Examen insuffisant d’une mesure de renvoi
Un Kosovar établi en Suisse a fait l’objet d’une décision de renvoi, à la suite de sa condamnation à deux ans et trois mois de prison pour un viol commis en 2003. En 2013, atteint dans sa santé, il a été mis au bénéfice d’une rente d’invalidité complète. A la suspension de cette rente, en 2016, il a été pris en charge financièrement par ses enfants majeurs. Il a saisi la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant en particulier son droit au respect à la vie privée et familiale (art. 8 CEDH).
La Cour juge que, alors qu’il statuait en 2015 – soit plus de douze ans après l’infraction commise par le requérant –, le Tribunal administratif fédéral n’a pas pris en compte l’évolution du comportement de l’intéressé, ni évalué l’impact de l’aggravation considérable de son état de santé sur le risque de récidive. Le TAF n’a pas non plus pris en considération la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux du requérant avec le pays d’hôte (Suisse) et le pays de destination (Kosovo), ni fait une analyse suffisamment approfondie des implications de la dépendance du requérant à l’égard de ses enfants majeurs. Les autorités internes ont donc effectué un examen superficiel de la proportionnalité de la mesure de renvoi et elles ne sont pas parvenues à démontrer de manière convaincante que cette mesure était proportionnée aux buts légitimes poursuivis (la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales) et nécessaire dans une société démocratique.
Dans une opinion concordante, la juge suisse Helen Keller approuve cette décision, tout en apportant quelques nuances. Elle relève que la Cour constate une violation procédurale de l’article 8 sans conclure que l’Etat défendeur a nécessairement dépassé la marge d’appréciation dont il jouissait dans l’analyse de la proportionnalité de l’expulsion du requérant au regard des buts légitimes poursuivis, contrairement à ce qu’elle avait fait auparavant dans un certain nombre d’affaires concernant des mesures similaires.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre N° 23887/16 «I. M. c. Suisse» du 9.4.2019.
Le Tribunal fédéral a rendu le procès inéquitable
Deux Mexicains avaient saisi le Tribunal fédéral concernant la fixation d’un loyer initial. Ils avaient obtenu partiellement gain de cause, sans toutefois recevoir d’indemnité pour leurs frais d’avocat, car le TF avait estimé qu’ils n’étaient pas valablement représentés. Les deux Mexicains ont saisi la CrEDH, invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable). Ils se plaignent de la décision du Tribunal fédéral déniant à leur avocat la capacité d’agir devant lui, sans leur avoir donné la possibilité de se prononcer à ce sujet et leur refusant l’octroi de dépens, bien qu’ils aient partiellement eu gain de cause.
La Cour rappelle que le principe du contradictoire commande que les tribunaux ne se fondent pas dans leur décision sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure qu’aucune partie n’aurait été en mesure d’anticiper. Elle rappelle également que le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes exigent que chacune des parties reçoive une possibilité raisonnable de représenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.
En l’espèce, le Tribunal fédéral a privé les requérants de représentation après avoir soulevé d’office la question de la capacité de leur avocat à agir et sans que les requérants en aient été informés, qu’ils aient été entendus et mis en condition de remédier à l’irrégularité, comme la loi le prévoyait expressément. La Cour considère que les requérants se sont trouvés dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre No 65048/13 Rivera Vazquez et Calleja Delsordo c. Suisse du 22.1.2019.
Peine de perpétuité pas compatible avec la CEDH
Un Ukrainien condamné à perpétuité allègue que la peine d’emprisonnement prononcée contre lui n’est pas compatible avec l’article 3 CEDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants). Il affirme par ailleurs que sa santé s’est dégradée de manière irréversible en raison du caractère, selon lui, inadéquat des soins médicaux reçus en prison.
La Cour conclut à l’unanimité à une violation de l’article 3, du fait que le requérant n’a pas de perspective de libération ni de possibilité de réexamen de sa peine d’emprisonnement à vie. Elle relève en particulier que les règles sur la grâce présidentielle, seule procédure permettant d’alléger une peine d’emprisonnement à vie en Ukraine, ne sont pas claires et ne prévoient pas de garanties procédurales adéquates contre les abus. En outre, les conditions de détention des condamnés à perpétuité en Ukraine sont telles qu’il est impossible à ceux-ci de progresser sur la voie de l’amendement, et donc impossible aux autorités d’effectuer un véritable réexamen de leur peine.
Eu égard au caractère systémique de ce problème, la Cour, sur le terrain de l’article 46 CEDH (exécution), dit que l’Ukraine doit réformer son système de réexamen des peines de perpétuité réelle en recherchant, dans chaque cas, si le maintien en détention est justifié et en permettant aux condamnés à une peine de perpétuité réelle de savoir ce qu’ils doivent faire pour pouvoir bénéficier d’un élargissement et quelles sont les conditions applicables.
La Cour dit encore, à l’unanimité, qu’il y a aussi eu violation de l’article 3 du fait que, depuis juillet 2010, le requérant n’a pas reçu de soins médicaux adéquats pour sa tuberculose.
CrEDH, arrêt de la 4e Chambre N° 41216/13 «Petukhov c. Ukraine» du 12.3.2019
Un juge turc placé à tort en détention préventive
Un magistrat de la Cour constitutionnelle turque a fait l’objet d’une mesure privative de liberté essentiellement pour appartenance à une organisation terroriste armée, à savoir l’organisation FETÖ/PDY. La Cour conclut que les soupçons qui pesaient alors sur l’intéressé n’atteignaient pas le niveau minimum de «plausibilité» exigé par l’article 5 § 1 c) CEDH. Bien qu’imposée sous le contrôle du système judiciaire, cette mesure de détention reposait sur un simple soupçon d’appartenance à une organisation criminelle, indépendamment de toute procédure pénale pendante. Pareil degré de suspicion ne saurait suffire pour justifier un ordre de placement en détention d’un juge siégeant au sein d’une Haute Cour.
CrEDH, arrêt de la 2e Chambre N° 12778/17 «Alparslan Altan c. Turquie» du 16.4.2019.