Lorsqu’une personne meurt, elle laisse «quelque chose» derrière elle, «quelque chose» qui, parfois, ressemble à un grand désordre et un tas de dettes. Contrairement au cliché répandu, le droit des successions n’est en effet pas toujours une variante juridique du «Millionenlos». Il est bien plus souvent un agencement nécessaire pour ordonner l’attribution de la totalité des biens du défunt et éviter ainsi que, en cas de désordre, certains biens ne se retrouvent tout simplement supprimés, telle une tache sur le plan de la cuisine. Même si le nettoyage de la maison du défunt, qu’il soit jeune ou vieux, peut parfois être poussiéreux, l’héritage d’une personne va bien plus loin que la simple remise en ordre d’une aire de pique-nique après un beau week-end.
Parce que le décès d’une personne est sans doute l’événement le plus tragique, et que tout le monde mérite d’être traité avec humanité et respect, même après la mort, l’Etat s’en mêle au moins à titre subsidiaire. Bien que le droit à un enterrement décent ait disparu de la Constitution à la fin des années 1990 (art. 53 al. 2 Cst. 1874), un droit similaire plus global s’applique sur la base de la dignité humaine garantie par l’article 7 Cst. 1. Non seulement l’enterrement, mais aussi toute la gestion des affaires d’une personne décédée exigent une certaine sensibilité et du respect.
Ceux qui font face à la mort à titre professionnel sont en principe moins touchés que ceux qui s’y retrouvent confrontés pour des raisons de maladie, d’âge ou de décès d’un proche. Pendant que les employés des Pompes Funèbres s’attellent à faire preuve d’empathie, les jardiniers des cimetières s’occupent de creuser les tombes. Des tâches éreintantes qui sont indispensables.
Tout ce qui a trait au «personnel» est encore différent. Mais qu’est-ce qui est «personnel»? On parle beaucoup de la personnalité post-mortem, mais les défunts, du moins selon la conception du monde et de la mort de l’auteur de ces lignes, ne s’en soucient guère. Ce sont les survivants qui doivent prendre soin de l’héritage et qui sont touchés émotionnellement. Le terme «personnel» peut aussi se rapporter aux choses qui ont une valeur d’affection (le CC leur consacre d’ailleurs l’article 613 al. 2). Pour cela aussi, l’Etat a fixé des règles. La première découle de l’article 551 al. 1 CC: «L’autorité compétente est tenue de prendre d’office les mesures nécessaires pour assurer la dévolution de l’hérédité.» L’alinéa 2 cite quelques mesures, sans toutefois viser l’exhaustivité. Discrète, cette norme a une portée considérable. Elle implique que l’ensemble des mesures de sauvegarde de l’héritage est soumis à la maxime officielle. Le pouvoir d’appréciation laissé aux autorités (art. 4 CC) vise à garantir que tout finisse entre de bonnes mains. Cela correspond, dans une certaine mesure, à ce que prévoient la common law et le Code civil autrichien, selon lesquels l’administration, respectivement «l’homologation» 2, doit empêcher que la période délicate ("l’interrègne") qui suit un décès soit exploitée par des personnes non autorisées. Autrement dit, un enterrement décent implique non seulement que le corps soit bien enterré, mais aussi que tous les autres points soient en ordre. C’est une question de dignité humaine, qui doit être respectée par les autres et garantie par l’Etat.
Les articles 457 à 640 CC réglementent les aspects économiques de la succession. La liberté testamentaire permet cependant aux testateurs et testatrices de régler ces aspects en amont. Raison pour laquelle le droit des successions ne devrait pas être considéré comme un «moyen rigide de transfert de richesse» 3. Sans être une garantie de bonheur, la sécurité économique n’en reste pas moins une condition préalable. Même des dons modestes peuvent avoir un impact considérable. Une somme raisonnable à quatre chiffres peut, par exemple, permettre à un jeune de partir en séjour linguistique et d’élargir ses horizons. Sans oublier les plus petits cadeaux matériels, qui n’en sont pas moins des présents et des souvenirs permettant de maintenir les liens et de susciter joie de vivre et satisfaction.
On devrait, dès lors, tous faire des efforts en termes de succession. Se rappeler que, même les choses qui semblent objectivement dénuées de sens, peuvent avoir une importance subjective. Prenons l’image d’un chemin de fer miniature : les rails et les wagons ne représentent objectivement que de la tôle, alors que, subjectivement, ils peuvent représenter des souvenirs.
En fait
E.L. est décédé le dimanche 15 septembre 2019 à Berne. Selon les médias 4, il n’a laissé que de lointains héritiers légaux, quelques amis cités dans son testament et 6,99 tonnes de biens, ainsi que quelques réserves bancaires ordinaires. Il était sans doute collectionneur, professionnellement directeur financier d’une PME. Quelqu’un qui, sans être complètement désorganisé, était peut-être un peu bizarre et affectionnait les jouets. C’est son ami F1 qui l’a retrouvé mort chez lui, le lundi. Ce même lundi, les affaires de E.L. ont été mises sous scellés. Son testament a été retrouvé une semaine plus tard auprès de son ami F2. Le 3 octobre suivant, F1, F2 et F3 apprennent, par lettre recommandée du Service des successions, que ledit testament prévoit qu’ils « décident ensemble qui obtient quoi et peuvent garder ce qu’ils veulent », avant de préciser que « les chemins de fer et les ours peuvent éventuellement être donnés à des enfants ». Le testament prévoyait par ailleurs la répartition suivante : 20 % à chacun des trois amis, 40 % à la Fondation Village d’enfants Pestalozzi située à Trogen.
Le lendemain de la notification du testament, les trois amis se rendent chez le notaire… où ils apprennent que tous les biens du ménage ont été envoyé à la brocante et à l’incinérateur. E.L. a lui aussi déjà été « expédié » au cimetière. Une démarche accélérée qui se justifierait pour des « raisons de santé » mystérieuses.
La tension est palpable depuis que les trois amis ont osé exprimer leur désapprobation face à l’élimination des 6990 kilos d’effets ménagers. Elimination qui pourrait aussi être perçue comme un service officiel…
En droit
Il n’est évidemment pas possible de rendre un avis définitif sur la base d’un article de journal. Une analyse juridique s’impose néanmoins.
Le principe juridique central est clair : l’autorité doit veiller à la bonne dévolution de l’hérédité. Cela ne signifie pas qu’elle le fait elle-même, mais qu’elle doit contrôler d’office le bon déroulement des événements et intervenir lorsque les parties concernées ne sont pas en mesure de le faire (notamment dans les cas des art. 554 et 556 al.3 CC).
Dans le cas concret, l’autorité a ordonné la mise sous scellés (art. 552 CC). A Berne, cela sert plus à constituer la succession à des fins fiscales, qu’à sécuriser la succession, tout en permettant de dresser un inventaire (art. 553 CC) et d’assurer ainsi une vue d’ensemble de la succession 5. L’héritage ne pouvait en l’occurrence pas être laissé tel quel aux bénéficiaires testamentaires, puisqu’ils ne sont pas des héritiers légaux. Ces derniers avaient cependant été chargés de la liquidation du ménage et s’étaient vu attribuer un certain pouvoir d’appréciation par E.L. Il est trop tard pour se demander si cela était contraire au principe de la personnalité 6 ou s’il s’agissait d’une demande indirecte pour que les amis créent une fondation pour l’exploitation d’un musée de jouets. La question est plutôt de savoir si l’objectif était de les charger de la liquidation de la succession, c’est-à-dire de les désigner comme exécuteurs testamentaires.
L’exécution par des cohéritiers peut être source de tensions, mais est autorisée. L’article 554 al. 2 CC prévoit, par ailleurs, que les exécuteurs testamentaires désignés sont responsables de l’administration de l’hérédité. La première étape devrait donc être de déterminer si les démarches à prendre peuvent être transférées à un exécuteur ou, au contraire, requièrent une intervention officielle. Sans un tel examen, l’action de l’autorité est dénuée de fondement. L’ingérence dans la succession ainsi que la décision d’en disposer est illégale. L’autorité compétente n’aurait, en l’occurrence, pas dû vider l’appartement sans s’être occupée du contenu du testament, qui était pourtant à sa disposition, et sans avoir contacté les exécuteurs testamentaires. L’article 557 CC prévoit certes un délai d’un mois pour l’ouverture du testament. Ce délai n’est toutefois qu’une règle de principe. Les autorités prennent en général connaissance du testament bien avant, afin d’identifier les héritiers ainsi que les éventuels exécuteurs testamentaires 7.
En ce qui concerne les prétendues « raisons de santé », rappelons que même les affaires d’une personne décédée du Covid-19 ne doivent pas être éliminées par incinération, selon la loi sur les épidémies. Il arrive que des masques de protection et des désinfectants soient nécessaires pour gérer la succession de personnes malades et isolées. Mais l’administration d’un tel héritage ne signifie pas pour autant sa liquidation (à noter que les art. 593 ss CC impliquent quelque chose de tout à fait différent).
Et dans le futur ?
Entré en vigueur, il y a plus de cent ans, le droit successoral suisse est en cours de révision. Il est prévu de le faire en deux étapes. La première est politique et concerne la réduction des réserves héréditaires. La seconde concerne les aspects techniques et prévoit des assouplissements dans la succession d’entreprise ainsi que la révision des dispositions de droit successoral de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) pour une meilleure coordination avec le Règlement UE sur les successions internationales.
Le cas présenté ci-dessus souligne l’inadéquation d’une approche purement officielle. Il est vrai que le principe d’« administration efficace » s’applique. Mais il en va de même pour la « rule of law », c’est-à-dire une efficacité qui reste dans le cadre juridique ! Une grande partie de la procédure successorale relève plus de l’interprétation judiciaire que du schématisme officiel. La procédure judiciaire présente l’avantage de pouvoir pondérer et de confronter les points de vue des parties entre elles ou vis-à-vis des autorités concernées. Le risque qu’un appartement soit vidé pendant le délai de préavis ordinaire et non pas déjà avant les funérailles semble, de ce point-de vue, supportable…
Le fait qu’un organisme officiel dispose de 6,99 tonnes de matériel, alors qu’une mise sous scellés a été prononcée, que le testament n’a pas été ouvert, l’entourage du défunt pas informé et ce dernier pas encore inhumé, ne constitue pas seulement une erreur, mais une carence organisationnelle capitale. Une incompétence professionnelle et humaine qui n’est pas sans conséquence en droit du travail et en droit pénal. Ce cas démontre l’importance de collaborer de manière beaucoup plus étroite avec les survivants qu’avec « l’industrie », même si les « procédés » de cette dernière sont plus simples et bien répertoriés.
On observe que certaines sociétés de Pompes Funèbres se sont transformées en véritables entrepreneurs de la gestion de la fin de vie et proposent d’établir des testaments ou des directives anticipées. Vu l’aspect délicat de ces choses (dans le sens où beaucoup n’aiment pas s’occuper de tout cela, tandis que d’autres s’en préoccupent trop), le modèle semble remporter un succès commercial raisonnable. Il est cependant peu probable que le croque-mort soit le meilleur exécuteur testamentaire. Le tabou de la mort crée un espace où certaines choses peuvent être faites dans l’obscurité et où, « par respect », personne n’ose poser de questions. Il faudrait que davantage de gens s’habituent à dire au revoir à une personne morte, ne serait-ce que par une tendre caresse sur la joue ou sur la main. ❙
Peter Breitschmid, Consultant dans un cabinet d’avocats zurichois et professeur émérite de droit privé, spécialisé dans le Code civil suisse, à l’Université de Zurich
1 BSK BV-Pahud de Mortanges, Art. 15 N 58 ff.
2 Verlassenschaftsverfahren » : Welser, Erbrecht, Wien 2019, 227 ff.
3 Breitschmid, Darf man erben ? Successio 2021 ff., im Anschluss an Röthel, Ist es gerecht, dass es ein Recht zu vererben gibt ?, AcP 2020 19 ff.
4 Tages-Anzeiger 22.8.2020 S. 3 = Der Bund 22.8.2020 S..
5 Vgl. die Vo über die Errichtung eines Inventars, BELEX 214.431.1 ; dass irgendetwas im Sinne dieser Standards unternommen (z.B. die angeblich chaotische Wohnung fotografisch dokumentiert) worden wäre, ist nicht ersichtlich.
6 BSK ZGB II-Breitschmid, Art. 498 N 12 ff.
7 Vgl. etwa PraxKomm-Emmel, Art. 556 N 14 ff.