Mère porteuse: la Grande Chambre blanchit l’Italie
L’Italie n’a pas violé le droit au respect de la vie privée en plaçant chez des parents nourriciers et sous curatelle un enfant issu d’une mère porteuse. La Grande Chambre a rendu, le 24 janvier 2017, un jugement différent de celui de la deuxième Chambre de la Cour dans l’affaire Paradiso et Campanelli contre Italie.
L’affaire concernait un couple stérile qui s’était adressé à une agence afin de trouver une mère porteuse en Russie; ils avaient payé 49 000 euros pour avoir cet enfant, lequel était né en février 2011 et avait été enregistré à Moscou comme fils des requérants au Registre d’état civil. Pour finir, ces derniers amenèrent l’enfant en Italie avec l’extrait d’acte de naissance falsifié. Une procédure pénale fut ouverte contre le couple à son retour. Invoquant la réserve d’ordre public, les autorités italiennes déclarèrent invalide l’inscription d’état civil opérée en Russie. Elles alléguèrent que le couple avait contourné les dispositions sur l’adoption, car les mères porteuses sont interdites en Italie. Elles retirèrent l’enfant, alors âgé de neuf mois, à ces parents pour le placer sous curatelle, puis auprès de parents nourriciers. Cette procédure conduisit l’enfant à n’avoir aucune existence juridique durant deux ans. Ce n’est qu’en 2013 qu’il fut inscrit à l’état civil sous la mention «né de parents inconnus».
En janvier 2015, la deuxième Chambre de la Cour estima que le retrait de l’enfant consistait en une violation du droit au respect de la vie privée et familiale. Elle soutenait que le bien de l’enfant n’avait pas eu un poids suffisant au regard de la réserve d’ordre public et que les autorités n’auraient pas pris en compte le fait qu’un lien émotionnel existait déjà entre l’enfant et les parents commanditaires. Ces autorités auraient pris une mesure qui n’aurait été justifiée que dans des cas extrêmes, par exemple si l’enfant était en danger, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Elles l’auraient aussi défavorisé vis-à-vis des autres enfants en ne lui permettant pas, durant deux ans, d’avoir une identité légale.
La Grande Chambre opère un retournement de jurisprudence, en relevant que les requérants ont agi illégalement, rendant juridiquement précaire la relation qu’ils avaient avec l’enfant à partir de leur retour en Italie. La situation s’était encore péjorée à partir du moment où un test ADN a montré que l’enfant n’était lié biologiquement ni avec le père, ni avec la mère qui l’avaient commandé. Ce nouvel arrêt fait peu mention du bien de l’enfant. Il mentionne simplement que les autorités italiennes auraient bien réagi en agissant rapidement. Elles auraient ainsi évité à l’enfant de subir des dommages irréversibles. Au contraire de l’arrêt rendu par la seconde Chambre le
27 janvier 2015, la Grande Chambre a blanchi l’Italie, niant toute violation de la CEDH.
(Arrêt de Grande Chambre N° 25358/12 «Paradiso et Campanelli contre Italie» du 24.1.2017)
La Cour dénonce la pratique suisse de renvoi au Sri Lanka
La CrEDH a décidé le 26 janvier 2017 que l’expulsion d’un Tamoul au Sri Lanka avait violé l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH), puisque ce dernier avait été arrêté dès son arrivée dans ce pays et y avait subi des mauvais traitements.
Le requérant et sa femme avaient déposé en 2009 une demande d’asile en Suisse, parce qu’ils étaient politiquement recherchés au Sri Lanka. Le requérant avait à cette occasion indiqué avoir été maltraité en détention comme membre des «Tigres tamouls». L’Office fédéral des migrations refusa le statut de réfugié au requérant tout comme à sa femme et ordonna leur renvoi au Sri Lanka. En 2013, le requérant, sa femme et leurs deux jeunes enfants furent expulsés. A l’arrivée dans le pays, la famille fut détenue et interrogée durant
13 heures. La femme et les enfants furent par la suite libérés, mais le requérant fut amené en prison où il subit des mauvais traitements. A la suite de ces faits, les autorités suisses ramenèrent la femme et ses enfants dans notre pays. En 2013, un autre requérant d’asile débouté fut emprisonné à son retour au Sri Lanka, ensuite de quoi l’Office fédéral des migrations suspendit tous les renvois dans ce pays. Une expertise fut commandée au professeur Walter Kälin par cet office, qui confirma que le risque personnel encouru par les requérants d’asile déboutés n’avait pas été apprécié correctement. En 2015, le requérant fut libéré et déposa une demande de permis de séjour pour raisons humanitaires. Elle fut acceptée par l’Office des migrations et l’intéressé put rentrer en Suisse. Sa nouvelle demande d’asile fut aussi acceptée. Dans l’intervalle, le requérant avait introduit une procédure contre la Suisse le 21 février 2014.
La requête fut communiquée à la Suisse le 1er juillet 2015, laquelle pria la Cour de ne pas entrer en matière, car le requérant n’avait pas la qualité de victime de violation au sens de l’art. 34 CEDH. En effet, la Suisse l’avait aidé à rentrer depuis le Sri Lanka et lui avait accordé le statut de réfugié. Il aurait pu obtenir réparation en intentant une action en responsabilité de l’Etat. La Cour n’a pas suivi cette argumentation. Elle a souligné, en particulier, qu’une action en responsabilité de l’Etat ne pouvait être intentée que durant une année, alors que l’intéressé se trouvait encore détenu au Sri Lanka. La Suisse n’a pas non plus prouvé qu’une telle procédure aurait été suivie de succès.
Matériellement, la Cour constate que le renvoi de l’intéressé a violé l’art. 3 CEDH. Selon sa jurisprudence relative à cet article, une analyse approfondie des risques existant dans le pays de renvoi est nécessaire. La Suisse aurait dû connaître ce risque et, en l’ignorant, elle a violé son obligation de diligence. La Cour estime que les renvois au Sri Lanka, à cette époque, n’étaient pas licites du point de vue des droits de l’homme et des droits des réfugiés. Le fait que la Cour admette la requête se justifie parce que le requérant, à son retour, n’a eu aucune possibilité de faire valoir un dédommagement pour la violation de l’art. 3 CEDH.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 16744/14 «X. contre Suisse» du 26.1.2017)
La détention à vie ne viole pas l’art. 3 CEDH
La Grande Chambre de la Cour a constaté, dans un arrêt du 17 février 2017, que la détention à vie d’un citoyen britannique ne violait pas l’interdiction de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’art. 3 CEDH. Elle a confirmé un arrêt d’une Chambre de la Cour, selon lequel la Convention n’interdit pas la prison à vie et permet cette sanction, en particulier pour des crimes graves. Afin que cette forme particulièrement sévère de sanction soit compatible avec la CEDH, la possibilité doit être laissée au condamné de chercher à obtenir sa libération et sa détention doit pouvoir être examinée par un juge.
(Arrêt de Grande Chambre N° 57592/08 «Hutchinson contre Royaume Uni» du 17.1.2017)