Mauvais traitements de malades psychiques en prison
Deux citoyens belges ont obtenu gain de cause dans l’affaire concernant le décès de leur fils en prison. Ce dernier avait été interné à plusieurs reprises entre 2007 et 2009, dans une section psychiatrique de la prison de Jamioulx, avant de bénéficier d’une mise en liberté à l’essai, assortie de certaines conditions. Au vu du non-respect de ces conditions, il a dû réintégrer la prison, dans une cellule individuelle d’une section ordinaire. Le 8 août 2009, la direction a décidé de lui appliquer des mesures de sécurité particulières. Trois agents ont été chargés de lui notifier cette décision. A la vive réaction du détenu, l’un des agents, aidé des deux autres, lui a fait une «clé de bras» pour le maîtriser et l’amener dans une cellule «de réflexion». Une dizaine d’agents sont arrivés en renfort, mais ils ont dû constater que le visage du détenu était cyanosé. Il est décédé peu après.
Le Tribunal correctionnel a acquitté les trois agents du chef de coups et blessures involontaires ayant causé la mort sans intention de la donner. Les parents, en tant que parties civiles, ont fait appel et la procédure est encore pendante. Ils ont, par ailleurs, saisi la CrEDH, invoquant en particulier l’art. 2 (droit à la vie) de la CEDH. Ils estiment que la force utilisée n’avait été ni absolument nécessaire ni proportionnée. Ils ont obtenu gain de cause, et reçu une indemnité pour préjudice moral.
Cette affaire n’est pas la première dans laquelle la Belgique se voit reprocher un traitement inacceptable de malades psychiques en détention. La même année, la CrEDH a traité un cas similaire (No 18052/11 «Rooman c. Belgique»). De plus, la Belgique a été dénoncée plusieurs fois par des organisations internationales pour l’état de ses prisons. Un aspect également souligné par la CrEDH dans ses deux arrêts. Elle a notamment relevé la mauvaise formation des agents de détention en matière de prise en charge des personnes ayant des problèmes psychiques.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 37795/13 «Tekin et Arslan c. Belgique» du 5.9.2017)
Une réduction d’indemnité violait l’égalité des sexes
L’affaire concerne une décision de la Cour administrative portugaise réduisant le montant d’une indemnité accordée à la requérante, une quinquagénaire atteinte de problèmes gynécologiques, à la suite d’une faute médicale. Une intervention chirurgicale lui avait causé de graves douleurs, une incontinence et des difficultés en matière de relations sexuelles. Invoquant l’article 14 (interdiction de discrimination) en combinaison avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), la requérante estime que la décision prise par la Cour administrative suprême de réduire le montant de son indemnité était discriminatoire, en particulier parce qu’elle méconnaissait l’importance de sa vie sexuelle en tant que femme.
La CrEDH lui donne raison. Elle rappelle que l’égalité des sexes est aujourd’hui un objectif majeur pour les Etats membres du Conseil de l’Europe, ce qui veut dire qu’il faut de bonnes raisons pour admettre une différence de traitement fondée sur le sexe. En particulier, les références aux traditions, aux postulats généraux ou aux comportements sociaux dominants ne suffisent pas à justifier une telle différence. L’âge et le sexe de la requérante étaient apparemment des éléments décisifs dans la décision définitive de la Cour administrative du Portugal, non seulement de réduire le montant de l’indemnité accordée pour souffrance physique et mentale, mais aussi pour financer le recours à une domestique. Cette décision était de surcroît fondée sur le postulat général que la sexualité n’a pas autant d’importance pour une quinquagénaire mère de deux enfants que pour une femme plus jeune. Elle a ignoré l’importance physique et psychologique de la sexualité pour l’épanouissement de la femme ainsi que d’autres aspects de la sexualité féminine dans le cas concret de la requérante elle-même. Pour la CrEDH, ces considérations révèlent des préjugés dominants au sein de la magistrature portugaise. Par contraste, les juges de Strasbourg évoquent deux autres affaires de faute médicale concernant deux patients de sexe masculin. La Cour suprême portugaise avait alors jugé que l’impossibilité, pour ces deux hommes, d’avoir des relations sexuelles normales affectait leur estime d’eux-mêmes et leur causait un «choc mental grave», indépendamment de leur âge et de ce qu’ils aient eu ou non des enfants.
(Arrêt de la 4e Chambre N° 17484/15 «Carvalho Pinto de Sousa Morais c. Portugal» du 25.7.2017, dans sa version corrigée du 3.10.17)
Tchéquie: pas de violation du droit à un procès équitable
En septembre 2006, l’Office national tchèque a mis fin à la validité d’une attestation de sécurité qui avait été délivrée au requérant pour lui permettre d’occuper la fonction d’adjoint d’un vice-ministre de la Défense, au motif qu’il présentait un risque pour la sécurité nationale. Après la fin des rapports de travail, le requérant a contesté l’annulation de l’attestation de sécurité devant le Tribunal municipal de Prague. Il n’a toutefois pas pu consulter les documents confidentiels ayant motivé sa révocation. Il a été débouté, le tribunal considérant par ailleurs que le refus d’accès aux documents n’était pas illégal, étant donné que la loi ne permet pas leur communication.
En juillet 2010, nouvel échec devant la Cour administrative suprême, qui a estimé que la divulgation des informations aurait compromis la sécurité intérieure. Par la suite, le requérant a été inculpé, avec 51 autres personnes, dans une affaire d’attribution de contrats publics, avant d’être condamné à trois ans d’emprisonnement.
Devant la CrEDH, le requérant a invoqué la violation du droit à un procès équitable. Il a été débouté dans un jugement de Chambre en 2015. La Grande Chambre confirme cette décision. Elle estime qu’elle doit considérer la procédure dans son ensemble et rechercher si les limitations aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes ont été suffisamment compensées par d’autres garanties procédurales. Elle répond par l’affirmative. Elle relève, entre autres, que les juridictions nationales jouissaient de l’indépendance et de l’impartialité nécessaires, qu’elles pouvaient apprécier la justification de la non-communication des pièces classifiées ainsi que le bien-fondé de la décision de retrait de l’attestation de sécurité et qu’elles ont dûment exercé les pouvoirs de contrôle dont elles disposaient.
(Arrêt de la Grande Chambre N° 35289/11 «Regner c. Republique tchèque» du 19.9.2017)