Les moteurs truqués
Dans l’intervalle, la conseillère nationale et présidente de la SKS (Stiftung für Konsumentenschutz) aura essuyé les plâtres de l’inadéquation des outils juridiques suisses à la protection des consommateurs. Le 8 février 2019, le Tribunal fédéral déboute la SKS, qui avait introduit une action en constatation de droit dans le cadre de l’affaire des moteurs truqués de VW. Le ciel n’est pas plus clément pour le volet pénal: le Ministère public de la Confédération a annoncé la cessation prochaine de la procédure pénale ouverte contre AMAG.
La Suisse, îlot de dindons
Certes, les clients européens n’ont pas tous été indemnisés, loin de là. Mais notre proximité avec l’Allemagne nous rappelle l’absence cinglante de tout instrument légal permettant au consommateur suisse de faire valoir ses droits collectivement. L’association allemande VZBV a ainsi obtenu des résultats après avoir introduit une action collective en justice (Musterfestellungsklage2). L’îlot est d’autant plus isolé après l’entrée en vigueur de la directive 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts des consommateurs, qui introduit un recours collectif à l’échelon européen.
Un dur combat
Lors de la consultation sur la modification du code de procédure civile, les fronts se sont durcis. Le Conseil fédéral a ainsi décidé de scinder le projet de modification, en traitant séparément l’action collective. La voilure a été réduite pour calmer le jeu, en intégrant notamment quelques conditions. Par exemple, l’association devra exister depuis au moins douze mois et représenter au moins dix plaignants. Cela ne suffira pas pour attendrir les plus farouches opposants. Economiesuisse a déjà peint le diable sur la muraille par la voie d’un communiqué de presse intitulé «Une voie dangereuse vers la commercialisation du droit». On ne saurait pas omettre que notre Parlement, qui devra prochainement discuter du sujet, est majoritairement ancré à droite.
L’échec de l’action individuelle
Bien que l’actualité nous ait démontré qu’il était possible d’obtenir gain de cause face à AMAG, le Tribunal cantonal genevois a récemment condamné le concessionnaire à rembourser un client victime des manipulations opérées par le géant VW. Toutefois, AMAG ne semble pas prompt à négocier. Economiesuisse note que la solution pourrait résider dans l’assouplissement de l’accès à la justice. Or, la problématique ne provient pas tant des frais de justice que des coûts inhérents à une défense efficace. La suppression des frais de justice pour les affaires de consommation dans les cantons de Vaud et de Genève n’a pas réellement augmenté l’accessibilité de la justice pour les privés. Un effet pervers a pu être constaté, par contre: des sociétés de recouvrement ont profité du vague libellé du texte de loi.
Les coûts des actions judiciaires sont aussi l’affaire des associations de protection des consommateurs. La SKS pourra le confirmer, la fondation ayant dû prendre en charge des frais de justice à hauteur de 50 000 francs et verser une indemnité d’environ 60 000 francs à AMAG et VW. Autant dire que ces risques financiers peuvent être lourds de conséquences pour une organisation. Sur ce point, le Conseil fédéral va bien moins loin que l’Union européenne. «Le financement de certaines associations et organisations ou des actions qu’elles intentent» n’est pas abordé dans le projet.
Les discussions risquent d’être animées au Parlement avec des personnalités fortes d’un côté comme de l’autre. Le saucissonnage du projet de révision expose les partisans de l’action collective à un élagage important, voire à un abandon.
1 Motion Birrer Heimo 13.3931, Exercice collectif des droits, Promotion et développement des instruments.
2 L’action civile collective est basée sur la loi suivante: Gesetz zur Einführung einer zivilprozessualen Musterfeststellungsklage, entrée en vigueur le 1er novembre 2018.