La Jurassienne a mené une carrière de juge tout en s’adonnant au théâtre, comme auteure, comédienne, chanteuse et metteur en scène. Des mondes apparemment opposés, qu’elle a néanmoins réunis en approfondissant les techniques de la plaidoirie et de la communication orale, une matière qu’elle a déjà pu faire connaître aux Universités de Fribourg, de Berne et de Neuchâtel. Pour elle, c’est devenu une évidence: dans la justice également, magistrats et avocats se mettent en scène et jouent un rôle, même si c’est un rôle social. Les juges sont sensibles à la manière dont les avocats s’adressent à eux, ces derniers ont donc tout intérêt à soigner leurs plaidoiries. Une qualité qui n’est cependant pas innée, et qu’il n’est pas toujours possible de développer dans le cadre du stage d’avocat.
Concours à la clé
Ainsi, les Ordres des avocats de Berne (partie francophone), de Fribourg et du Jura proposent à leurs stagiaires de se former auprès de Danièle Brahier Franchetti, lors de huit séances de deux heures (en groupes de dix personnes au maximum), couronnées par un concours de plaidoirie. Sur la base d’un cas simple, l’enseignante travaille tant sur la manière de communiquer que sur le fond. Car les deux sont indissociables. Il faut commencer par mettre au point le contenu de la plaidoirie et construire un texte dans le but de le dire oralement, car «il est totalement indigeste de lire du langage écrit, constate la spécialiste. La plaidoirie n’est ni une dissertation, ni un avis de droit, ni un commentaire d’arrêts. L’avocat devrait trier la matière pour éviter de noyer le juge, en partant toujours des conclusions pour construire la plaidoirie.» Inutile, et même contreproductif, par conséquent, de donner des leçons au magistrat, en détaillant des articles de droit qu’il connaît.
«En matière pénale, par exemple, on évite de s’attarder sur la règle de la présomption d’innocence et on cherche plutôt les éléments de fait qui permettront peut-être d’instaurer le doute dans la tête des juges», note Danièle Brahier Franchetti. Et si l’on est davantage conditionné par des aspects techniques en matière civile, on s’attachera néanmoins à «mettre en avant les éléments laissant la place à une marge d’appréciation», à «faire ressortir les faiblesses du dossier en faveur du client» ou à «imager des questions techniques pour clarifier le débat ou, au contraire, les compliquer pour jeter le trouble». Quant aux conclusions écrites, «il n’est pas nécessaire de les lire intégralement, puisqu’elles ont déjà été argumentées. Il suffit de les résumer comme une suite logique de ce qui précède et de les remettre pas écrit.»
Dialogue avec le juge
Sur la base d’un texte adéquat, commence le travail sur la forme de la plaidoirie: apprendre à se mettre en scène et à dialoguer avec le juge, en utilisant son corps et sa voix, et en luttant contre le trac. C’est là que toutes les techniques d’apprentissage du théâtre et de la communication orale entrent en jeu. Comme sur scène, on apprend à retenir l’attention du juge, à éviter de l’ennuyer, à improviser si des éléments nouveaux empêchent de s’en tenir à la plaidoirie prévue. Cette concordance entre les mots, le corps et la voix ne va pas de soi chez des stagiaires «qui se sentent coincés et ont l’impression de ne plus arriver à exprimer leur personnalité depuis qu’ils font des études de droit, constate Danièle Brahier Franchetti. Ils m’assurent que le monde judiciaire est devenu plus sérieux. Mais, être sérieux ne signifie pas être prisonnier d’une armure et avoir un visage fermé. Comment communiquer avec un tel habit ou un tel visage?»
Intégrer des techniques du théâtre, ce n’est pas développer le pathos et les effets de manche, au contraire. «Le meilleur plaideur, comme le meilleur acteur, est celui qui a l’air naturel.» Un résultat qui s’obtient en agissant sur plusieurs fronts, tout en faisant preuve de courage et d’humilité... Le travail du corps permet d’apprendre à se relâcher, à se défaire du carcan tant social, familial que professionnel: se tenir debout correctement dans un tribunal, se déplacer avec aisance, faire des gestes appropriés, repérer ses tics et s’en défaire.
Trouver sa voix
Il faut aussi trouver sa voix, l’utiliser de manière à ne pas la fatiguer et à pouvoir continuer à parler malgré le stress. La Jurassienne utilise pour cela une technique vocale apprise auprès d’un chanteur lyrique. Le but est aussi de conserver une ligne musicale en y intégrant des silences, de ne pas parler trop vite. Indispensable pour s’exprimer dans des prétoires à la sonorité souvent défaillante.
La respiration se travaille aussi, de même que l’expression du visage et le regard (ne pas rester rivé à ses notes). Par ailleurs, un excès d’agressivité doit être maîtrisé: un effort qui concerne aussi les femmes, lesquelles ont tendance «à vouloir montrer trop durement qu’elles sont aussi fortes que les hommes», observe l’enseignante.
Que ce soit par les mouvements du corps ou la voix, l’objectif est aussi la gestion des émotions. «Certains élèves se sentent hypersensibles et pensent que c’est un défaut. Mais cela leur sera au contraire utile dans leur activité, par exemple pour mieux sentir la partie adverse.» N’est-ce pas oublier que bon nombre d’avocats n’auront pas besoin de plaider, car ils se tourneront vers le secteur privé et les administrations? «L’art oratoire est aussi utile pour convaincre hors d’un tribunal, pour présenter des projets dans toutes sortes de situations», réplique la spécialiste, qui l’enseigne également à des étudiants de la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG VD).