plaidoyer:La révision du CPP restreint le droit du prévenu de participer à une audition d’instruction, jusqu’à ce qu’il se soit lui-même exprimé de manière substantielle sur l’objet de l’audition. Est-ce admissible?
Loïc Parein: Non, car on restreint le droit du prévenu de participer à l’administration des preuves dans une mesure plus importante que ce que permet la loi actuelle. L’idée est de chercher à nouveau à surprendre le prévenu, en lui mettant sous les yeux des éléments qu’il ignore, même au cours de l’enquête. Comme si maintenir quelqu’un dans l’ignorance était une garantie déterminante de la véracité de ses déclarations. Or, cela procède d’une représentation survalorisant la poursuite de l’aveu, qui est encore considéré par trop comme la reine des preuves. Pourtant, même certains policiers critiquent sévèrement cette dynamique d’instruction.
Pierre Aubert: On ne s’attend pas forcément à ce que le prévenu nous dise la vérité, et on ne veut pas lui laisser la possibilité d’organiser le mensonge. C’est l’objectif poursuivi par la limitation de son droit de participer aux auditions. Une déclaration démentie par tous les éléments de la procédure offre à peu près la même force qu’un aveu. Mais si l’enquêteur joue à jeu ouvert, en dévoilant ses cartes au prévenu, celui-ci s’en trouvera avantagé car il joue à jeu fermé, étant donné que lui seul sait le rôle qu’il a pu jouer dans l’infraction.
Loïc Parein: Si vous partez du principe que le prévenu doit organiser son mensonge, c’est que vous le considérez d’avance comme un coupable qui se cache…
Pierre Aubert: C’est une suspicion, qui se vérifie souvent, mais pas toujours: avant la première audition, il y a déjà eu une enquête. La restriction du droit de participer du prévenu peut aussi lui être favorable. Car si, sans avoir connaissance d’aucun élément de l’instruction, il donne des explications corroborées par les faits, c’est pour lui une meilleure défense. Quand j’ai débuté dans le métier, le code de procédure posait comme présomption que le magistrat était honnête et que le prévenu avait probablement des choses à se reprocher. On a le sentiment maintenant que la règle s’est inversée, et qu’on organise la loi pour que des magistrats présumés malhonnêtes ne nuisent pas trop à des prévenus vraisemblablement innocents.
Loïc Parein: Le contradictoire n’est pas avant tout une mesure de défiance, sauf dans une conception dépassée de l’instruction. Il donne au contraire toute sa valeur au résultat de l’administration des preuves dans un procès équitable. Le procureur ne sait pas tout. L’audition croisée d’un témoin permet par exemple de recueillir plus d’informations avec la multiplication des questions.
plaidoyer: Si le Code de procédure pénale actuel donne au prévenu le droit de participer à l’administration des preuves, c’est pour contrebalancer le pouvoir accru attribué au Ministère public et la suppression du juge d’instruction…
Pierre Aubert: Ayant été juge d’instruction, juge de siège puis procureur général, je ne fais pas de différence entre ces trois fonctions. Mon but est de connaître la vérité.
Loïc Parein: Ce qu’il y a de choquant avec la révision proposée, c’est que les autorités puissent à nouveau jouer cartes fermées après la première audition du prévenu et l’administration des preuves principales. On peut alors lui refuser l’accès au dossier aussi longtemps qu’il ne s’exprime pas de manière substantielle sur l’objet de l’audition à venir, notamment quand il fait valoir son droit au silence. C’est une régression injustifiée du droit d’être entendu, le plaçant dans une situation même pire qu’au début de l’enquête. Avec le code actuel, le prévenu est en effet réputé avoir été entendu, même s’il a gardé le silence, et a alors accès au dossier.
Pierre Aubert: La notion de déclaration substantielle est en effet fâcheuse car elle fait abstraction du fait que le prévenu a le droit de ne pas parler. Entre procureurs romands, nous ne voulons pas que l’exercice du droit au silence empêche définitivement la participation à l’administration des preuves. Nous proposons que le procureur ait la possibilité, mais pas l’obligation, d’entendre un prévenu en l’absence des autres parties dans la première administration d’une preuve principale. C’est en tout cas favorable à la personne innocente, qui n’a aucune raison de mentir, et dont les déclarations contiennent généralement des éléments qui pourront être contrôlés.
Loïc Parein: Dire qu’un innocent n’a, par principe, rien à craindre hors du contradictoire relève de la même rhétorique que celle affirmant qu’il faut accepter d’être filmé en tout temps si l’on a rien à se reprocher. Je peux entendre qu’on veuille écarter des risques de collusion entre coprévenus dans certaines situations, à l’instar du TF sur la base du droit en vigueur. Mais le cloisonnement des auditions tel qu’il est prévu est illimité, puisqu’il concerne aussi les témoins, les plaignants et les personnes appelées à donner des renseignements.
Pierre Aubert: Il n’y a parfois pas d’autre élément à disposition que les déclarations des parties. C’est la déposition de l’une contre celle de l’autre. Dans les délits sexuels, par exemple, c’est souvent avec des éléments ténus, sur la base du contexte psychologique, qu’on va se forger une conviction. Et il est dès lors important d’avoir des dépositions brutes, dont on sait qu’elles n’ont pas été organisées ou influencées par des facteurs extérieurs. Cela profite aussi bien à la partie plaignante qu’au prévenu.
plaidoyer: La participation restreinte du prévenu ne peut-elle pas jouer aussi en sa faveur?
Loïc Parein: Je n’accorde aucune valeur prépondérante à l’argument voulant que la restriction soit pensée dans l’intérêt de la crédibilité du prévenu. De plus, un autre problème avec le projet de révision (art. 147 a), c’est que seul le prévenu est exclu d’une audition. Des parties plaignantes pourraient par exemple interroger un témoin, mais pas l’avocat de la défense.
Pierre Aubert: C’est en effet un défaut du projet et, avec mes collègues romands, nous proposons que ce sont les parties qui doivent pouvoir être exclues.
plaidoyer: Un autre élément marquant de la révision du CPP est l’audition obligatoire du prévenu par le Ministère public, dès qu’une peine privative de liberté à exécuter est prévisible. Un grand changement pratique?
Pierre Aubert: Le changement serait énorme et nécessiterait l’engagement de nouveaux procureurs. Or, je ne suis pas favorable à de trop grandes entités judiciaires. Cela dit, j’admets qu’il soit justifié d’entendre le prévenu pour des peines d’une certaine importance. Je me rallierais au principe d’une audition obligatoire en cas de peine prévisible de plus de quatre mois, car c’est la limite fixée pour la «peine de peu d’importance» au sens du CPP. Encore que l’audition des personnes soit parfois pauvre en renseignements. Cela dit, je reconnais que l’ordonnance pénale est une justice de deuxième qualité, mais l’abolir poserait des problèmes pratiques insurmontables. Autrement dit, c’est un mal nécessaire!
Loïc Parein: A mon avis, l’obligation découle en partie d’un malaise vis-à-vis de l’ordonnance pénale, qui met de côté des garanties de procédure et accorde au Ministère public la compétence de prononcer des peines jusqu’à six mois ferme. En réalité, le critère relatif à la peine n’est pas le bon dès lors que l’audition sert en premier lieu de moyen de preuve. De plus, les auteurs du projet la conçoivent comme une occasion pour le procureur d’expliquer la portée de l’ordonnance au prévenu, dans le but de réduire le nombre d’oppositions. Dans certaines situations, je serais inquiet si les explications du premier au second étaient données alors que celui-ci n’est pas assisté. Si on veut instaurer une audition obligatoire de cet ordre, il faudrait que le prévenu puisse s’y rendre avec un défenseur. Or, le CPP ne prévoit pas l’assistance judiciaire pour les peines jusqu’à quatre mois.
Pierre Aubert: Il n’y a pas de bonne solution face au grand nombre d’infractions à juger. Il faut faire des compromis supportables économiquement et juridiquement. L’avantage de prévoir une audition dans les cas les plus graves, c’est que le prévenu est rendu attentif à ce qui se passe. Car l’envoi d’une ordonnance pénale par La Poste est problématique pour toute une catégorie de la population qui n’ouvre pas son courrier.
Loïc Parein: Il faut en effet trouver une solution après avoir opéré une pesée des intérêts. On peut être moins mal à l’aise vis-à-vis d’une ordonnance pénale rendue sur dossier quand on dispose d’un bon système de notification et que le destinataire est en mesure de faire éventuellement opposition. La notification sur le siège, au terme de l’audition, a au moins l’avantage de s’assurer que le prévenu a bien reçu l’ordonnance pénale.
plaidoyer: La compétence actuelle du Ministère public de choisir le défenseur d’office a suscité de nombreuses critiques. La révision du CPP y répond par une délégation possible de ce choix à une autre autorité ou à un tiers. Qu’en pensez-vous?
Loïc Parein: C’est un bel exemple de fédéralisme que de laisser aux cantons la possibilité d’aménager le choix du défenseur d’office. Je comprends qu’on veuille s’assurer d’une juste répartition des mandats d’office dans les cantons où la concurrence entre les avocats est forte. On a entendu parler, ici ou là, de méthodes de captation de mandats ou de soupçons de désignation partiale par le Ministère public. Dans le canton de Vaud, un système informatique permet d’éviter ces problèmes. Cela étant, je relève que le nouvel article 133 CPP revalorise le statut du défenseur d’office, en prévoyant de tenir compte de ses compétences lors de l’attribution du mandat. Autrement dit, la défense d’office, c’est autre chose qu’une source de dossiers pour une activité accessoire.
Pierre Aubert: Il m’arrive de choisir un avocat d’office en fonction de la particularité du cas, sans respecter l’ordre de la liste établie à Neuchâtel à cet effet. Par exemple, parce qu’il doit parler telle ou telle langue ou en raison de sa proximité géographique avec le client. Un prévenu doit pouvoir bénéficier d’un défenseur avec qui il a toutes les chances de s’entendre. En retirant au Ministère public la faculté de choisir le défenseur d’office, on détériorerait globalement la situation, en tout cas dans les petits cantons où magistrats et avocats se connaissent.
plaidoyer: D’autres remarques sur cette révision du CPP, qui doit encore passer devant les Chambres fédérales?
Loïc Parein: Le nouvel article 123 al. 2 prévoit le devoir de calculer et de motiver les conclusions de la partie plaignante bien avant les débats, au contraire du droit actuel qui permet de le faire jusqu’en plaidoirie. Je ne perçois pas la réelle plus-value de cette modification. Personnellement, je n’ai pas été confronté à la situation où les choses se seraient mieux passées si les conclusions avaient été connues plus tôt. Mais il y a aussi de bonnes choses dans cette révision. Elle va dans le bon sens en étendant l’assistance judiciaire aux victimes déposant une plainte pénale sans pouvoir élever de conclusions civiles. Toutefois, on maintient une assistance judiciaire à deux vitesses en en privant les plaignants dépourvus de conclusions civiles, mais non victimes, alors que certains d’entre eux auraient besoin d’un avocat.
Pierre Aubert: Cette révision n’apporte pas grand-chose et souffre de nombreux défauts sur le plan de la logique et de l’écriture. Concernant la position du plaignant dans ce code, il est vrai qu’elle n’est pas idéale. Il faudrait mener une réflexion générale, afin que la victime se sente mieux accueillie.
Pierre Aubert
57 ans, procureur général du canton de Neuchâtel, ancien juge d’instruction, juge de district et juge cantonal,
à Neuchâtel.
Loïc Parein
36 ans, avocat spécialiste FSA en droit pénal, Dr en droit, chargé de cours à l’Université de Lausanne.