Conservation injustifiée des données d’un militant britannique
Un Britannique, actuellement âgé de 94 ans, milite depuis longtemps en faveur de la paix. En 2005, il a commencé à prendre part aux protestations organisées par un groupe appelé «Smash EDO» contre l’usine de la société américaine d’armement EDO MBM Technology Ltd., installée à Brighton. Ces manifestations ont provoqué des troubles et une présence policière importante a été mise en place. Le nonagénaire n’a jamais été condamné pour une quelconque infraction. En mars 2010, en vertu de la loi sur la protection des données de 1998, il a demandé à la police la communication des informations détenues sur son compte. La police lui a révélé l’existence, dans ses bases de données, de soixante-six inscriptions le concernant. Recueillies entre mars 2005 et octobre 2009, elles portaient essentiellement sur Smash EDO, même si certaines concernaient également treize autres manifestations et événements, dont une conférence du Congrès des syndicats britanniques, une manifestation lors d’une conférence du Parti travailliste et une réunion en faveur de Gaza. Ces informations étaient conservées dans une base de données de la police relative à l’«extrémisme national».
Après avoir vainement demandé l’effacement de ces informations devant les juridictions britanniques, l’homme a saisi la CrEDH. Celle-ci estime que la collecte des données du requérant était justifiée, car les activités de Smash EDO étaient connues pour être violentes et potentiellement criminelles. La Cour juge toutefois que la conservation prolongée de ces renseignements était disproportionnée, car ils présentaient un caractère personnel révélant des opinions politiques et méritant ainsi une protection accrue. Elle relève également que le requérant ne constituait de menace pour personne, compte tenu notamment de son âge, et estime que les garanties procédurales n’étaient pas effectives. Sur ce dernier point, elle note, en particulier, que la durée pendant laquelle les données pouvaient être conservées n’était pas définie, la seule règle à cet égard étant que leur réexamen était prévu au terme d’une période minimum de six ans. Dans le cas du requérant, il n’apparaît pas clairement que de tels réexamens ont réellement eu lieu au bout de six ans ou à une autre date.
CrEDH, arrêt de la 1re Chambre N° 43514/15 «Catt c. Royaume-Uni» du 24.1.2019
Un détenu a été privé de soins appropriés en Belgique
Un Belge condamné en 1997, notamment pour un viol sur un mineur, aurait dû sortir de prison en 2004. Il a fait l’objet d’un internement dès 2003. Par la suite, il a déposé plusieurs demandes de libération, qui ont été rejetées. Il a saisi la Cour européenne des droits de l’homme en 2011. Dans son arrêt de Chambre du 18 juillet 2017, celle-ci a dit, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 3 CEDH (interdiction des traitements inhumains et dégradants). Elle a en revanche conclu à la non-violation de l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté). A son tour saisie, la Grande Chambre a également constaté une violation de l’article 3, estimant, en particulier, que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge de l’état de santé du requérant du début de 2004 au mois d’août 2017, et que son maintien en internement sans espoir réaliste de changement et sans encadrement médical approprié pendant environ treize ans a constitué une épreuve excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. En revanche, la Cour juge que, à partir d’août 2017, les autorités ont manifesté une volonté réelle de remédier à la situation du requérant, en engageant des mesures concrètes, et que le seuil de gravité requis pour le déclenchement de l’article 3 n’a pas été atteint.
En ce qui concerne l’article 5, la Cour juge que la privation de liberté du requérant, entre 2004 et août 2017, ne s’est pas déroulée selon les exigences de l’article 5 § 1 dans un établissement approprié capable de lui assurer des soins adaptés à son état de santé. En revanche, elle estime que les autorités compétentes ont tiré les conclusions de l’arrêt de Chambre du 18 juillet 2017 et ont mis en place un ensemble de soins permettant de conclure à une non-violation de cette disposition pour la période après le mois d’août 2017.
CrEDH, arrêt de la Grande Chambre No 18052/11 «Rooman c. Belgique» du 11.12.2018.
L’aide au logement comme instrument de contrôle de l’immigration aux Pays-Bas
La requérante est une femme arrivée aux Pays-Bas en 2001 après avoir fuit l’Ethiopie. Elle a obtenu la nationalité néerlandaise en 2001 et, l’année suivante, elle a fait venir son fils de 16 ans aux Pays-Bas. En 2005 et en 2007, elle a obtenu une aide au logement accordée sous condition de ressources. Cependant, en 2009, les autorités fiscales l’ont informée que, selon la législation applicable, il n’était pas possible de bénéficier de cette allocation si on résidait avec une personne en situation de séjour irrégulier aux Pays-Bas. Selon les Services de l’immigration, le fils de la requérante avait résidé illégalement aux Pays-Bas, en 2006 et en 2007, de sorte que l’allocation de logement pour ces années-là devait être remboursée.
La requérante a contesté en vain cette décision devant les tribunaux, avant de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Invoquant l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale), elle s’est plainte du retrait de son allocation de logement, arguant qu’on ne peut demander à une mère de choisir entre expulser son propre fils et perdre son allocation. Sa requête a été rejetée par la Cour, qui estime que la décision contestée n’a pas statué sur le droit pour son fils de résider aux Pays-Bas. Elle ne visait pas non plus à mettre fin à leur cohabitation. En fait, rien n’indique que son fils soit en fait parti. La décision repose tout simplement sur un dispositif légal, mis en place pour assurer la bonne application des contrôles de l’immigration et pour empêcher des étrangers en situation irrégulière, comme le fils de la requérante à l’époque, de bénéficier indirectement de dispositifs de l’Etat destinés aux résidents qui sont en situation régulière et ont des revenus modestes. En outre, les prestations sociales générales dont bénéficiait la requérante n’ont pas été touchées.
CrEDH, arrêt de la 1re Chambre N° 37115/11 «Emabet Yeshtla c. Pays-Bas» du 7.2.2019