2020.
53 TF 2C_243/2020 du 25.6.2020 c. 4.1
54 TF 1C_377/2019 du 1.12.2020 c. 6.2.3. Le Tribunal fédéral évoque le chilling effect que cela peut avoir si des mesures particulières ne sont pas prises pour préserver le secret professionnel de l’avocat.
55 RS 780.1.
56 Du 23.6.2021. cf. c. 1.
57 En l’espèce, la législation saint-galloise n’était pas suffisante pour permettre à un non avocat d’intervenir.
58 Du 27.8.2021, cf. c. 4. Sur cet arrêt, cf. Gauderon, Les obligations des autorités pénales en cas de confiscation prononcée après le décès du prévenu, incrimen.ch/40 du 5.10.2021.
59 C. 4.4: «Vielmehr durfte und musste sie die zu ihren Gunsten unterzeichnete Vollmacht über den Tod hinaus und den ihr erteilten Auftrag dazu nutzen, um die Interessen der noch nicht namentlich bekannten Erben.».