Des raisons très solides peuvent justifier une expulsion
La Cour européenne des droits de l’homme confirme la décision des juridictions cantonales et du Tribunal fédéral dans l’affaire M.M. contre la Suisse. Elle reconnaît que ces dernières ont effectué « un examen sérieux de la situation personnelle du requérant et des différents intérêts en jeu » et confirme ainsi qu’il n’y a pas eu violation du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 CEDH).
L’affaire concerne l’expulsion du requérant du territoire suisse pour une durée de cinq ans, à la suite de sa condamnation à une peine privative de liberté de douze mois, assortie d’un sursis, pour avoir commis des actes à caractère sexuel sur une enfant et consommé des stupéfiant.
Né en 1980 en Suisse, le requérant M.M. est un ressortissant espagnol qui, jusqu’à son éloignement du territoire suisse, était titulaire d’une autorisation d’établissement.
Le 10 janvier 2018, ce dernier est reconnu coupable d’avoir commis à deux reprises des actes à caractère sexuel sur une mineure et d’avoir consommé des stupéfiants. Il est condamné à une amende ainsi qu’à une peine privative de liberté de douze mois assortie d’un sursis de trois ans. Le Tribunal de police compétent n’ordonne ni son expulsion ni son interdiction du territoire suisse. Saisie par le Ministère public, la cour pénale du Tribunal cantonal concerné réforme le jugement de première instance par un arrêt rendu le 12 juin 2018. Nouveau verdict : le requérant doit être expulsé du territoire suisse pour une durée de cinq ans.
Saisi par le requérant, le Tribunal fédéral rejette son recours contre la décision ordonnant son expulsion. Le 14 novembre 2018, le Service des migrations du canton concerné informe le requérant qu’il doit quitter la Suisse d’ici au 31 décembre 2018.
Le 12 décembre 2018, le requérant saisit la Cour européenne des droits de l’homme. Il invoque l’article 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale).
A la mi-juillet 2019, après l’expiration des mesures d’encadrement (aide sociale, programme d’insertion professionnelle, assistance de probation et suivi thérapeutique) qui avaient été mises en place parallèlement, le requérant quitte la Suisse pour l’Espagne.
La Cour rappelle tout d’abord que, « dans les cas où un immigré a passé l’intégralité de sa vie dans le pays d’accueil, il y a lieu d’avancer des raisons très solides pour justifier son expulsion. » L’appréciation des faits doit être « acceptable ». En l’occurrence, la Cour note que le TF a pris en compte le fait que les infractions commises par le requérant étaient graves. En portant atteinte à l’intégrité sexuelle d’une mineure, celui-ci s’est attaqué de manière très grave à la sécurité et à l’ordre public en Suisse. Le TF a également évalué le risque de récidive en tenant compte de l’intérêt du requérant pour les filles prépubères. Intérêt qui ressortait notamment des nombreuses photographies de jeunes filles âgées de 10 à 12 ans trouvées sur son téléphone, ainsi que des recherches à caractère pédophile effectuées avec cet appareil.
Bien que le requérant se soit plutôt bien conduit par la suite (respect des entretiens fixés, investissement dans son activité occupationnelle, etc.), le TF a conclu que ses perspectives de réinsertion sociale « semblaient plutôt sombres ». Rien ne laissait supposer « une quelconque volonté d’intégration en Suisse. »
La Cour note enfin que le requérant n’a jamais fait valoir d’éléments d’ordre médical pouvant faire obstacle à son éloignement du territoire suisse. Elle reconnaît donc le sérieux de l’examen effectué par le TF et les juridictions cantonales : « Ces autorités disposaient d’arguments très solides pour justifier l’expulsion du requérant du territoire suisse pour une durée limitée. » La Cour conclut ainsi que « l’ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi » et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
CrEDH, arrêt 59006/18 M.M. c. Suisse du 8.12.2020
Irrecevabilité d’une requête pour mauvaise gestion de la crise sanitaire
La Cour européenne des droits de l’homme déclare irrecevable la requête d’un particulier qui se plaignait de la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19 en France.
L’affaire concerne un ressortissant français. Né en 1974 et résidant à Marseille, Renaud Le Mailloux conteste les mesures prises par l’Etat français pour lutter contre la propagation du virus Covid-19. Il se dit « très fragilisé par une pathologie grave » et invoque les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 10 (droit à la liberté d’expression). Il se plaint ainsi de « manquements de l’Etat à ses obligations positives de protéger la vie et l’intégrité physique des personnes se trouvant sous sa juridiction » et dénonce notamment « les limitations d’accès aux tests de diagnostic, aux mesures prophylactiques et à certains traitements et une atteinte à la vie privée des personnes qui décèdent seules du virus ».
La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention (requêtes individuelles), le requérant doit « pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention ». Autrement dit, il doit démontrer qu’il a « subi directement les effets » de la mesure litigieuse. Cet article ne permet pas d’actio popularis : un requérant ne peut pas se plaindre d’une disposition de droit interne, d’une pratique nationale ou d’un acte public juste parce qu’ils lui paraissent enfreindre la Convention.
En l’occurrence, la Cour considère que la plainte du requérant est abstraite. Ce dernier ne fournit aucune information sur sa pathologie et s’abstient d’expliquer en quoi les manquements allégués des autorités nationales seraient susceptibles d’affecter sa santé et sa vie privée. Elle conclut que « la requête relève de l’actio popularis et que le requérant ne saurait être considéré comme une victime, au sens de l’article 34 CEDH ».
CrEDH, arrêt 18108/20 Le Mailloux c. France du 3.12.2020