Ganden Tethong l’a répété pendant treize ans, devant une demi-douzaine de procureurs, devant les représentants des lésés et devant les juges de toutes instances: son mandant, Rudolf Elmer, n’a pas commis d’acte pénalement punissable. Rien ne permet de le condamner pour violation du secret bancaire. Et il n’y avait pas de quoi non plus le mettre en détention préventive pendant des mois, ce qui est pourtant arrivé.
Dans un premier temps, les paroles de l’avocate zurichoise de 53 ans, aux racines tibétaines, ne sont pas entendues. Puis, le vent tourne à l’été 2016 devant le tribunal cantonal zurichois. La première Cour pénale libère Elmer du principal chef d’accusation. Un jugement de condamnation est cependant prononcé pour tentative de contrainte, menace et faux dans les titres. Avec un verdict sévère pour une première condamnation: quatorze mois de peine privative de liberté avec sursis, et un délai d’épreuve de trois ans. A quoi se sont ajoutés une grande partie des frais de justice et d’instruction, pour un montant à 350 000 francs.
Pour l’avocate, la peine sévère et la condamnation aux frais sont le signe que l’acquittement de Rudolf Elmer, pour le principal chef d’accusation, n’est tombé qu’à contrecœur: «Il y avait une intention de le condamner dès le départ. Les procureurs n’ont guère retenu les éléments à décharge.»
S’en tenir au droit
Pour mémoire, le banquier Rudolf Elmer aurait livré des données de clients aux autorités fiscales ainsi qu’au fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. A la période en question, il se trouvait à la tête de la filiale de la Banque Julius Baer dans les îles Caïman. L’homme se considère lui-même comme un lanceur d’alerte soucieux de faire la lumière sur des machinations offshore illégales.
Son avocate n’a jamais retenu cet argument, car ce n’était pas nécessaire, soutient-elle. En tant que pénaliste, elle ne se préoccupe que de la question de savoir si un comportement punissable du prévenu peut être prouvé, et si les règles de procédure sont respectées. Etant donné que son lieu de travail se trouvait à l’étranger et que son employeur était étranger, Rudolf Elmer n’est pas punissable pénalement, martèle Ganden Tethong. Elle estime que son client n’est pas soumis au secret bancaire suisse. Une position étayée par le professeur émérite de droit du travail Thomas Geiser, dans une expertise commandée par la défense.
Le Tribunal fédéral confirme en octobre 2018 le jugement de la Cour cantonale, rejetant le recours du premier procureur. Dans une composition à cinq membres, le TF bataille pendant presque trois heures, en public, avant de rendre sa décision. Dans la salle d’audience de Mon-Repos sont présents le banquier Elmer, son épouse et son avocate, le procureur zurichois spécialiste de la criminalité économique, Peter Giger, ainsi que le juge cantonal zurichois, Peter Marti. Ce dernier, à la retraite depuis, se souvient bien du procès en appel de l’été 2016, qu’il présidait. Il décrit après coup Ganden Tethong comme «une avocate très engagée, qui a fait le maximum pour ses clients».
Après plus de treize ans de procédure, celle-ci peut enfin clore le dossier Elmer. Le cas occupe pas moins de 150 classeurs fédéraux et comprend d’innombrables ramifications, dans lesquelles la pénaliste ne s’est pas engagée. Elle s’est concentrée sur la défense, sans se mêler des aspects annexes de l’affaire.
La Zurichoise veille à maintenir une certaine distance professionnelle avec ses clients, et Rudolf Elmer n’a pas fait exception. Elle ne se laisse pas instrumentaliser et ne se considère pas comme le porte-voix de ses clients, mais comme leur représentante avertie. Elle ne veut pas endosser leurs opinions, ni apparaître comme une adversaire des banques.
Enfance au Village Pestalozzi
Ganden Tethong a grandi avec ses quatre frères et sœurs dans le Village d’enfants Pestalozzi à Trogen (AR), où ses parents s’occupaient d’enfants réfugiés tibétains. Elle vivait dans une grande maisonnée avec 25 enfants et adultes, porte à porte avec des familles du monde entier: «Cela m’a marquée. J’ai réalisé après coup à quel point cela avait été formidable de grandir ainsi, dans cette ambiance internationale. C’est sans doute la raison pour laquelle je n’ai pas d’appréhension quand il est question de nations ou de religions.»
La fillette d’alors a fréquenté l’école du village d’enfants, jusqu’en 5e primaire, avant d’être scolarisée à Trogen. Après la maturité fédérale, elle s’est décidée «par procédure d’élimination» pour des études de droit. Elle a perçu ses études à l’Université de Zurich comme plutôt théoriques et abstraites. Ce n’est qu’au contact de la pratique, au Ministère public de Bülach (ZH) et au Tribunal de district de Pfäffikon (ZH), qu’elle a éprouvé de l’enthousiasme pour les questions juridiques, surtout pour le droit pénal.
Cas mémorable
Le cas Elmer n’a pas été le mandat le plus long de Ganden Tethong, ni le plus marquant. Elle a représenté la partie lésée dans l’affaire Behring, une procédure qui dure depuis plus de quatorze ans. Parmi les cas mémorables dont elle s’est occupée, il y a celui d’une femme en fin de grossesse qui se trouvait en détention préventive. Peu avant une audition dans les locaux du Ministère public, les contractions ont commencé. Ganden Tethong, elle-même mère de deux filles, a dû lutter pour que sa cliente soit amenée à l’hôpital. Après l’accouchement, la prévenue a été attachée à son lit et mise sous surveillance policière, puis renvoyée en prison le lendemain. La demande de mise en liberté n’a été acceptée que six jours après, et la procédure pénale a finalement été classée. Il a pourtant fallu une année et demie pour que l’enfant soit rendu à sa mère.
Peu avant la naissance de sa première fille, Ganden Tethong s’est installée comme avocate indépendante. Avec l’aide de sa mère, elle a pu concilier ses obligations familiales et professionnelles. Ses parents ont été parmi les premiers réfugiés tibétains à arriver en Suisse. L’avocate est engagée pour la communauté tibétaine en exil. Elle est depuis peu membre du comité du Tibet Justice Center, qui été fondé aux Etats-Unis. Elle a fait partie, pendant huit ans, du comité du Tibet film Festival, qui se déroule à la fois en Suisse et en Inde. Son plus grand souhait serait de se rendre au Tibet prochainement avec ses filles, avec lesquelles elle s’applique à parler le tibétain.